Julio Cortázar/ Marelle

 



Cortázar, comme le mexicain Carlos Fuentes, a été fils de diplomates – Argentins – et pour cela il est né à l’étranger, à Bruxelles en 1914. Il aurait vécu très longtemps en France lors de sa jeunesse et sa vie adulte. Cortázar a été un nouvelliste hors de série avec les recueils : Tous les feux le feu, Bestiaire, Les armes secrètes et fin de jeu. Dans ces nouvelles, Cortázar s’approprie des divers genres et les réinvente à sa façon. Nous y trouvons des nouvelles très borgésiennes et des nouvelles dont l’influence d’Alfred Jarry est fort évidente. 

En fait, dans son essai sur la nouvelle, Cortázar nous dit clairement que s’il est arrivé à la nouvelle dite fantastique, c’est grâce à l’influence de Jarry, qui lui aurait montré que le réalisme Cartésien est incapable de saisir la complexité de la réalité qui nous entoure et dans laquelle nous vivons tous les jours. En ce sens, sa vision du fantastique n’est pas celle que nous nous entendions : avoir peur, nous divertir, passer un bon moment de lecture. Pour lui, le fantastique est la seule façon de saisir le monde et la réalité dans toute sa totalité et complexité. 

Julio Cortázar aurait étendu son influence dans le cinéma. D’œuvres phares comme Blow up d’Antonioni et Monsieur Bébé de Claude Chabrol ont été adaptés de ses nouvelles.


Cortázar a été aussi un traducteur à l’espagnol, et dans cette langue, il a traduit le poète américain Edgar Allan Poe ainsi que les écrivains français le Comte de Lautréamont, Alfred Jarry et Marguérite Yourcenar. 

Il a gagné le prix Médicis en 1974 pour son roman Le Livre de Manuel. Cependant, c’est son Roman Marelle qui lui a donné une renommée mondiale et qui est devenu un roman culte. 

Comme le dit l’écrivaine membre de l’Académie française Florence Delay :

‘Marelle est une sorte de capitale, un de ces livres du XXe siècle auquel on retourne plus étonné encore que d’y être allé, comme à Venise. Ses personnages entre ciel et terre, exposés aux résonances des marées, ne labourent ni ne sèment ni ne vendangent : ils voyagent pour découvrir les extrémités du monde et ce monde étant notre vie c’est autour de nous qu’ils naviguent. Tout bouge dans son reflet romanesque, la fiction se change en quête, le roman en essai, un trait de sagesse zen en fou rire, le héros, Horacio Oliveira, en son double, Traveler, l’un à Paris, l’autre à Buenos Aires. Le jazz, les amis, l’amour fou – d’une femme, la Sibylle, en une autre, la même, Talita -, la poésie sauver ont-ils Oliveira de l’échec du monde ? Peut-être… car Marelle offre plusieurs entrées et sorties. Un mode d’emploi nous suggère de choisir entre une lecture suivie, « rouleau chinois » qui se déroulera devant nous, et une seconde, active, où en sautant de case en case nous accomplirons une autre circumnavigation extraordinaire. Le maître de ce jeu est Morelli, l’écrivain dont Julio Cortázar est le double. Il cherche à ne rien trahir en écrivant et c’est pourquoi il commence à délivrer la prose de ses vieillesses, à « désécrire » comme il dit. D’une jeunesse et d’une liberté inconnues, Marelle nous porte presque simultanément au paradis où on peut se reposer et en enfer où tout recommence. »

Pour d’autres, Marelle est l’ancêtre des romans interactifs. En effet, selon Élisabeth Philippe dans son article paru dans la revue LesInrocks  :

Combattre un dragon, sauver une princesse, se faire la malle avec le trésor d’un magicien. Enfant, on pouvait vivre toutes ces aventures grâce aux “livres dont vous êtes le héros”. A la fin d’un paragraphe numéroté, on avait le choix entre plusieurs possibilités et le scénario se modifiait au gré de nos envies. Paru en 1963, Marelle, de l’Argentin Julio Cortázar, est un peu l’ancêtre de ces romans interactifs. Explosant les codes traditionnels de la narration, Cortázar a en effet imaginé un livre qui pouvait se lire de plusieurs façons. Soit de manière classique soit en commençant par le chapitre 73 et en poursuivant la lecture selon l’ordre indiqué à la fin de chaque chapitre et à l’aide d’un mode d’emploi fourni en préambule. Le lecteur est invité à sauter de chapitre en chapitre comme l’on saute de case en case à la marelle.

C’est donc à cloche-pied que l’on suit les déambulations entre Terre et Ciel d’Horacio et de la Sibylle, deux déracinés qui s’aiment, se perdent et se retrouvent à travers leurs doubles. Sur fond de musique jazz dont la langue de Cortázar reproduit le rythme syncopé, on passe des ambiances enfumées et éthyliques de Saint-Germain-des-Prés à l’atmosphère délétère d’une clinique de Buenos Aires. Bien sûr, Horacio et la Sibylle forment un couple mythique de la littérature, figures erratiques de l’amour fou. Sibylle surtout, avec son nom de prophétesse, son enfant malade rebaptisé Rocamadour et son étrange disparition. Elle appartient à cette catégorie d’héroïnes énigmatiques et envoûtantes, sœur de la Doña Prouhèze du Soulier de satin de Claudel ou de Lol V. Stein, l’évanescente icône durassienne. A la sortie du livre, Cortázar s’étonna de la façon dont le public s’identifiait à ses personnages. C’était pourtant prévisible.

Pris au jeu (de piste) élaboré par l’écrivain, le lecteur est partie prenante de cette œuvre labyrinthique. Il en devient le véritable héros. Un changement de perspective opéré par la volonté même de Cortázar et de son double de fiction, Morelli, l’écrivain de prédilection d’Horacio, dont les théories littéraires scandent Marelle dans un jeu de mise en abyme : “(…) le véritable et l’unique personnage qui m’intéresse c’est le lecteur, dans la mesure où un peu de ce que j’écris devrait contribuer à le modifier, à le faire changer de position, à le dépayser, à l’aliéner”, écrit Morelli. Par un jeu de miroir hypersophistiqué, chaque lecteur de Marelle se retrouve transfiguré en personnage romanesque auquel il peut vouer son propre culte.

Synopsis

En ce qui a trait à son histoire, Marelle est très simple en apparence. Il s’agit de vignettes de la vie ‘un écrivain argentin, Horacio Oliveira, lors de son séjour à Paris et lors de son retour à Buenos Aires, en Argentine. Notamment sa relation amoureuse avec une Uruguayenne, Sibylle (La Maga), mère célibataire dont le fils, Rocamadour, est malade. Comme tout Parisien bohème, Horacio s’entoure d’un groupe d’amis, exilés comme lui, avec lequel il discute sur l’art et sur la littérature. Après la mort de Rocamadour provoque le retour en Argentine. À Buenos Aires, il entamera une relation avec un couple d’amis, Manolo y Talita Traveller, mais le spectre de la Sibylle semble imbiber et teinter sa relation avec les deux, particulièrement avec Talita. Marelle n’est pas un roman linéaire, cependant, on s’attend à dégager trois parties : de l’autre côté qui fait référence à la vie d’Oliveira à Paris ; du côté d’ici qui raconte son retour en Argentine et, finalement des autres côtés qui font référence à des chapitres dispensables selon Cortázar qui sont en fait une série de notes, nouvelles journalistiques, citations, etc. Mais surtout des écrits d’un personnage mystérieux qui n’apparaissent pas dans le roman que par le biais de références l’écrivain Morelli.

Anti-Roman

Mais il faut faire une mise à point, et celui-ci de la bouche de Julio Cortázar lui-même, Marelle doit se lire avec attention, car on peut tomber endormi facilement avec sa lecture et se blesser. Certes, l’interactivité de Marelle invite au lecteur complice et créateur chez nous, mais Marelle reste un roman ardu et, encore une fois de la bouche de Cortázar, il est avant tout un anti-roman. Qui doit être construit par le lecteur. Cortázar, par exemple, offre plusieurs possibilités de lecture : 1) Lecture séquentielle du début à la fin, 2) Lire seulement la partie du livre entre le chapitre 1 et le chapitre 56 en ignorent le reste 3, du 57 au chapitre 153 ) L’ordre que plaisait le plus au lecteur selon ses indications dans un roman subséquent : 62, maquette à monter et 4) Selon le tableau offert par l’auteur dans le début du roman :

1) 73
2) 1
3) 2
4) 116
5) 3
6) 84
7) 4
8) 71
9) 5
10) 81
11) 74
12) 6
13) 7
14) 8
15) 93
16) 68
17) 9
18) 104
19) 10
20) 65
21) 11
22) 136
23) 12
24) 106
25) 13
26) 115
27) 14
28) 114
29) 117
30) 15
31) 120
32) 16
33) 137
34) 17
35) 97
36) 18
37) 153
38) 19
39) 90
40) 20
41) 126
42) 21
43) 79
44) 22
45) 62
46) 23
47) 124
48) 128
49) 24
50) 134
51) 25
52) 141
53) 60
54) 26
55) 109
56) 27
57) 28
58) 130
59) 151
60) 152
61) 143
62) 100
63) 76
64) 101
65) 144
66) 92
67) 103
68) 108
69) 64
70) 155
71) 123
72) 145
73) 122
74) 112
75) 154
76) 85
77) 150
78) 95
79) 146
80) 29
81) 107
82) 113
83) 30
84) 57
85) 70
86) 147
87) 31
88) 32
89) 132
90) 61
91) 33
92) 67
93) 83
94) 142
95) 34
96) 87
97) 105
98) 96
99) 94
100) 91
101) 82
102) 99
103) 35
104) 121
105) 36
106) 37
107) 98
108) 38
109) 39
110) 86
111) 78
112) 40
113) 59
114) 41
115) 148
116) 42
117) 75
118) 43
119) 125
120) 44
121) 102
122) 45
123) 80
124) 46
125) 47
126) 110
127) 48
128) 111
129) 49
130) 118
131) 50
132) 119
133) 51
134) 69
135) 52
136) 89
137) 53
138) 66
139) 149
140) 54
141) 129
142) 139
143) 133
144) 140
145) 138
146) 127
147) 56
148) 135
149) 63
150) 88
151) 72
152) 77
153) 131
154) 58
155) 131

La Ville

Les villes de Paris et de Buenos Aires sont des personnages importants dans le roman, comme Dublin, par exemple, le serait dans Ulysse de James Joyce. Avec ces villes comme personnages, Cortázar offre une vision particulière du monde, ou on pourrait dire mieux des mondes qui cohabitent tout créateur et tout être humain. La ville incarne la façon dont Oliveira rêve, aime et déplore la perte de la Sybille; chaque ville est un micro univers de passions et de visions distinctes sur la création littéraire, l’amour, le regret et la folie.

La mort de Rocamadour La mort de l’enfant de la Sybille est un élément central du roman, et la séquence du chapitre 28 dont ceci arrive est un exemple de la maitrise narrative de Cortázar : On est chez la Sybille, le club d’amis est réuni comme toujours pour discuter, et le voisin donne de coup de pied pour se plaindre du bruit. En apparence, Rocamadour dort pendant que la Sybille fait du café, mais tout le monde sait, sauf elle, que son fils gît dans son lit déjà mort, personne ne dit rien et la discussion continue jusqu’à qu’elle se rend compte de ce qui vient d’arriver.

Le lecteur femelle ?

Je ne pourrais pas finir ce billet sans mentionner un moment dans la carrière de Cortázar qui aujourd’hui nous semble déplacé. En effet, lors d’une intervention pour exprimer le type de lecteur qu’il souhaitait pour Marelle il aurait dit qu’il ne voulait surtout pas d’un lecteur femelle. C’est- à –dire d’un lecteur passif, celui qui se conforme avec une histoire digérable et digéré à l’avance, un lecteur qui dans le confort de son futon veut lire pour se divertir ; du storytelling quoi!

Maladresse qui lui aurait valu d’énormes critiques et pour laquelle il s’est rectifié après le coup.

Conclusion

En guise de conclusion , J’aimerais laisser la voie à des écrivains expliquer l’influence que ce roman a eue dans leur vie de lecteurs et de créateurs. D’abord l’écrivain Hernán Lara zavala qui dit :

… Des gens de ma génération connaissent des paragraphes complets, voire des chapitres, [de Marelle] parce que c’est une rare combinaison d’histoire, poésie, discussions philosophiques, pièce de théâtre, et du le monde de l’absurde. Je pense que c’est parfaitement situé dans l’histoire, c’est l’un des débuts du boom, qui avait parmi ses tâches, une littérature difficile, à commencer par Fuentes avec La région plus transparente, puis par Cortázar avec ce roman ductile et mobile

Et selon Ariel Dorfman :

Ce que vous allez lire est trompeur, arbitraire, subjectif et inutile. Julio Cortázar, dont le roman «Marelle» est probablement le meilleur roman latino-américain de notre époque, suggérerait que toute tentative visant à réduire une œuvre aussi complexe, profonde, concrète, aussi labyrinthique et révolutionnaire, aussi désespérée et semblable au tango, divertissant et contradictoire,. . . que synthétiser tout cela dans une page, c’est déformer le livre.

Alejandrolabonne




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