Les 120 journées de Sodome



Le duc de Blangis, l'évêque de…, le président de Curval et Durcet. Un noble, un homme d'Église, un juge de France et un bourgeois financier. Quatre personnages en quête d'ardeur. Ou plutôt "quatre scélérats avec lesquels je vais te faire passer quelques mois… Tout ce que l'on peut dire en gros, c'est qu'ils étaient généralement susceptibles du goût de la sodomie, que tous quatre se faisaient enculer régulièrement, et que tous quatre idolâtraient les culs." Le scénario peut paraître mince mais, avec le divin marquis, il est certain que les relations entre les personnages seront fouillées et complexes à souhait. Paulhan considérait Les 120 Journées de Sodome comme "l'évangile du Mal". Il faut dire qu'il s'agit peut- être du plus effrayant des romans sadiens. Point de compromis ici. Les quatre hôtes retiennent prisonniers un bon nombre de femmes et de valets qu'ils peuvent violer et tuer en toute impunité. Et ils le font durant quatre cents pages. Dans Les 120 Journées de Sodome Sade fait l'inventaire exhaustif de toutes les perversions sexuelles existantes



L’histoire du manuscrit de Sade des 120 journées de Sodome ou l'école du libertinage


 le rouleau manuscrit est rédigé à la Bastille à la fin de 1785 ; en trente-sept jours, de sept à dix heures du soir. Il est égaré lors de l'incendie de la forteresse le 14 juillet 1789. Sade croit l'avoir irrémédiablement perdu (il ne le reverra, en effet, jamais), il en pleura "des larmes de sang".



Or, Il est récupéré durant la mise à sac de la Bastille, par un certain Arnoux de Saint-Maximim qui le vend au grand-père du marquis de Villeneuve-Trans. Il va rester dans cette famille durant trois générations.

Le manuscrit est ensuite vendu par ses descendants en 1900 au psychiatre allemand Iwan Bloch. Il est édité par ce dernier pour la première fois en 1904, sous le pseudonyme d'Eugène Dühren. Cette édition accumule plusieurs milliers d'erreurs.

En 1929, Maurice Heine, mandaté par le vicomte Charles de Noailles, généreux et courageux mécène, le rachète et le publie, de 1931 à 1935. C’est une édition limitée aux "bibliophiles souscripteurs" pour éviter la censure. En raison de sa qualité, elle est considérée comme la véritable originale.

En 1985, le manuscrit est vendu par une descendante du vicomte, à Genève, au collectionneur de livres érotiques rares, Gérard Nordmann (1930-1992).

Il est exposé pour la première fois en 2004, à la Fondation Martin Bodmer, près de Genève.

Le rouleau manuscrit de douze mètres dix de long, et de douze centimètres de large est composé de multiples morceaux de papier, ayant un centimètre de large. Chaque morceau est écrit des deux côtés ; l'écriture est tellement fine qu'elle ne peut-être lue qu'avec l'aide d'une loupe.




Extrait des Cent Vingt journées de Sodome, de Donatien Alphonse François Sade.

Curval avait dans le voisinage de son hôtel un malheureux portefaix qui, père d'une petite fille charmante, avait le ridicule d'avoir des sentiments. Déjà vingt fois des messages de toutes les façons étaient venus essayer de corrompre le malheureux et sa femme par des propositions relatives à leur jeune fille sans pouvoir venir les ébranler, et Curval, le directeur de ces ambassades et que la multiplication des refus ne faisait qu'irriter, ne savait plus comment s'y prendre pour jouir de la jeune fille et pour la soumettre a ses libidineux caprices, lorsqu'il imagina tout simplement de faire rouer le père pour amener la fille dans son lit. Le moyen fut aussi bien conçu qu'exécuté. Deux ou trois coquins gagés par le président s'en mêlèrent, et avant la fin du mois le malheureux portefaix fut enveloppé dans un crime imaginaire que l'on eut l'air de commettre à sa porte et qui le conduisit tout de suite dans les cachots de la Conciergerie. Le président, comme on l'imagine bien, s’empara bientôt de cette affaire, et comme il n'avait pas envie de faire traîner l'affaire, en trois jours, grâce à ses coquineries et à son argent, le malheureux portefaix fut condamné à être roué vif, sans qu'il eût jamais commis d'autres crimes que celui de vouloir garder son honneur et de conserver celui de sa fille. Sur ces entrefaites, les sollicitations recommencèrent. On fut trouver la mère, on lui représenta qu'il ne tenait qu'à elle de sauver son mari, que si elle satisfaisait le président, il était clair qu'il arracherait par là son mari au sort affreux qui l'attendait. Il n'était plus possible de balancer. La femme consulta : on savait bien à qui elle s'adresserait, on avait gagné les conseils, et ils répondirent sans tergiverser qu'elle ne devait pas hésiter un moment. L’infortunée amène elle-même sa fille en pleurant au pied de son juge; celui-ci promet tout ce qu'on veut, mais il était bien loin d'avoir envie de tenir sa parole. Non seulement il craignait, en la tenant, que le mari sauvé ne vint à faire de l'éclat en voyant à quel prix on avait mis sa vie, mais le scélérat trouvait même encore un délice bien plus piquant à se faire donner ce qu'il voulait sans être obligé de rien tenir. Il s'était offert sur cela des épisodes, de scélératesse à son esprit dont il sentait accroître sa perfide lubricité; et voici comme il s’y prit pour mettre à la scène toute l'infamie et tout le piquant qu'il put. Son hôtel se trouvait en face d'un endroit où l'on exécute quelquefois des criminels à Paris, et comme le délit s'était commis dans ce quartier-là, il obtint que l'exécution serait faite sur cette place en question. À l’heure indiquée, il fit trouver chez lui la femme et la fille de ce malheureux. Tout était bien fermé du côté de la place, de manière qu'on ne voyait, des appartements où il tenait ses victimes, rien du train qui pouvait s'y passer. Le scélérat, qui savait l'heure positive de l'exécution, prit ce moment-là pour dépuceler la petite fille dans les bras de sa mère, et tout fut arrangé avec tant d'adresse et de précision que le scélérat déchargeait dans le cul de la fille au moment où le père expirait. Dès que son affaire fut faite : « Venez voir », dit-il à ses deux princesses en ouvrant une fenêtre sur la place, « venez voir comme je vous ai tenu parole. » Et les malheureuses virent, l'une son père, l'autre son mari, expirant sous le fer du bourreau. Toutes deux tombèrent évanouies, mais Curval avait tout prévu : cet évanouissement était leur agonie, elles étaient toutes deux empoisonnées, et elles ne rouvrirent jamais les yeux.

Commentaires

Articles les plus consultés