Desproges et Mesrine





(voir plus loin l’article en détail)



LA FIN DE LA "CAVALE" par Pierre Desproges


Jacques Mesrine, recherché dans plusieurs pays pour divers crimes et délits, pris et évadé plusieurs fois, a été capturé à Paris sans un coup de feu…
LA FIN DE LA « CAVALE »
Les Brigades territoriales de Paris sont des endroits gris et laids, peu propices à la joie. Pourtant, samedi soir, le commissaire Leclerc de la première BT du faubourg Saint-Honoré, et tous ses limiers avaient l’air joyeux, chacun brandissant une coupe de champagne, l’œil pétillant quoique rougi par une trop longue veille. Les deux nuits d’avant, le patron et ses inspecteurs, aidés par les as de la Brigade antigang-anticommando, ne s’étaient pas couchés, pour réussir le coup de filet de l’année : l’arrestation de l’ennemi public hors concours, l’insaisissable Jacques Mesrine soi-même.


L'Aurore / 01/10/1973

*M. Jacques Mesrine, 42 rue de la Santé, Paris 14e*

Le 6 juin de cette année-là (1973), Mesrine s’est évadé du tribunal de Compiègne en prenant le juge en otage. Depuis, plus de nouvelles. Jusqu’au samedi 29 septembre, où il est arrêté à son domicile. À cette occasion, le 1er octobre, Desproges raconte l’épopée de Mesrine dans L’Aurore, le traitant au passage de « fanfaron suicidaire » et terminant son papier par quelques propos désobligeants sur son arrestation toute fraîche : « Mesrine est fait. Il parlemente derrière la porte, pour la forme, pendant vingt minutes, puis se rend, après avoir réfléchi au bon mot qu’il pourrait lancer en tendant les mains aux menottes. Mais il est épuisé. Cette fois il fanfaronne du bout des lèvres et ça vole bas… » Mesrine est vexé et, le jour même, il lui expédie une missive. Au dos de l’enveloppe : M. Jacques Mesrine, 42 rue de la Santé, Paris 14e . (C’est mignon.) Il n’aime pas le mot « fanfaron », ni la manière dont sont relatés certains épisodes de sa glorieuse saga. Par exemple : « Mesrine se fait prendre comme un novice en rentrant au nid, retour de chez l’épicier, cabas sous le bras. » Très mécontent, Mesrine rétorque : « Si un jour, neuf hommes armés vous tombent dessus pendant que vous avez les mains chargées, j’aimerais savoir comment remporter le combat ! » De plus il trouve l’article truffé d’erreurs, menace d’un procès en diffamation et, extrêmement pointilleux, rectifie le moindre détail. On sent qu’il n’aime pas beaucoup le vocabulaire de Desproges – le verbe « se terrer », par exemple : « Après mon évasion de Saint-Vincent-de-Paul au Québec, je n’ai jamais été me terrer dans des cabanes de bûcherons. J’aime Line Renaud, mais Ma cabane au Canada, c’est périmé, mon petit. » (Humour.) De plus, il n’a pas abattu deux gardes forestiers québécois, il n’a pas fait les hold-up dont on l’accuse, qui, par conséquent, ne lui ont pas rapporté 600 000 francs. Pour une fois, lui qui se vante toujours d’avoir fait des tas de choses, il n’a rien fait. Mais son fameux côté fanfaron l’emporte : « Par contre, pendant deux mois à Trouville, j’avais le plaisir de boire et de manger avec la police du coin qui, me prenant pour un inoffensif touriste, avait sympathisé avec moi. » Bref cette première lettre est rigolote et presque amicale, dans le style, « T’vas ouar ta gueule à la récré », à une ou deux nuances près : « Je n’ai aucune rancune contre vous. Si j’en avais eu, le problème aurait été vite réglé. Maintenant, Monsieur Desproges, vous pouvez m’écrire à la Santé. » La nuance est dans le « vite réglé » et le « maintenant, vous pouvez m’écrire », qui sonne comme un ordre.
En effet, la deuxième lettre de Mesrine, datée du 1er novembre, est nettement plus agressive. Desproges ne s’est pas donné le mal de répondre et ça l’agace : « Ne me faites pas regretter d’avoir employé la méthode bourgeoise qu’est le courrier, pour vous toucher. J’en connais une autre qui est toujours livrée avec avis de réception !!! Alors, ayez au moins la politesse de répondre à ma première lettre. Maintenant, Monsieur Desproges, cela sera comme vous voudrez… et comme je voudrai. »
Là, Desproges répond, et la troisième lettre de Mesrine est datée du 6 novembre. Il a bien reçu sa lettre mais il n’est toujours pas satisfait. Il est même complètement furax. Il attendait des excuses et elles ne sont pas venues. « Je n’ai pas la renommée de laisser passer quoi que ce soit, et comme je constate que vous n’avez pas l’excuse facile, cela va simplifier les choses. Je vais faire en sorte que vous me preniez au sérieux. (…) J’ai connu beaucoup de clowns qui, s’amusant à mes dépens, ont fait leur dernier tour de piste ! » À part ça, le mot « fanfaron » continue de lui rester en travers et il a engagé des poursuites contre L’Aurore, qui lui attribuait trente-neuf meurtres alors que c’est même pas vrai. Pourtant, magnanime, il sollicite encore une fois une réponse de Desproges : « Je pense que nous allons nous entendre très bien, mon cher Pierre ! » Là, le cher Pierre ne répond plus du tout et Mesrine arrête d’écrire. Mais en 1975 il revient à la charge et menace un autre journaliste de L’Aurore en précisant : il va vous arriver la même chose qu’à Desproges. Et là, Desproges a peur, se rappelle Bernard Morrot : « Il avait une trouille épouvantable. Il avait pris ça pour une tragédie personnelle : le plus grand tueur de France voulait sa peau. Il faut dire tout de même qu’il était très égocentrique. » (…)
Extrait de Desproges, portrait de Marie-Ange Guillaume
aux Éditions du Seuil
Desproges, portrait / Marie-Ange Guillaume, Éditions du Seuil / 

La correspondance de Mesrine adressée à Pierre Desproges









Collection particulière / 

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