BARNABOOTH

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«"Oisif", moi qui consumme ma vie dans la recherche de l'absolu!»

FARDEAU DU CAPITAL ET RÊVE DE L'ACTE GRATUIT: LES TOURMENTS DU RICHE AMATEUR ARCHIBALD OLSON BARNABOOTH

 

« ça fait toujours plaisir de rencontrer quelqu’un auprès de qui Gide paraît pauvre », remarquait malicieusement Charles-Louis Philippe en découvrant les Poèmes par un riche amateur, signés par A. O. Barnabooth, que lui envoyait en 1908 Valery Larbaud1. L’univers romanesque du très fortuné André Gide – cette bourgeoisie cossue dans laquelle se déchaînent les pulsions de l’« immoralisme » – apparaîtrait presque étriqué, en effet, devant la démesure du personnage de Barnabooth : ce milliardaire indolent, occupé à parcourir l’Europe à la recherche de plaisirs rares, constitue, dans son outrance même, l’un des portraits les plus marquants de la littérature française de la première moitié du siècle.

La figure de Barnabooth, dont Larbaud met en scène les aventures, s’impose dans le paysage littéraire en deux temps. Son apparition remonte au 4 juillet 1908 : le jour de la Fête Nationale des États-Unis d’Amérique (la date n’est pas innocente), Larbaud fait imprimer à compte d’auteur, sous le pseudonyme de Barnabooth, un ouvrage intitulé Poèmes par un riche amateur. Ce livre contient un petit conte moral, évidemment parodique, et un large choix de poèmes, complétés par une biographie fictive de leur auteur, c’est-à-dire de Barnabooth, par un mémorialiste zélé qui répond au nom de Xavier-Maxence Tournier de Zamble2. Une seconde version de l’ouvrage est publiée cinq ans plus tard, aux éditions de la Nouvelle Revue Française, sous le titre d’œuvres complètes de Barnabooth. Si le conte et les poèmes restent quasiment inchangés, la biographie est remplacée par un Journal intime beaucoup plus développé, qui aurait été rédigé par le milliardaire lui-même3.

Il faut reconnaître l’originalité de ce portrait, tant pour la diversité des documents qui le composent – dans les deux éditions de ses œuvres (celle de 1908 et celle de 1913), Barnabooth nous apparaît à la fois à travers sa propre production en prose et en vers (son conte, ses poésies), à travers le regard extérieur d’une biographie écrite par un tiers (le récit de Tournier de Zamble), et à travers le miroir que lui-même se tend (l’auto-analyse du journal intime) – que pour le chassé-croisé imaginaire qui s’établit entre le personnage et l’auteur : Valery Larbaud, lui-même grand voyageur, a mené la même vie dépensière que son double de papier, entre trains de luxe, paquebots et grands hôtels. Divers éléments de son journal et de sa correspondance ont alimenté directement les cahiers de Barnabooth. On devine que ce dernier est un peu plus qu’une simple invention romanesque, un peu moins qu’un véritable alter ego. Figure de la projection, sorte d’autocaricature thérapeutique, Barnabooth est à Larbaud ce que Monsieur Teste est à Paul Valéry.

Une réflexion sur le snobisme et ses représentations dans la fiction littéraire trouve en ce rapport Barnabooth-Larbaud un espace d’enquête privilégié. Larbaud nous offre en effet, en pleine Belle Époque, un traitement fictionnel tout à fait singulier du personnage du « snob » : le dilettantisme, le cosmopolitisme, le mépris pour les valeurs démocratiques dont témoigne Barnabooth finissent par composer le portrait d’un individu extravagant, en situation de rupture par rapport à la société qui l’entoure. Bien sûr, cet habitué des limousines et des wagons de première classe n’a rien du bourgeois ambitieux dépeint par Thackeray, tel que l’entendra encore Proust dans la Recherche : loin d’être un arriviste qui aspire à la noblesse de l’esprit et singe les manières de la haute société (un Gandin ou un Verdurin), c’est un très grand bourgeois auquel l’argent donne droit à tous les raffinements, toutes les excentricités. Mais il n’en mérite pas moins la qualification de « snob » : à ce qu’Émilien Carassus nomme le « snobisme ascendant » (fondé sur un désir d’assimilation à la classe supérieure), Larbaud oppose, de fait, une forme de « snobisme descendant » (la considération de la société depuis son sommet, représenté, à l’aube de la modernité, par la toute-puissance du capital4).

Mais si le portrait de Barnabooth ne contenait que ces éléments, il dessinerait un profil somme toute très convenu. C’est la voie choisie par ce personnage pour cultiver sa supériorité, et manifester jour après jour son détachement à l’égard de la société qui l’entoure, qui lui confère son principal intérêt. Ce que l’on devine derrière le portrait de Barnabooth, qui ne cesse de se déplacer et de dépenser son patrimoine, c’est une quête presque mystique de la dépossession et de l’acte gratuit. Le personnage de Larbaud ne se perd pas dans le déchiffrement subtil de « signes mondains », dans l’élaboration complexe d’une stratégie de « placement » individuel. Son désir d’élévation hors de la hiérarchie sociale, qui se fait jour alors même qu’il a touché son sommet absolu, est bien plus radical : entraîné dans une sorte de mouvement perpétuel, Barnabooth s’abandonne à l’ivresse de la magnificence, à la pulsion de la dilapidation. En ce sens, son comportement constitue à la fois la négation et le summum du snobisme. La construction singulière de ce personnage, hanté par l’idée de pureté, appelle un supplément d’enquête : d’abord par l’analyse des principaux éléments de son portrait – ce que l’on pourrait appeler l’anticonformisme “agressif” du milliardaire –, puis par l’examen de la mécanique de la dépense qui en est le véritable moteur : la dilapidation devient la seule étiquette de Barnabooth, à tel point qu’il se transforme au fil des pages en parodie du “héros mendiant” des Nourritures terrestres.

« J’ai toutes les vertus, sauf l’hypocrisie » : la façade de l’anticonformisme

 

Un conspirateur socialiste rencontre par hasard Barnabooth à Lausanne : cet émule de Bakounine, convaincu de mener à bien son entreprise de régénération sociale, demande au milliardaire – dangereux archétype, selon lui, du rentier oisif – quelle fonction il prévoit d’assumer le jour où la société capitaliste sera enfin renversée : « J’aimerais alors à exercer la profession d’agent provocateur », répond spirituellement Barnabooth5. Mais le rôle d’« agent provocateur » dont rêve Barnabooth est déjà celui que lui attribue Larbaud, dans la société bourgeoise du début du xxe siècle. L’anticonformisme constitue à l’évidence le principe de construction du personnage : il est sa matrice, la synthèse même de son fonctionnement – au moins à l’intérieur de la machine narrative du Journal. Les signes du décalage de Barnabooth occupent, dans le texte, des niveaux différents : on peut admettre qu’ils se répartissent selon trois systèmes de “codes”, sociaux et esthétiques.

C’est d’abord la posture individuelle de Barnabooth qui révèle de la provocation, en ce qu’il adopte un état d’esprit fondé sur un cocktail idéologique vigoureusement condamné, à la suite de Paul Bourget, par la France des bien-pensants : cosmopolitisme et dilettantisme. En cette époque de raidissement nationaliste – dont le culte des racines d’un Maurice Barrès est l’exemple le plus évident –, Barnabooth, qui sait manier l’oxymore, se présente, lui, comme un « grand patriote cosmopolite6 ». Insensible aux prétendues frontières des nations, il appartient à la faune des grands voyageurs, et passe son existence en compagnie d’autres exemplaires de cette société internationale, souvent “croqués” en quelques traits dans le Journal : le pique-assiette irlandais Maxime Claremoris, le marquis français Gaëtan de Putouarey, le prince russe Stéphane. Au cosmopolitisme assumé de Barnabooth – qui n’a d’autre chez-soi que le confort douillet de son wagon-salon – s’ajoute une forme aiguë de dilettantisme. Cette « science délicate de la métamorphose intellectuelle et morale », comme la définissait Paul Bourget7, explique la versatilité de ses centres d’intérêt : peu convaincu par les grandes dissertations sur l’esprit des peuples, le voyageur Barnabooth s’intéresse plutôt aux jardins de Florence, à l’architecture de Ravenne, à l’histoire locale de Saint-Marin, aux charmes de la grammaire russe. Pour Barnabooth, ce n’est que dans le détail, aussi infime soit-il, que l’on peut rencontrer la vérité.
 

Des convictions sociales pour le moins détonnantes viennent se greffer sur ce mode de vie dominé par le sentiment d’amateurisme : avec un évident cynisme, Barnabooth affiche son mépris pour les classes les plus humbles. Il est capable de s’écrier, à la lecture d’une lettre dans laquelle on lui demande de l’argent : « Je hais les pauvres ! Les ignobles Pauvres ! Les infâmes Pauvres ! Les sans-le-sou, la puante Canaille ! Je les hais, et de toute la haine que peut nourrir une âme basse de paria pour les castes supérieures8 ». Il se frotte les mains lorsque son automobile éclabousse quelque individu loqueteux, et quand un ouvrier tombe d’un toit et s’écrase à quelques pas de lui, il l’insulte pour avoir manqué de l’atteindre. À la haine chronique des miséreux de toute sorte s’ajoute le regret d’une noblesse perdue, et un sentiment général de tristesse devant la platitude de la démocratie dans le continent européen – cette vieille Europe dont les monarchies et les principautés faisaient tout le charme. On ne s’étonnera pas, dans cette perspective, de voir Barnabooth s’acheter à grands frais un titre de noblesse, ou rêver de se faire couronner roi dans un pays d’Amérique du Sud.

Tout comme les opinions politiques et sociales de Barnabooth sont à contre-courant, ses hiérarchies esthétiques sont paradoxales. La “grande culture” est négligée par cet esthète en quête de simplicité, qui refuse par exemple de visiter les traditionnels musées du Voyage en Italie – comme le musée des Offices de Florence – et se compose une visite alternative, faite de promenades dans les faubourgs populaires et de conversations avec les prostituées des quartiers louches. Le Barnabooth de Larbaud ne cache pas son plaisir d’aller voir les spectacles de cabaret, ni son goût ironique pour ce qu’il appelle « le style parvenu ». Si l’un des ses compagnons occasionnels, Max Claremoris, pend un jour un écriteau portant l’inscription « pissoir » sous une statue de Bismarck, ou s’amuse à briser en menus morceaux des statuettes de souvenirs qu’il juge de mauvais goût, jamais Barnabooth ne souscrirait à un tel comportement. Bien au contraire, le milliardaire affiche sa préférence naturelle pour les choses du bas, censées renfermer une spiritualité plus authentique. S’il s’amuse à provoquer, c’est plutôt pour déprécier sa propre production littéraire. « C’est malheureux, pour un poète français, de ne pas savoir le français. […] Je sais bien que je ne suis pas le seul, mais cela ne me console pas9 », déclare par exemple Barnabooth à un journaliste. Ailleurs, il confesse : « Je ne relis jamais mes poèmes, je les fuis comme le criminel fuit le lieu du crime10 ». Ce n’est pas un hasard si Barnabooth intitule la première partie de ses poésies les « Borborygmes », et prévoit d’y adjoindre une autre section intitulée « Déjections ». C’est une façon de donner un parfum de déglutition, et un arrière-plan presque excrémentiel, à sa propre production : d’ailleurs le “vrai” Larbaud parle de jeter le livre « aux ordures, c’est-à-dire au public11 ».

La dispersion du portefeuille : une existence vécue à fonds perdu

 

Le croisement de ces divers codes comportementaux définit le personnage de Barnabooth. Nul doute que le milliardaire créé par Larbaud est un caractère romanesque outrancier, conçu par l’assemblage et l’emphatisation de traits provocants : Barnabooth est à Larbaud ce que Mister Hyde est au docteur Jekyll – ou Ubu roi à Alfred Jarry –, comme si l’écriture offrait à l’auteur un dérivatif et un exutoire à ses mauvaises pensées. Mais la valeur de Barnabooth ne saurait être réduite à la fonction d’exorcisme qu’il remplit par rapport à son créateur. Reste un point central, essentiel, qui non seulement offre la clef de compréhension de Barnabooth (en ce qu’il unifie tous les comportements qui ont été évoqués), mais permet à l’écriture de dépasser la caricature comique, en inscrivant le personnage dans une véritable dynamique.

Exactement inverse de l’avarice, le ressort qui fait mouvoir Barnabooth est un élan de dépense continuelle, de prodigalité et de munificence. Ce mouvement, que l’on pourrait dire anti-chrématistique, se fonde sur un acte symbolique préalable, que Barnabooth appelle la « dématérialisation » de sa richesse. Ce geste est réalisé, dans le temps de la fiction, juste avant le début du journal intime : un jour, las de se sentir l’esclave de la fortune et de ses devoirs sociaux, Barnabooth vend ses châteaux, son yacht, son écurie de course, son casino, ses automobiles et ses immenses propriétés. Il en tire une rente colossale, mais purement abstraite : cette manne prend la forme d’un compte en banque au solde presque infini. Seul un administrateur de biens s’occupe désormais de gérer ses affaires. Cet acte fondateur libère Barnabooth de toute obligation : détaché de tout, le milliardaire est désormais libre de démultiplier ses possibilités d’existence, notamment par le voyage. Il fait accrocher son wagon personnel aux divers convois ferroviaires qui sillonnent le continent et entame ainsi un long pèlerinage en Europe, sans suite et sans bagages (il lui suffit de racheter, à chaque étape, ce qui lui est nécessaire). C’est littéralement ce que l’on appelle « rouler sur l’or ». De fait, si Barnabooth est condamné à être partout étranger, il est aussi partout chez soi en Europe : celui qui n’est d’aucun pays peut élire domicile où bon lui semble. Tout au plus se sent-il attiré par des territoires très limités, au charme familier. Dans le deuxième cahier du journal intime, il s’attarde ainsi dans la petite République italienne de Saint-Marin, minuscule bout de terre, état de poche enfin à sa mesure : « ce petit rond qu’on voit sur les cartes, vous savez, la rosette que l’Italie porte à sa boutonnière12 ».

Mais la libido du luxe subsiste, alors même qu’elle est sans objet. C’est pourquoi Barnabooth décrit à plusieurs reprises ce qu’il appelle ses « crises de boutiquisme13 » : où qu’il se trouve, dans une sorte de raptus pathologique, le personnage se met à acheter des objets précieux en pure perte. Le résultat de ces achats – si l’on met bout à bout toutes les scènes qui les évoquent – est un bric-à-brac absurde, une sorte de caverne d’Ali Baba du milliardaire : on y trouverait des chemises, des cannes, des articles de voyage, des objets de cuir divers, mais aussi, de façon plus inattendue, un baromètre, une boussole, un podomètre, un compas, de la lingerie féminine, des valises plates destinés à ne jamais servir, des miroirs, des statuettes, et même des papiers peints et des objets d’ameublement divers14.

En soi, le geste typiquement touristique de l’emplette n’a rien de singulier – mais la condition de voyageur sans bagages de Barnabooth le prive de son sens : l’achat est invariablement abandonné sur place, transformé en don pour le personnel de l’hôtel ou laissé en deshérence. L’acquisition devient une fin en soi, un acte vide, sans conséquences. Le sommet est atteint dans un passage du journal intime rédigé à Florence. Si cette scène n’est évoquée que brièvement, elle a une valeur emblématique : après une frénésie d’achats, Barnabooth, soudain lassé, décide de propulser les valises qui l’encombrent par les fenêtres, depuis sa chambre d’hôtel, de façon à les faire tomber dans le fleuve qui passe au-dessous15. Cette image exemplaire de potlach, ce feu d’artifice planifié à minuit, sont extrêmement frappants. Ils illustrent littéralement l’expression jeter son argent par la fenêtre : ce sacrifice rituel, par certains aspects primitif, est la fête solitaire de Barnabooth.

Entre esthétique et éthique : une “étiquette” de la dilapidation

 

Comment interpréter cette pulsion, dont la scène de l’hôtel Carlton offre une réalisation exemplaire ? Ni manifestation purement esthétique, ni témoignage d’une éthique (fût-elle paradoxale), on pourrait dire que ce penchant pour la dilapidation constitue une “étiquette”, au sens mondain du terme : à la fois signe de reconnaissance et marqueur social, la dilapidation caractérise la personne de Barnabooth, dans son être individuel et son apparence collective. Au-delà de sa fonction ludique et humoristique, la construction fictionnelle de Barnabooth acquiert par ce biais ce que l’on pourrait appeler une fonction idéologique : Barnabooth devient, par là, porte-parole de Larbaud – incarnation d’un système de valeurs dans lesquelles se reconnaîtrait son créateur. Forme de dandysme, ou plus justement de snobisme, on peut considérer son geste de dilapidation comme un triple pied-de-nez : à la société, à l’art, à la morale.

C’est d’abord à la société bourgeoise que semble adressé le geste de la dilapidation. Contre la possession matérialiste et le culte de l’épargne, Barnabooth assume pleinement son existence dépensière et sans attaches. Son rêve de liberté matérielle dérive de la conviction que l’argent, clef de voûte de la société capitaliste, constitue une entité sordide et crasseuse, qu’il faut jeter loin de soi. Le proverbe dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais la fortune initiale du père de Barnabooth est fondée sur le commerce du guano : en ce sens, elle sent mauvais. On ne peut s’empêcher d’imaginer, de la même façon, que la richesse de son ami le marquis de Putouarey sent un peu le putois. Barnabooth s’exprime très clairement à ce sujet : « Les affaires, quelle honte ! […] Le commerce, c’est la prostitution. […] La propriété immobilière, quelle souillure16 ! ». De plus, l’argent est représenté comme une puissance malfaisante, qui est non seulement « sale » mais salissante, car elle entraîne le mal avec elle. Force diabolique, qui invite aux pires corruptions, il faut s’en débarrasser au plus vite. Une scène montre Barnabooth méditant, tel un nouvel Hamlet capitaliste, devant un billet de vingt Livres Sterling, et imaginant tout le mal qui pourrait découler de cette somme17. Dans ses moments de faiblesse, il cède d’ailleurs à cette volonté de puissance, qui devient désir d’humiliation des pauvres : c’est bien son intuition de la pureté inaccessible, presque sacrée, de la pauvreté qui le conduit à ses accès de sadisme.

Le geste de la dilapidation doit également être mis en rapport avec les prétentions littéraires de Barnabooth (qui symbolisent celles de Larbaud lui-même). En un moment historique déterminant, où le monde de l’art se constitue comme un contre-modèle par rapport à l’univers économique, comme l’observait Bourdieu18, le refus de la logique commerciale aboutit nécessairement à une conception de la littérature comme exercice désintéressé : dans la société industrielle, les esthètes qui prétendent “résister” à la mécanique du profit définissent le beau comme ce qui est fondamentalement improductif. Devant ce champ littéraire de plus en plus sélectif, qui voit dans la bourgeoisie un repoussoir, Barnabooth pourrait plaider sa cause en rappelant qu’en tant que « riche amateur », il mérite d’être considéré comme un artiste, car il n’a aucune préoccupation de réussite financière. Quoi qu’il fasse, pourtant, sa fortune témoigne encore de ses accointances avec la sphère du commerce. Il faut donc dépenser au plus vite cette richesse qui fait “mauvais genre” pour faire oublier ses compromissions : le sacrifice du portefeuille correspond à la fois à un acte d’allégeance et à une demande d’admission dans le système des lettres19.

Plus largement encore, au-delà du ticket d’entrée qu’elle procure dans le monde de l’art, la manie dépensière de Barnabooth semble illustrer un désir de liberté totale, sur le modèle du message des Nourritures terrestres. C’est là, en définitive, sa véritable finalité : contre les chaînes de la propriété, certes, mais surtout contre toutes les valeurs apprises, Barnabooth aime se représenter en « homme libre20 ». Deux métaphores apparaissent dans le texte pour illustrer le rêve de faire de la dépossession une purification : celle (religieuse et “élevée”) du vêtement que l’on enlève – Barnabooth s’imagine rejetant ses biens « comme un vêtement trop lourd21 » – et celle (décidément plus scabreuse) de la digestion et de l’expulsion. Il s’agit de faire sortir de soi chaque élément impur, chaque scorie du passé. On pourrait rappeler, dans cette perspective, que Valery Larbaud doit sa fortune à une eau digestive, cette eau de Saint-Yorre connue pour faciliter le transit intestinal : c’est précisément cette potion cathartique et laxative que semblent chercher ensemble Larbaud et Barnabooth. Façon de réactiver « le lien, connu depuis Galien, […], entre la digestion et l’envol, l’humeur noire et l’exaltation, la concoction et la sublimation », comme le remarque fort justement Jean Clair22. « Et, dans le fond, le snobisme, ça ne proviendrait pas du foie ? Ou d’une constipation tenace, peut-être... Je serais toubib, j’aurais à cœur de me pencher sur la question. Je voudrais leur explorer le côlon à ces frangines malgracieuses, leur passer tous les orifices au rince-bouteille, histoire de m’assurer que ça ne vient pas d’une quelconque obstruction », pourrait poursuivre un San-Antonio curieusement en phase avec les difficultés digestives de Barnabooth23. L’horizon ultime de cette entreprise purgative (dans tous les sens du terme...) serait, on le devine, le retour à une condition d’humble pèlerin, sillonnant librement les routes : pauvreté totale, absolue, parfaite – ou mieux, légèreté du corps et de l’esprit, opposée à la pesanteur du monde matérialiste. De fait, au terme du livre, lorsque Barnabooth se décide à revenir sur son continent, il se présente au lecteur comme un « mendiant qui remercie24 ». Plus qu’à l’anéantissement financier, Barnabooth aspire par là à la « nullité » : n’être rien d’autre que soi-même, atteindre l’inutilité parfaite, c’est-à-dire l’absence de position sociale. S’il n’a pas de place dans la hiérarchie humaine, il atteindra peut-être le cœur secret des choses.

« Ardente quête de Dieu » ou vertige du néant ? Barnabooth contre Ménalque

 

La finalité secrète de la dilapidation est donc la conquête d’un état de pureté inconditionnée. La parabole de Barnabooth semble devoir réaliser exactement l’idée de la « gratuité », dans toutes ses connotations : économiques (pour lui, qui est immensément riche, tout est gratuit) mais surtout morales (ses actes tendent à devenir des « actes gratuits »). Cette deuxième valeur est d’une grande importance. Dans la logique de Barnabooth, seule la dilapidation peut donner accès à l’indépendance de jugement et au libre-arbitre : celui-ci est considéré, de façon presque mystique, comme un absolu. Dans une des pages du journal, Barnabooth parle même de sa recherche comme d’une « ardente quête de Dieu25 ». Mais dans le même temps, cette aspiration est dépeinte avec une évidente ironie. Le journal et les poèmes sont construits sur un va-et-vient incessant entre idéal de la quête et dépréciation ironique de ses résultats, mystique de la pureté et impossibilité de la réalisation. De ce point de vue, certaines pages de Barnabooth pourraient presque être comprises comme une parodie d’André Gide et des Nourritures terrestres : ce Gide qui est, autour de 1910, le modèle libertaire d’une génération d’écrivains, ces Nourritures terrestres qui représentent depuis 1897 la bible de l’émancipation. Est-ce que le véritable snobisme de Larbaud ne s’exprime pas, au-delà de la marionnette de Barnabooth, dans l’écriture elle-même, à travers la subversion de ce modèle ? Cette hypothèse mérite d’être analysée plus précisément : les tourments de Barnabooth offrent peut-être une réponse (voire un antidote) à la sagesse de Ménalque.

Un certain nombre de détails construisent un jeu d’échos entre les deux œuvres. Ainsi, le geste de « dématérialisation » que réalise le milliardaire au début de son voyage mime avec humour la « dépossession » prônée par les Nourritures terrestres26 : Barnabooth applique scrupuleusement le conseil du personnage de Gide, qui invitait à abandonner toute propriété matérielle – mais cet acte généreux produit un cataclysme inattendu : la vente soudaine de ses biens, loin d’être sans conséquences, fait chuter ses actions et manque de ruiner des milliers de petits épargnants (par ailleurs, si Barnabooth est un « homme libre », il n’en garde pas moins la pleine souveraineté sur son compte en banque et son chéquier). De même, Barnabooth semble bien réaliser, à première vue, cet “état nomade” valorisé par les romans gidiens. Pourtant, le “voyage de Barnabooth” n’a rien d’un conte initiatique. Le sentiment de l’exotisme, le frémissement de l’aventure et du dépaysement, ne traversent que rarement les pages du journal (rien ne ressemble plus à un palace qu’un autre palace : le milliardaire se sent partout chez lui27). Enfin, l’idée de jeter son livre à la fin du voyage – Barnabooth, avant de rentrer sur le continent américain, publie son recueil de poèmes – fait songer au geste suggéré à Nathanaël au terme de son initiation : « Nathanaël, à présent, jette mon livre », dicte impérieusement Ménalque28. Sauf qu’ici le livre abandonné ne signifie par l’accomplissement de la formation, mais le renoncement mélancolique à tout apprentissage. Sensible à ces échos, Gide, lisant les poèmes de Barnabooth, établit un lien de filiation avec les Nourritures, et relève la rouerie du personnage par rapport aux héros de son livre. Il écrit aussitôt dans son journal : « Amusants, ces poèmes de Valery Larbaud. En les lisant, je comprends que dans mes Nourritures, j’aurais du être plus cynique29 ».

Au-delà de ces discrets parallèles, c’est bien évidemment l’idée gidienne de l’acte gratuit – symbole du plus parfait désengagement – qui conduit à une distorsion ironique. C’est moins le souvenir précis des Nourritures terrestres que celui d’un ensemble plus vaste, composé par l’Immoraliste et les Caves du Vatican, qui apparaît au lecteur d’aujourd’hui. On se souvient du geste impulsif de Lafcadio, qui propulse hors d’un train un compagnon de voyage dont il ne sait rien, pour mettre à l’épreuve sa propre liberté : cette expérimentation ontologique – qui vise à découvrir si l’acte sans cause, sans motivation, existe – traduit le nihilisme du personnage, que l’on imagine avoir lu et médité Nietzsche. Chez Valery Larbaud, on trouve une préoccupation semblable et des situations analogues30. Mais dans le journal intime de Barnabooth (dont la rédaction précède, rappelons-le, les Caves du Vatican), ce thème s’offre à une sorte d’anticipation en miniature : le milliardaire s’essaie non au meurtre, mais au vol. Encore ne vole-t-il qu’une ridicule petite clochette, et divers objets de papeterie, avant de visiter une prison, pour comprendre la mécanique de la punition. Mais le châtiment, qui semble totalement détaché du crime qui l’a entraîné, est perçu comme parfaitement inutile. Le seul “meurtre” de ce livre, tout à fait involontaire, sera celui d’un insecte : un petit grillon est mis à mort accidentellement par son ami le marquis de Putouarey31. Dans les mains du marquis, le grillon remplace l’innocent Fleurissoire des Caves du Vatican. On le voit, ces quelques actions – qui peuvent être lues comme une mise à l’épreuve des préceptes gidiens – scellent l’impuissance finale de Barnabooth. En définitive, note le personnage gagné par le sentiment de l’absurde, « nos actions ressemblent à des gestes ébauchés, à des bras tendus dans le vide. […] Nous ne pouvons rien sur les événements, et les événements ne peuvent rien sur nous, quoi qu’on en pense32. »

Le personnage de Barnabooth peut être pris pour emblème d’un snobisme conçu moins comme désir de distinction que comme quête d’un au-delà social absolu : il ne s’agit pas, pour le milliardaire, d’échapper à une classe sociale précise, mais de fuir la société tout entière. En ce sens, il incarne ce que l’on pourrait appeler, faute de mieux, le rêve d’un snobisme intégral, basé sur le détournement méthodique des valeurs collectives. Marcel Ray remarquait à juste titre que « Barnabooth est le héros éponyme du dernier siècle de notre culture, le Julien l’Apostat du capitalisme mourant33 » : si l’on adopte cette perspective, l’élan presque mystique de la dilapidation, qui est au centre du livre, doit être placé au sein d’un ensemble plus vaste, qui englobe non seulement la rupture sociale, mais la subversion facétieuse de tous les codes culturels, notamment littéraires. Point de salut au-delà du jeu avec les références culturelles, entre légèreté et autodérision, point d’échappatoire hors de l’humour. La publication du livre de Barnabooth, abandonné avant son retour aux Amériques, est d’ailleurs présentée comme un dernier canular : ayant bien digéré les Nourritures terrestres, à l’aide de l’eau Saint-Yorre, le milliardaire laisse le dernier mot du journal à un perroquet, qui, par un ultime exemple de ventriloquie, conclut dans une éructation, en lieu et place de l’auteur.


Paul-André Claudel 


Notes:

1 C’est André Gide, beau joueur, qui transcrit ce trait dans son journal, à la date du 28 juillet 1908 (cf. André Gide. Journal1887-1925. Gallimard, Paris, 1996, 602).

2 Poèmes par un riche amateur ou œuvres françaises de M. Barnabooth. Librairie Léon Vanier, Paris, 1908 (227 p.). Au terme du livre, en guise de postface, le biographe de Barnabooth réunit de faux extraits de presse qui saluent l’originalité de cette œuvre.

3 A. O. Barnabooth : ses œuvres complètes, c’est-à-dire un conte, ses poésies et son journal intime. Éditions de la Nouvelle Revue Française, Paris, 1913 (430 p.). Dans cette seconde édition, le nom de Larbaud apparaît directement sur la couverture : il ne fait plus de doute qu’il est l’auteur, même si un « avertissement », placé au début du livre, présente encore les textes de Barnabooth comme des originaux.

4 Cf. Émilien Carassus. Le snobisme et les lettres françaises de Paul Bourget à Marcel Proust (1884-1914). Armand Colin, Paris, 1966, 29 : « [Le] snobisme mondain peut être ascendant – fait de désir, d’insatisfaction, d’admiration servile, exclusif de tout ce qui n’est pas dans le cercle convoité, ou descendant – fait de mépris, de la conscience d’appartenir à une caste jugée supérieure ».

5 Valery Larbaud. A. O. Barnabooth. Ses œuvres complètes, in Œuvres. Gallimard, Paris, 1958, 1153.

6 Larbaud 1958, 1145.

7 Paul Bourget. « Du dilettantisme », in Essais de psychologie contemporaine. Études littéraires [1883]. Gallimard, Paris, 1993, 37-44. Rappelons que chez Paul Bourget, le jugement sur le dilettantisme subit une mutation radicale à partir de 1889 : ce qu’il avait considéré comme une « science délicate » devient, avec Le disciple (1889) et Cosmopolis (1893), la tare d’une génération incapable de s’enraciner durablement et de rendre compte de ses choix. Pour une excellente synthèse sur le sujet, cf. Marten Van Buuren, « Le dilettantisme, style de vie », Poétique. Paris, France. 2004 ; 137 : 53-72.

8 Larbaud 1958, 95.

9 Larbaud 1958, 1147.

10 Larbaud 1958, 1148.

11 Valery Larbaud - Marcel Ray. Correspondance 1899-1937, introduction et notes de Françoise Lioure. Paris, Gallimard, 1979, vol. I, p. 237.

12 Larbaud 1958, 167.

13 Larbaud 1958, 104.

14 Larbaud 1958, respectivement 87, 104, 105, 217 et 280.

15 Larbaud 1958, 105 : « J’ai trop d’articles de voyage. Je vais m’amuser à les jeter, après minuit, de mon balcon dans l’Arno. Vraiment, il n’y a rien de plus gênant, en voyage ».

16 Larbaud 1958, 131.

17 Larbaud 1958, 92-93 : « Je ne voyais avec netteté que le mal que je pouvait tirer de ce papier. Cette vision était si délicieuse et si douloureuse qu’aussitôt une sorte de fièvre m’agitait. Au contraire, je n’arrivais pas à voir le bien que j’aurais pu faire ; et dès qu’il me tentait un peu, c’est qu’un élément de cruauté ou du moins de curiosité s’y mêlait ».

18 Pierre Bourdieu voit dans le microcosme artistique en cours de cristallisation au début du siècle une « économie à l’envers », fondée sur la « reconnaissance obligée des valeurs du désintéressement », sur la « dénégation […] du “commercial” » et sur le refus du « profit “économique” (à court terme) » (Pierre Bourdieu. Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Seuil, Paris, 235).

19 Mais rien n’y fait – il restera toujours un doute. Ayant publié la première édition de ses poèmes, au terme du journal, Barnabooth meurt d’envie de demander à ses amis artistes : « Enfin, franchement, me considérez-vous comme un des vôtres ? » (Larbaud 1958, 293).

20 « Mon premier voyage d’homme libre », écrit Barnabooth dans les premières pages de son journal (Larbaud 1958, 88). Rappelons également que Larbaud avait songé à intituler la deuxième édition de son ouvrage « Journal d’un homme libre », sur le conseil d’André Gide.

21 Larbaud 1958, 98.

22 Jean Clair. Journal atrabilaire. Gallimard, Paris, 2006, 183-184.

23 San-Antonio. Béru contre San-Antonio. Paris, Fleuve Noir, 1967, 49-50.

24 Larbaud 1958, 301-302 (cette phrase était déjà présente, dans « Chant de la variété visible », un poème de la première édition finalement écarté par Larbaud : « Je suis un passant comme les autres ; | | Je suis le mendiant qui remercie »).

25 Larbaud 1958, 90.

26 André Gide. Les nourritures terrestres, in Id. Romans, récits et soties, œuvres lyriques. Gallimard, Paris, 1998, 585.

27 En vérité, le voyage de Barnabooth se fonde sur un principe mécanique, presque abstrait, de resémantisation de formules lexicalisées liées à la sphère de l’argent : des expressions telles que « rouler sur l’or » ou « jeter son argent par la fenêtre » – en passant par le proverbe « l’argent n’a pas d’odeur » et par la thématique de l’« acte gratuit » – trouvent dans les textes de Barnabooth une mise en pratique immédiate. Comme si le personnage était condamné à parcourir, étape par étape, une sorte de dictionnaire des expressions et locutions dérivées de l’univers monétaire, et à en réaliser les diverses entrées – comme autant d’épreuves ou de gages – dans le monde réel.

28 Gide 1998, 449-501.

29 Gide 1996, 602.

30 On peut songer, en particulier, au geste de Gaston D’Ercoule, premier personnage imaginé par Valery Larbaud : un soir d’ennui, alors qu’il se trouve au théâtre, ce jeune homme laisse volontairement tomber sa lorgnette dans la salle, avec l’idée de blesser quelqu’un. « Précurseur insolite de Lafcadio, […] il a besoin d’agir sans raison, par pur caprice », remarque en note Gerges Jean-Aubry (Larbaud 1958, 1128).

31 Larbaud 1958, respectivement 90 et 183.

32 Larbaud 1958, 110.

33 Larbaud - Ray 1979, 212.

Bibliographie:

Œuvres et correspondance de Valéry Larbaud

Larbaud Valery. Poèmes par un riche amateur ou œuvres françaises de M. Barnabooth.
Librairie Léon Vanier, Paris, 1908.

Larbaud Valery. A. O. Barnabooth. Ses œuvres complètes, in Œuvres. Gallimard, Paris,
1958.

Larbaud Valery, Ray Marcel. Correspondance 1899-1937. Gallimard, Paris, 1979-1980
(vol. 3).

Larbaud Valery. Mon itinéraire. Août 1881 - Septembre 1926. Édition des Cendres, Paris,
1986.

 

Quelques références critiques sur Valery Larbaud

Hommage à Valery Larbaud, numéro spécial de la Nouvelle Revue Française. Paris,
France, 1957 : 57.

Valery Larbaud et la littérature de son temps. Klincksieck, Paris, 1978

Valery Larbaud. La Prose du monde. P.U.F., Paris, 1981

Chevalier Anne. L’égotisme dans l’œuvre de Valery Larbaud. Atelier de reproduction des
thèses, Lille, 1980.

Dodille Norbert. « Larbaud et Barnabooth, Barnabooth et Larbaud », in Récits du dernier
siècle des voyages. Presses Universitaires de Paris Sorbonne, Paris, 2005, 45-61.

 

Instruments critiques

Bourdieu, Pierre. Les règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire. Seuil, Paris,
1990.

Bourget, Paul. Essais de psychologie contemporaine [1883]. Gallimard, Paris, 1993.

Carassus, Émilien. Le snobisme et les lettres françaises de Paul Bourget à Marcel Proust
(1884-1914). Armand Colin, Paris, 1966.

Clair, Jean. Journal atrabilaire. Gallimard, Paris, 2006.

Du Puy de Clinchamps, Patrice. Le snobisme. P.U.F., Paris, 1964. 

Fatta, Corrado. Du snobisme. Buchet-Chastel, Paris, 1961.

Hugot, Jean-François. Le dilettantisme dans les lettres françaises d’Ernest Renan à Ernest
Psichari. Atelier de reproduction des thèses, Lille, 1984.

Van Buuren, Marten. « Le dilettantisme, style de vie », Poétique. Paris, France. 2004 ;
137 : 53-72.


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