Stan the Flasher


C’est au Raphael que Serge Gainsbourg s’attaque au scénario de Stan The Flasher, le film qui l’obsède depuis quelques mois et qu’il écrit avec en tête l’interprète dont l’image s’est gravée dans son mental, Claude Berri.

Stan, c’était le prénom du personnage joué par Serge dans « Charlotte For Ever ». Stan The Flasher, c’était aussi le surnom de Stan Harrison, son saxophoniste, quand il le présentait sur scène. Résumé, à nouveau squelettique, du concept :

« Flasher » du mot flash c’est de l’amerloque, traduction latérale exhibitionniste, déviation sexuelle et morbide qui pousse certains sujets à exhiber impulsivement leurs organes génitaux à poil sous un raincoat, un imper quoi, devant les petites pisseuses lolycéennes en mâle d’initiation, Stan pratiquant en parallèle du William Shakespeare destroy. « Mettre ou ne pas se faire mettre« . If you know what i mean, avant le destroy final au finish, unhappy end. »

Gainsbourg :

«Le film était écrit pour Berri, pour sa morphologie, pour son potentiel de démence, pour son regard, son look, ses cinquante balais passés et toute la dynamique interne que je subodorais en lui. Il l’a lu et a dit Ok… »

Claude Berri :

«J’y croyais à peine, je pensais qu’il n’arriverait jamais à trouver l’argent : quand j’ai parcouru ces quelques pages, je me suis dit : « Quel est le fou qui va produire ça ? » Ensuite il est allé a l’ hosto et dès qu’il en est sorti, il m’a appelé pour m’annoncer que le tournage commençait le 20 juin. J’étais coincé mais pas question de reculer. Je l’ai fait par admiration, par amitié. »

Le producteur dément dont Berri soupçonne l’improbabilité se nomme François Ravard, ex-manager de « Téléphone« , qui réussit à monter l’opération en un temps record, avec un coup de pouce de Bertrand de Labbey et de Canal+.

François Ravard :

«Le fait de s’être fixé une date avant son opération il avait déjà décidé qu il dirait « Moteur ! » le 20 juin – l’a vraiment aidé à surmonter le blues de la convalescence, il s’est jeté comme un fou dans l’écriture. Au fur et à mesure qu’il me racontait le scénario, j ‘étais sûr que ce ne serait pas faiblard, je savais déjà que ça ne ressemblerait à rien d’autre dans l’histoire du cinéma, c’est hors de toute référence.»

Babeth Si Ramdane :

«Exceptionnellement, par amour du personnage, j ‘avais accepté de faire la scripte, en plus de la monteuse. J’ai donc minuté les scènes qui existaient déjà, j‘ai additionné et je suis arrivée à 25 minutes. J’ai dit à Serge qu’on courait au désastre mais il a écrit des scènes supplémentaires en cours de tournage, la nuit, et finalement, on a bouclé Stan à 65 minutes… Il n’était pas question de faire un téléfilm, mais un long métrage…»

Résumé de l’histoire :

Stan, répétiteur de leçons d’anglais, tombe amoureux d’une de ses petites élèves, Natacha (jouée par la très jeune et très craquante Elodie Bouchez, que l’on ne connaît encore que sous son seul prénom), tandis que se désagrège son couple et qu’il souffre de ne plus bander pour sa femme (Aurore Clément). Pris par le vertige du flash, il lui vient l’envie de montrer sa quéquette à d’innocentes gamines. Il effleure et fait mine de tripoter celle pour laquelle il succombe et se retrouve en taule avec la Corneille (Michel Robin) après s’être fait casser la gueule par le père de la petite (Daniel Duval). Au terme d’un dernier verre avec ses potes (Jacques WolfsohnRichard Bohringer, Gainsbourg lui-même), il se flingue non sans avoir, en guise de préambule, réalisé son sordide fantasme.

Claude Berri, depuis «Je vous aime», est devenu le plus grand producteur européen et vient de s’offrir un triplé magique avec « Jean de Florette » et « Manon des sources » (qu’il a en sus réalisés) et L‘ours de Jean-Jacques Annaud, qui a dépassé les 10 millions d’entrées, rien qu’en France… Il n’a plus fait l’acteur depuis un bout de temps, la dernière fois c’était pour « L‘Homme blessé » de Patrice Chéreau en 1983. Avant ça, il jouait surtout dans ses propres films.

Gainsbourg :

«Il fallait boucler le film en cinq semaines parce que Berri était indisponible au-delà. Son histoire est celle d’un désespéré, c’est un peu “Le pull marine” d’Adjani à la différence que cette fois il n’y a pas de flotte dans la piscine. Le mec plonge dans sa désespérance… C’est un film dur, très dur, et Berri est étonnant. Pendant le tournage il était toujours à cran, entre deux scènes il brassait des affaires par téléphone dans le petit bureau que je lui avais fait installer, et c’est exactement ce qu’il fallait pour le rôle. Qu’il soit à cran et qu’il crève l’écran.»

Bertrand de Labbey :

«Je suis fier d’avoir convaincu Claude Berri de jouer dans le dernier film de Serge. A la dernière minute, il ne voulait plus. Je lui ai dit : “Fais-le: pour lui, humainement”. Il a fallu que je lui dise la vérité, que Serge n’en avait plus pour longtemps, pour qu’il accepte.»

Claude Berri :

«Le premier jour de tournage je suis arrivé en râlant, plus je relisais le scénario, plus je pensais que c’était lui le personnage. Alors que l’équipe réglait les lumières j ‘ai été le voir et je lui ai dit: “Serge, qu’est-ce que je fais là ? Écoute, c’est à toi de le jouer…” Alors il a blêmi, a porté la main a son cœur sur sa chemise kaki et j’ai tout de suite arrêté mes protestations. Une heure après, au moment de tourner, il a commencé à me mimer le rôle. On a fait une prise, deux prises, et je lui ai dit : “Laisse-moi faire. Tu me diras après si ça te va mais si tu me le joues, ça n’ira pas.” Je n’avais pas du tout imaginé comment j’allais aborder mon personnage, mais comme dans la première scène qu’on a tournée j’étais supposé lire en anglais une tirade de Hamlet, que pouvais-je faire d’autre que déconner, moi qui parle si mal l’anglais ? Mais j‘ai vu qu’ il était ravi ! Alors j ‘ai compris, je me suis dit : C’est ça qu’il veut, que je déconne tragiquement. Et une sorte d’osmose s’est faite, pendant un mois je suis devenu Stan et lors du dernier plan au parc Montsouris, alors que Serge n’aurait pas osé me le demander, j ‘ai été plus loin dans l’impudeur que réclamait le rôle et je me suis vraiment montré à poil, tel que j ‘étais sous l’imper; le fait d’être nu m’a donné un frémissement dont j ‘avais besoin…»

Extrait du dialogue entre Stan et sa femme, tandis qu’elle se vernit les ongles des pieds…

Stan (morose) : Hier tu es sortie avec un bas filé à la jambe gauche et quand tu es rentrée l’échelle était a la jambe droite… (silence)

Aurore : Dis tout de suite que je fais des passes.

Stan (à la limite de l’inaudible) : Au point où on en est ça serait un bon plan. Je serais pas là à me faire chier avec tous ces p’tits connards et ces pisseuses… (changeant de registre). Cinquante balles pour une branlette, cinq cents pour une pipe et le grand jeu, un bâton…

Consterné par son anti prestation dans « Charlotte For Ever« , Serge ne se réserve qu’une seule réplique, celle de son répondeur téléphonique: «Être ou ne pas être, question réponse

On retrouve au hasard des scènes des paroles de chansons (de «Cargo culte», tiré de « Histoire de Melody Nelson« , à «La coco» de Fréhel) et l’un ou l’autre calembour fameux, genre «Il y a de l’orage dans l’air, il y a de l’horreur dans l’âge».

Serge ne sait plus quoi faire pour tirer a la ligne… Ce qui n’empêchera pas les critiques d’être globalement positives à la sortie du film, en mars 1990, et près de 60 000 cinéphiles iront en salle assister à la prestation du Flasher, tandis que le film est diffusé en exclusivité, la veille de sa sortie en salle, sur Canal+…

Claude Berri :

«C’est vrai que j’étais un peu chiant sur le tournage mais comme on ne travaillait que 34 heures par jour, en raison de ses problèmes de santé, ça collait bien à mon impatience. Contrairement à ce qu’il a raconté, je ne me suis jamais permis de dire “Moteur” à sa place, il m’est arrivé de demander le rouge sur le plateau mais c’était devenu un gag. En fait j’ai pris un plaisir infini à jouer Stan, c’est pas demain la veille que j ‘accepterai de refaire l’acteur. J’en suis très fier.»

Cadrage final caméra fixe sur main et pistolet automatique. Par la droite du cadre entre en slow motion une main féminine aux ongles vernissés. Au poignet on reconnaît le bracelet d’Aurore. Avec douceur et infinie tendresse elle retire l’arme, la pose à terre et ses doigts entrelacent ceux de notre pitoyable héros.

Vincent Leblanc


                            

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