Before Stonewall - The Making of Gay and Lesbian Community





                            


Dans la nuit du 27 au 28 juin 1969, les clients du Stonewall Inn, l’un des rares bars gay de New York, se révoltent contre la police. À l’époque, ils n’ont pas le droit de cité dans ces établissements et sont régulièrement arrêtés lors de descentes de police. Mais cette nuit-là, les clients décident de ne plus se laisser faire. Deux pionnier.ers de la lutte LGBTQ aux États-Unis, Fred Sargeant et Flavia Rando, reviennent sur ces émeutes qui signent aussi les débuts de la Marche des fiertés à New York. 

En 1969, Fred Sargeant, âgé d'une vingtaine d'années vit à quelques rues du Stonewall Inn, dans le quartier de Greenwich Village, à New York. Quelques années plus tôt, il a quitté sa campagne natale pour vivre pleinement son homosexualité. Et il travaille dans la toute première librairie LGBT des États-Unis, fondée par son compagnon de l’époque, Craig Rodwell. 

Flavia Rando vit aussi à New York mais elle est installée dans l’East Side, de l’autre côté de la ville. La jeune étudiante a fait son coming-out quelques temps auparavant. Juste après les émeutes de Stonewall, elle participe à la construction du Gay Liberation Front (GLF), l’un des collectifs LGBTQ les plus importants de cette période.

Fred Sargeant (à gauche, en chemise blanche et porte-voix dans les mains) lors de la première Gay Pride à New York en 1970
Fred Sargeant (à gauche, en chemise blanche et porte-voix dans les mains) lors de la première Gay Pride à New York en 1970 Crédits : George DeSantis/QQ Publishing

Que s’est-il passé lorsque les émeutes ont éclaté au Stonewall Inn ?

Fred Sargeant : Je n’étais pas dans le bar cette nuit-là. Alors que nous rentrions chez nous [Fred et son compagnon Craig Rodwell, ndlr], en arrivant au niveau de Christopher Street [là où se situe le Stonewall Inn], nous avons vu une foule rassemblée devant le bar. Nous nous sommes arrêtés pour voir ce qu’il se passait. Très vite, nous avons appris qu’il y avait une descente de police, des policiers et des clients étaient toujours à l’intérieur. Les événements ont débuté quand les policiers ont commencé à emmener les clients arrêtés à l’extérieur du bar. Les personnes à l’extérieur étaient très en colère contre ce qui arrivait. Elles ont commencé à jeter des pièces, à ramasser des ordures dans les poubelles, quelqu’un a même réussi à arracher un parcmètre du sol… 

À cette époque, la police faisait du business avec les propriétaires des bars dont une grande partie, si ce n’est tous, appartenait à la mafia. [Les descentes de police était donc courantes, en particulier dans les bars qui accueillaient la communauté gay, la consommation d’alcool leur étant interdite, ndlr.] Nous étions déjà très concernés par ce qu’il se passait donc quand on a vu cette descente, c’était un événement différent. Jamais la venue de policiers n’avaient provoqué de telles réactions. C’était un tournant. 

Pourquoi cela ?

Avant, lors d’une descente de police, les gens se séparaient. J’ai été moi-même dans l’une d’elles et parce que j’avais l’air hétéro aux yeux des policiers, ils m’ont dit de sortir du bar. Mais tous les hommes efféminés ont été arrêtés. Stonewall marquait une première dans de telles circonstances : plutôt que d’accepter d’être arrêtés, les gens ont commencé à protester car ils étaient arrêtés. Cela a poussé toutes les personnes des alentours à se soulever et à soutenir celles et ceux qui avaient été arrêté.es. 




La devanture du Stonewall Inn dans le quartier de Greenwich Village à New York, en juillet 1969 Crédits : New York Post Archives Getty

Qu’avez-vous fait lors de ces émeutes ?

Fred Sargeant : Je n’ai pas fait tant de choses ! J’ai beaucoup crié. Et j’ai beaucoup couru ! La police nous pourchassait, rue après rue, mais je suis resté pendant les sept nuits de troubles qui ont eu lieu. Après la première nuit d’émeutes, Craig et moi sommes rentrés à la maison et nous avons fait des tracts. Parce qu’on voulait manifester la nuit suivante… Nous pensions que c’était important de profiter de ces événements, de les utiliser pour quelque chose. Toute l’après-midi, nous avons distribué nos tracts, plus de 5 000 au total [pour appeler à la fin de la présence de la mafia et de la police dans les bars, ndlr]. Et les gens sont venus ! Au tout début des émeutes, il y avait entre 70 et 100 personnes,  puis nous étions des milliers ! Le bouche-à-oreille a fonctionné et il y avait aussi le métro à cet endroit donc cela facilitait les déplacements. 

Flavia Rando : Le Stonewall Inn était un bar pour les hommes gays donc il aurait été très peu probable que je m’y trouve. Mais j’avais entendu parler des émeutes, je ne sais plus vraiment comment. Je vivais dans l’East Side et je suis allée dans le West Village parce qu’il me semblait que c’était très important ce soulèvement queer. C’était la première fois qu’on contre-attaquait donc j’ai fait une sorte de pèlerinage là-bas, pendant une journée. J’ai vu le feu qui brûlait encore dans les poubelles… Et quelques temps plus tard, peut-être une ou deux semaines après les émeutes, j’ai croisé une amie dans le bus, Martha Shelley. Elle m’a dit 'on est en train d’organiser le Gay Liberation Front (GLF). J'ai répondu 'j’aimerais le rejoindre'. Je suis donc allée à la deuxième réunion du GLF.

Justement, qu’avez-vous fait après Stonewall ?

Fred Sargeant : Beaucoup de choses se sont passées après. Flavia et moi avons tous deux travaillé dans ce groupe, le Gay Liberation Front. J'ai aussi été membre du Homophile Youth Movement in Neighborhoods. On a continué à organiser tout ce qu’on avait fait pendant Stonewall mais avec plus d’intensité. 

Flavia Rando, vous n’avez pas participé aux émeutes mais vous avez rejoint le combat de la communauté LGBTQ juste après, pourquoi ?

Flavia Rando : Être jeune femme lesbienne à la fin des années 1960 signifiait une existence très difficile et punitive. Nous étions suivies dans les rues, menacées… Nous étions insultées ! Au College où j’allais toujours [établissement qui accueille les néo-bacheliers avant l’université, ndlr], les femmes n’avaient pas le droit de porter de pantalon. Vous étiez renvoyée à la maison si vous portiez un pantalon ! La première fois que j’ai voulu aller dans un bar lesbien, qui était aussi tenu par la mafia, les videurs nous ont refusé l’entrée. Ils disaient que la police avait fait une descente la veille et que seules les femmes en jupe pouvaient entrer. C’était très difficile de se faire des amies, de trouver une communauté. Vous sentiez toujours le danger présent : vous pouviez être arrêtée, être tuée, sans que personne probablement ne s’en soucie. De nombreuses femmes qui étaient arrêtées dans des bars lesbiens étaient violées. Bien sûr, nous ne parlions jamais de cela mais nous savions toutes que c’était possible. Les femmes 'masculines' devaient porter des sous-vêtements féminins. Comment la police savait quels types de sous-vêtements vous portiez ? Je vous laisse y réfléchir… C’était une vie extraordinairement difficile et j’avais eu une enfance très protégée donc c’était un grand choc pour moi.

D'où votre engagement au sein du Gay Liberation Front ?

Flavia Rando : À la minute où je suis entrée à la première réunion du GLF, j’ai su que cela allait changer ma vie. Parce que le GLF accueillait tout le monde : les personnes trans, les gays, les lesbiennes, les personnes de couleur, les jeunes gens qui avaient perdu leur maison et vivaient à la rue, toute personne qui voulait participer avait une voix. Et j’ai beaucoup respecté cela. Il y avait déjà eu d'autres associations LGBTQ avant, mais nous étions la première organisation politique qui disait 'on n’est pas comme vous, on ne veut pas être comme vous, on veut utiliser nos différences comme un outil de justice.' Nous avons été les premiers à dire 'on ne changera pas qui on est'. Dans d'autres associations, lors des manifestations, les femmes devaient porter des tailleurs ou des robes, les hommes, des costumes-cravates. Nous n'avions aucune règle. Et c’est pour cela que nous avons été capables de changer les choses et que les gens pensent à Stonewall et au GLF comme le commencement, mais il y avait de nombreuses personnes avant. Essayer de prétendre que nous étions comme tout le monde quand nous étions victime de harcèlement, d’homophobie, de discriminations depuis des dizaines d’années, cela n’aurait pas marché. 

Qu’avez-vous fait avec le Gay Liberation Front ?

Flavia Rando : Nous avons commencé à organiser des manifestations. L’une des premières dont je me souviens était contre le Village Voice, qui était supposé être le journal progressiste du Village. Mais ils refusaient d’écrire le mot "gay" et n’utilisait que le terme "homosexuel". C’était un terme médicalisé, formulé en opposition à la normale "hétérosexuel" et nous ne voulions plus qu’il soit utilisé. On refusait d’être défini par un terme médicalisé de la normalité et de la déviance. 

Puis nous avons aussi planifié des soirées dansantes, libérées de la mafia. C’était une énorme avancée pour nous. Pour la première fois, nous n’allions pas être contrôlées pendant qu’on s’amusait ! Des mafieux ont tout de même essayé de nous dissuader. Ils avaient peur que les bars perdent de l’argent… Qui voulait être dans un endroit où il y avait des lesbiennes ? Je ne peux pas vous dire le manque de respect, il n’y a aucun moyen d’exprimer cela. Des hommes armés sont venus à la porte mais nous n’avons pas été dissuadées et vous savez quand des femmes se lèvent contre des hommes, les hommes sont si choqués ! Et pour la soirée dansante, environ 2 ou 300 femmes sont venues, dont Susan Sontag. On a passé un moment merveilleux et c’était le début… 

Ensuite, on a formé un collectif, à côté du GLF, les lesbiennes radicales, et on a organisé des soirées dansantes, des lectures de poésie, des productions de théâtre, des installations d’art, y compris des marches et des manifestations. On ne s’arrêtait jamais ! 

Et c’est suite à toutes ces actions qu’est née la première Gay Pride à New York ?

Fred Sargeant : Quand Stonewall est arrivé, il y avait une manifestation qui était organisée quelques jours plus tard appelée "The Annual Reminder" [littéralement, le "rappel annuel" organisé tous les 4 juillet à Philadelphie, où des gays et lesbiennes demandaient l’égalité de leurs droits, ndlr]. C’est un mouvement qui a été lancé par Craig Rodwell, cinq ans plus tôt. Mais ce jour-là, Craig m’a dit ‘on va faire le dernier Annual Reminder. Après, cela se passera à New York et ce sera à propos de Stonewall’. La première pride a été un processus compliqué parce qu’il y avait tant d’associations différentes à New York. Et rassembler tout le monde, sur le même thème, était difficile. Finalement, nous avons proposé une marche commémorative en juin, le jour anniversaire de Stonewall. Un comité a été créé, The Christopher Street Liberation Day, et c’est lui qui a coordonné tous les groupes new-yorkais. C’était le début de la marche des fiertés. 

Randy Wicker, autre pionnier du militantisme LGBTQ aux États-Unis, raconte le moment où Craig Rodwell a proposé une marche pour remplacer "The Annual Reminder" (en anglais, interview complète à retrouver ici)

Comment était-ce ?

Fred Sargeant : C’était phénoménal. Avec l’un de mes amis de la marche, Bob Kohler, on bougeait tellement ce jour-là qu’il a dit 'à la place d’une marche, on aurait dû appeler cela une course !' On marchait si vite pour rejoindre Central Park, cela représentait 60 blocs. On était des milliers de personnes. 

Flavia Rando : Nous avons dû marcher sur la moitié de l’avenue, sur l’autre il y avait les voitures qui roulaient très vite. N’importe laquelle de ces voitures aurait pu faire un écart et tuer quelqu'un. Nous étions effrayé.es, c’est pour ça que nous courions ! Quand Fred disait que c’était une course, il y avait à la fois l’énergie de l’excitation et celle de la peur. Puis nous sommes tous allés à Central Park. Et on a eu un 'gay in', nous nous sommes assis, embrassés, nous avons chanté et nous voilà : des milliers de queer people, dehors en train de chanter : 'Nous sommes votre pire peur, nous sommes votre meilleur fantasme et nous sommes là !'

Les manifestant.es à Central Park à New York le 28 uin 1970 lors de la première Gay Pride
Les manifestant.es à Central Park à New York le 28 uin 1970 lors de la première Gay Pride Crédits : Diana Davies/The New York Public Library

50 ans après les émeutes de Stonewall et le début de la lutte pour les droits des personnes LGBTQ , le chef de la police de New York s'est récemment excusé pour les violences policières commises en 1969. "Ce qui s'est passé n'aurait pas dû se passer, a déclaré James O'Neill, le chef de la police. Les actions du NYPD ont été une erreur, c'est aussi simple que cela. Les actions et les lois étaient discriminatoires et tyranniques, et pour cela, je m'excuse". Ce 30 juin 2019, trois millions de personnes sont attendues pour la WorldPride, plus grand rassemblement LGBTQ au monde et marquer ainsi le 50e anniversaire de ces émeutes. Jusqu'au 13 juillet prochain, la New York Public Library consacre une grande exposition aux 50 ans de Stonewall, à travers les photos de Diana Davies et Kay Tobin Lahusen, rares photographes à avoir couvert ces événements à l'époque.

En France, la ville de Paris a récemment inauguré la Place des émeutes de Stonewall. Elle se situe dans le 4e arrondissement, au sein du quartier du Marais. Suite à une proposition de l'élu du 12e arrondissement Jean-Luc Roméro, 25 places ou rues à divers endroits de la ville porteront désormais le nom d'une personnalité LGBTQ .

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