J.P.Melville: portrait en 9 poses


Un homme ­ trench-coat, Stetson blanc, lunettes noires ­ descend de voiture, traverse une rue, entre au bureau et pose une question à une de ses secrétaires. Cet homme, c'est Jean-Pierre Melville et jusqu'ici tout va bien. Chaque posture trouve son ordre dans le dispositif filmique d'André S. Labarthe. Le moindre geste de Melville semble une phrase issue du Nouveau Roman : épuré à souhait et redoutable quand il se commet dans la blancheur d'une nuit noire. "Il fait semblant de travailler et dans quelques instants, feignant de l'interrompre, l'interviewer va lui poser sa première question", dit la voix off, l'ingrédient principal du cinéma de Labarthe, le grain qui œuvre dans le noir. La parole de l'ombre passe son temps à décrire le réel, celui qui se met en place sous nos yeux et va parfois jusqu'à l'anticiper. La voix off, c'est le déclencheur du cinéma de Labarthe. Tout au long du film, elle suit le sillage de Melville avec un énigmatique acharnement : chacun sa baleine. Le visage lunaire du cinéaste éclaire à lui seul la pièce où il écrit ses scénarios. Jean-Pierre Melville ne travaille que la nuit tombée, il dit même avoir inventé un système de volets plongeant dans un noir complet ­ preuves à l'appui, il les enfile dans leur support. Et là, il s'installe et se met au travail. On se dit que Melville joue la scène. Mais non, nous sommes bien dans l'œil du cyclone, au sein même de la création. Il dit que cet enfermement et ce repli lui conviennent pour écrire. Il retrouve une attitude f tale. Nous sommes bien dans le ventre de la baleine. Là se développe un théâtre de l'intime que Labarthe va habiter avec sa caméra et ses questions, un peu comme un passager clandestin embarqué dans la mémoire de Melville. A part ça, nous visiterons ses lieux de vie : son bureau, ses studios de cinéma et sa maison à la campagne. Tout se déroule dans ce triangle magique, la norme en quelque sorte, pour ce cinéaste à la précision quasi mathématique. Un espace immense sépare les trois angles, celui de la plaine de l'Ouest : les Etats-Unis comme image d'une idée du cinéma de Melville. Il se dit cinéaste à masques et Labarthe fait de lui un personnage à masques, que les mini-fictions (le film se déroule en neuf poses) aident à mieux découvrir. La seule solution possible, c'est de se masquer les yeux et Melville se pose deux caches sur les yeux. Il ne reste plus à nos mémoires d'aveugles qu'à imaginer la suite.



                 


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