Mode O' Day
.


Longtemps considérée par les fans de Robert Crumb comme une œuvre mineure dans sa pléthorique bibliographie, Mode O’Day vaut mieux que sa réputation et mérite largement d’être redécouverte. Avec ce personnage créé au milieu des années 1980 dans les pages du magazine Weirdo – dont il assure la direction éditoriale avec sa femme Aline Kominsky entre 1981 et 1993 – Crumb dresse un portrait au vitriol de l’Amérique de Reagan et de ses chimères, qui n’était que la préfiguration de notre monde actuel, dans lequel les hordes de Donald Trump sont l’aboutissement logique d’un système qui a vu l’homme, prédateur de ses semblables, se transformer en assassin de son propre environnement. Archétype de la femme dopée à la confiance et aux promesses de l’ultra-libéralisme, Mode O’Day est prête à tout pour se faire une place dans le petit monde branché de Los Angeles. Accompagnée de Doggo, un chien désabusé qui a fait de la «lose» une philosophie, et de Porpy, un marsouin condamné à la solitude par sa passion de l’informatique, elle multiplie les tentatives pour accéder à cette célébrité sans laquelle la vie ne vaut pas d’être vécue. Dernier bras d’honneur adressé par Crumb à son pays natal – qu’il quittera peu après pour venir vivre dans une France à ses yeux moins brutale – Mode O’Dayconserve toute son acidité et sa virulence. Le volume est complété d’histoires antérieures – dont les très rares strips de Roberta Smith – qui permettent de vérifier que Crumb, contempteur impitoyable de ses semblables, ne s’est jamais trompé sur le destin qui les attendait.




Robert Crumb ne se consolera jamais d’être né en 1943, quelques décennies trop tard pour rencontrer Blind Lemon Jefferson et Charley Patton. Accompagné par les mélodies mélancoliques de ces bluesmen oubliés, il regarde les hommes, lobotomisés par la société de consommation et ses médias, transformer la Terre en dépotoir et danser joyeusement au sommet de leur tas d’ordures. Produit typique de la classe moyenne américaine de l’après-guerre, Robert Crumb est exposé toute son enfance aux illusions et aux frustrations du rêve américain. Un environnement violent alimente très tôt ses inhibitions et il trouve dans le dessin, sous l’influence décisive de son frère aîné, Charles, un refuge taillé à sa mesure. La découverte simultanée des drogues et de la liberté sexuelle au milieu des années 1960 va servir de déclencheur à une œuvre dégagée de toutes conventions morales. Le malentendu qui, à l’époque, fera de lui une figure emblématique du mouvement hippie, ainsi que les traumatismes hérités de son enfance, l’amèneront à une forme de désenchantement actif et visionnaire qui alimentera de bout en bout une inspiration aussi prolifique que variée. Imperméable aux modes, l’œuvre de Robert Crumb chronique le suicide annoncé d’une humanité qui, quoi qu’elle en dise, n’a guère changé depuis l’Empire romain.




Commentaires
Enregistrer un commentaire