Jean Cau : portraits croqués de De Gaulle et Mitterand
PORTRAIT DE FRANÇOIS MITTERRAND
Jamais, je crois, je n'ai lu sur les traits d'un homme politique autant d'insincérité cruelle. Un visage dur et mou à la fois, hardi et veule. (Dans le Midi, nous dirions qu'il a l'air franc comme un derrière de mule.) Le nez est pointu comme celui d'un mauvais diplomate italien du XVIIe siècle; les yeux ont la lueur animée qui traîne dans les regards des coiffeurs pour dames hétérosexuels à prétention donjuanesque. La bouche est large et molle. Elle réussit ce prodige d'être molle avec des lèvres minces, légèrement «à plateau» comme si elles attendaient le louche baiser de la gloire. (Il y a de l'obscénité en cette bouche.) Le bas du visage est fade, gras, irrémédiablement vulgaire. La voix est celle d'une intelligence bellâtre qui n'a jamais fréquenté que les médiocres afin de ne jamais douter de sa suffisance et de n'être jamais effleurée par le sentiment de son odorante vulgarité.
"Il n’avait pas d’os. Ses vêtements paraissaient flotter sur lui. Le regard, la peau du visage, les mains au bout de long bras, ça flottait. Il flottait sur la France, à coups de miracles, comme l’Autre marchait sur les eaux. Il y avait, en lui – cela a été dit -, de l’éléphant aux oreilles battantes et à la trompe battante. Mais aussi du monstre aquatique échoué, la moitié du corps encore immergée et qui dort ou rêve – ou guette la tête posée sur la rive du marécage. Qui, de temps en temps, pesamment, remue et grogne ; parfois avec une agilité surprenant s’agite, donne deux ou trois coups de queue et replonge sous les eaux.
Nous étions gouvernés par un animal préhistorique, d’espèce disparue et dernier représentant surgi du fond des Amazonies françaises. Lorsqu’on était en face de lui, on le regardait comme un monstre et il fascinait. Je comprenais qu’il fît merveille à la télévision. Lorsqu’il y apparaissait – les téléspectateurs ne le savaient pas mais cela voyageait dans leur inconscient, je n’en doute pas -, on ne voyait pas un homme mais un hippopotame, un énorme poisson, une baleine, un fabuleux saurien, un phoque en train de pâmer dans son naturel et glauque élément.
On voyait dans un aquarium, un animal extraordinaire. Et qui parlait !Et qui parfois agitait ses palmes, ses pattes, ses nageoires et même les dressait en l’air ! Qui s’ébattait, en somme, avec dans la lourdeur une étrange grâce.
Mais, oui, c’est le commandant Cousteau qui aurait dû filmer les interventions télévisés de De Gaulle. Alors les Français se souvenaient, grâce au cerveau reptilien, qu’ils étaient nés, comme tous les animaux, des eaux et des lymphes originelles et reconnaissaient, sur l’écran, derrière la vitre de l’aquarium, leur premier ancêtre et le monstre vénérable d’où était sortie, à l’origine des temps, leur race. Ils effectuaient, à rebours, une brusque mutation biologique. Leur papa-grenouille, otarie et coelacanthe leur parlait et leur disait les mystères des vraies et premières profondeurs… On entendait la Marseillaise. L’écran s’éteignait. Le monstre venait de disparaître et de replonger sous les eaux. « Il n’a rien dit… » murmurait une voix. Oui mais, là était le fabuleux miracle, cet animal avait parlé."
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