Le génocide nazi s'est-il inventé en Namibie


  Sur cette carte postale, des soldats emballent des crânes à destination des universités allemandes

Au début du XXe siècle, en Namibie, l’Allemagne du IIe Reich se livra à un véritable génocide des peuples herero et nama. Ce massacre oublié fut-il une préfiguration du nazisme ? Aujourd’hui les descendants des martyrs réclament réparations.
En janvier 2017, une délégation namibienne s'est rendue à New York pour déposer un recours collectif – une class action – exigeant des réparations de la part l'Allemagne. Que venaient chercher ces représentants des peuples hereros et namas, bien loin de leur pays peu connu d'Afrique australe ?

Le premier génocide du XXeme siècle 
La loi américaine permet en effet à des citoyens étrangers de porter plainte contre des violations du droit international. Et ces hommes et femmes souvent âgés étaient les porteurs de la mémoire d'une tragédie trop longtemps occultée qui réapparaît peu à peu dans toute son horreur.
L'Allemagne, il y a maintenant plus de cent ans, a été responsable de ce que les historiens considèrent comme le premier génocide du XXe siècle, avant celui, quelques années plus tard, des Arméniens : le massacre des populations hereros et namas qui s'étaient révoltées contre la domination brutale des colons allemands. Certains voient dans ce drame la préfiguration de ce que l’Allemagne nazie allait tenter juste quelques décennies plus tard : la destruction des peuples jugés inférieurs.

Un ordre écrit d'extermination
On oublie souvent que l'Allemagne a participé elle aussi à l’aventure coloniale, quand l'Europe dépeçait l'Afrique pour s'en attribuer des pièces comme dans un immense jeu d'échecs. Si elle possédait une partie du Cameroun actuel, la Tanzanie et le Rwanda-Burundi, avait aussi jeté son dévolu sur ce territoire d'Afrique australe, qui devient le Sud-Ouest africain allemand.
En 1904, les Hereros, un des principaux peuples du pays, se révoltent contre les exactions et les spoliations des colons allemands. Ils sont victorieux dans un premier temps, grâce à leurs techniques de guérilla, mais l'Allemagne, rendue furieuse des ces défaites infligées par des “sauvages”, dépêche dans la colonie rebelle le général Lothar von Trotha à la tête de milliers d’hommes. Cet impitoyable militaire, farouchement raciste, est déterminé à en finir avec les Hereros et à imposer définitivement la suprématie blanche.

Destruction et famine
Il vainc les Hereros, soit environ 50 000 hommes, femmes et enfants accompagnés de leurs troupeaux, qui sont contraints à fuir vers le terrible désert du Kalahari. Von Trotha coupe les accès aux points d'eau et les Hereros meurent de faim et de soif par milliers.
Le 2 octobre 1904, il signe un ordre de destruction, le Vernichtungsbefehl, qui déclare : “À l’intérieur des frontières allemandes chaque Herero, sans ou avec une arme, avec ou sans bétail, sera fusillé. Je n’accepterai plus désormais les femmes et les enfants, je les renverrai à leur peuple ou les laisserai être abattus.”
Les survivants seront incarcérés dans des camps de concentration et forcés à travailler dans des conditions déplorables qui provoquent une terrible mortalité.
Certains guerriers hereros ont réussi à rejoindre un autre peuple d'abord allié aux allemands, les Namas qui se révoltent à leur tour et seront eux aussi vaincus après de sanglants épisodes de guérilla.  Les rescapés sont eux emprisonnés dans une bagne terrible : Shark Island – l’île aux Requins.
Résultat de ces conflits, entre 1904 et 1907, 80 % des Hereros et 50 % des Namas ont été exterminés. Si bien que, autrefois majoritaire, la population herero ne pèse désormais plus que 9 % à 10 % de la population namibienne…

Une science dévoyée
Ces cruels traitements sont révélateurs de la vision raciste de l'idéologie allemande de cette époque, qui considère que les populations africaines appartiennent à une espèce inférieure. Cette croyance s'appuie sur des conceptions scientifiques dévoyées qui s'acharnent à démontrer cette infériorité par des recherches anatomiques, en particulier par l'étude des crânes, censée révéler les capacités cérébrales des individus.
Un transfert s'organise donc de façon particulièrement sinistre entre la colonie et ses camps et  l'Allemagne. Les prisonniers de Shark Island doivent "préparer” les crânes de leurs morts, dans certains cas des proches, afin qu'ils soient envoyés dans les prestigieuses universités pour étayer les théories racialistes et eugénistes alors en vogue.
C'est en particulier par l'action de ces brillants scientifiques, que se révèlent de façon évidente les liens entre le génocide des Hereros et des Namas et la Shoah. Parmi eux le médecin, généticien, anthropologue Eugen Fischer. Cet universitaire, ami intime de Heidegger, “est convaincu, selon l’historien Yves Ternon que le peuple allemand est menacé de dégénérescence et que le métissage avec des races inférieures en est la cause principale”. Il officiera en Namibie auprès des détenus des camps avant de rejoindre l’Allemagne pour publier des travaux  sur les principes de l'hérédité humaine et l'hygiène de la race. Ces ouvrages sont considérés comme une source inspiratrice de l'idéologie nazie, dont  Fischer fut un ardent défenseur. Hitler lira avec attention ses travaux avant de rédiger Mein Kampf.

 Le Pr Eugen Fischer

Ce distingué professeur aura comme assistant Mengele et participera activement aux opérations de stérilisation forcée de centaines de milliers d'individus considérés comme retardés ou malades mentaux parce que “racialement déficients”.

Un précédent du nazisme
Racisme "scientifique”, pureté raciale, obsession de la dégénérescence, guerres d'extermination, camps de concentration… tous ces ingrédients réunis évoquent de façon irréfutable les liens de ce premier génocide du siècle avec son successeur, le génocide nazi, à l'échelle sans commune mesure  d'un continent entier. Des liens analysés dans une impressionnante exposition qui a eu lieu au Mémorial de la Shoah, en novembre 2016.
Un siècle s'est écoulé, mais ces atrocités sont toujours très peu connues, même si peu à peu les choses changent grâce au travail des historiens et surtout à l'action des Namibiens qui combattent pour faire reconnaître le calvaire de leurs ancêtres et réclamer des réparations.
L'Allemagne après bien des réticences a reconnu officiellement en 2015 le génocide, mais refuse toujours des dédommagements financiers. Ses représentants arguent que l'Allemagne est le pays du monde le plus engagé dans l'aide financière à la Namibie, d'autant plus qu'il existe toujours dans ce pays, indépendant de l’Afrique du Sud depuis seulement 1990, une communauté allemande de 16 000 personnes. Le ministère des Affaires étrangères allemand a déclaré : “Les pourparlers ne sont pas faciles, car le sujet est délicat, mais ils se tiennent dans un esprit de confiance et de compréhension mutuelle.”

Olivier Mialet

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