Les chasses à l’homme
L’histoire des chasses à l’homme comme fragment de la longue histoire de la violence des dominants.
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Une chasse bien singulière eut lieu en France, au XVe siècle, dans le parc d’Amboise. Le roi Louis XI, à qui l’on avait fait « l’affreux plaisir d’une chasse d’homme », se lança à la poursuite d’un condamné couvert d’une « peau de cerf fraîchement tué ». Lâché dans le domaine et bientôt rattrapé par la meute royale, celui-ci périt « déchiré par les chiens ».
Faire l’histoire des chasses à l’homme, c’est écrire un fragment de la longue histoire de la violence des dominants. C’est faire l’histoire de technologies de prédation indispensables à l’instauration et la reproduction des rapports de domination.
La chasse à l’homme n’est pas à entendre ici comme une métaphore. Elle désigne des phénomènes historiques concrets, où des êtres humains furent traqués, poursuivis, capturés ou tués dans les formes de la chasse ; des pratiques régulières et parfois massives, dont les premières formes furent théorisées dans l’Antiquité grecque avant de connaître un formidable essor à la période moderne, à l’unisson du développement d’un capitalisme transatlantique.
Faire l’histoire des chasses à l’homme, c’est écrire un fragment de la longue histoire de la violence des dominants. C’est faire l’histoire de technologies de prédation indispensables à l’instauration et la reproduction des rapports de domination.
La chasse à l’homme n’est pas à entendre ici comme une métaphore. Elle désigne des phénomènes historiques concrets, où des êtres humains furent traqués, poursuivis, capturés ou tués dans les formes de la chasse ; des pratiques régulières et parfois massives, dont les premières formes furent théorisées dans l’Antiquité grecque avant de connaître un formidable essor à la période moderne, à l’unisson du développement d’un capitalisme transatlantique.
Trois ans avant sa « Théorie du drone », et déjà aux éditions La Fabrique, Grégoire Chamayou nous proposait en 2010 ce voyage atroce et nécessaire au cœur d’une pratique infiniment plus répandue historiquement que ce que son évidente, instinctive, horreur laisserait d’abord supposer. De la « chasse aux bœufs bipèdes » que constitue la guerre grecque antique menée pour se procurer les esclaves indispensables au fonctionnement correct de la société démocratique à la persistance de la figure de Nemrod, le chasseur, aux côtés du pasteur d’âmes du christianisme, traçant ainsi un cadre de pouvoir cynégétique, de la prise en compte socialement nécessaire de l’élimination des brebis galeuses et de la chasse aux hommes-loups à la chasse vitale mais aussi ludique aux Indiens ayant le culot, malgré leur infériorité ontologique, d’occuper la terre et aux esclaves marrons nés de la traite triangulaire, l’auteur définit puissamment les logiques à l’oeuvre dans un pouvoir s’affirmant par la traque et la mise à mort – pas uniquement symbolique, et s’appuyant le cas échéant sur une subtile dialectique du chasseur et du chassé, justification philosophique opposée aux éventuelles « bonnes âmes ».
La chasse se définit comme l’ « action de chasser, de poursuivre », ce qui « se dit particulièrement de la poursuite des bêtes », mais chasser signifie aussi « mettre dehors avec violence, contraindre, forcer de sortir de quelque lieu ». Il y a la chasse poursuite et la chasse expulsion. La chasse qui capture et la chasse qui exclut. Deux opérations distinctes, mais qui peuvent s’articuler dans un rapport de complémentarité : chasser des hommes, les traquer, suppose souvent de les avoir au préalable chassés, expulsés ou exclus d’un ordre commun. Toute chasse s’accompagne d’une théorie de sa proie, qui dit pourquoi, en vertu de quelle différence, de quelle distinction, certains peuvent être chassés et d’autres pas. L’histoire des chasses à l’homme se fera donc par celle des techniques de traque et de capture, mais aussi par celle des procédés d’exclusion, des lignes de démarcation tracées au sein de la communauté humaine afin d’y définir les hommes chassables.
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On se souvient bien entendu du « jeu le plus dangereux » (qui est aussi le gibier le plus dangereux) du film, férocement reconstitué en poésie acérée par le Julien d’Abrigeon du « Zaroff ». Derrière ce droit – ou ce devoir – de chasser la proie, fût-elle humaine, célébré par les bons amis guillerets et glaçants du « Scène de chasse en blanc » de Mats Wägeus, il y a bien tout un travail plus ou moins souterrain de spéciation, de délimitation soigneuse des espèces et sous-espèces de l’humanité, que nous rappelait avec force le Vincent Messagede « Défaite des maîtres et possesseurs ». Mais il y a aussi à l’œuvre un formidable arsenal social, qui se développe surtout, en parallèle aux développements historiques de l’enfermement et de la surveillance mis en évidence par Michel Foucault, dans la conception, à partir du XVIe et du XVIIe siècles, de véritables chasses aux pauvres, d’acharnées chasses policières, puis de chasses aux étrangers et de chasses aux Juifs – que parcourent à l’occasion les phénomènes transversaux de la meute de chasse et du lynchage « spontané » -, et enfin de très abouties chasses aux hommes illégaux.
Aujourd’hui, la xénophobie d’État, si elle rompt avec les chasses d’extermination du racisme biologique, réactive et reconfigure certains traits fondamentaux des anciennes chasses de proscription. Les politiques d’illégalisation des migrants se fondent paradoxalement sur une conception territoriale de la souveraineté que sa pratique aboutit de fait à nier. Une politique mortifère qui, par l’exclusion légale, assure l’inclusion paradoxale des nouveaux dépossédés juridiques dans les rapports d’exploitation en même temps qu’elle les vulnérabilise par des politiques actives de traque et d’insécurisation.
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