Extraits de « Eloge littéraire d’Anders Breivik », de Richard Millet




On pourrait être tenté de voir dans Breivik un héros malthusien doublé d’un praticien dumassacre de masse. Ce serait dénaturer ses actes. Ils s’inscrivent sur un fond terriblement sombre qu’il importe de rappeler. Cet été-là, qui a vu la catastrophe nucléaire de Fukushima et la politique ridiculisée sur le plan international par l’affaire DSK, terroriste socialo-priapique, pendant non dialectisé de l’érotomane démocrate-chrétien Berlusconi, et puis, le lendemain dumassacre d’Utoya, la mort d’Amy Winehouse, laquelle a en quelque sorte volé la vedette à Breivik. Cet été-là, donc, est surtout le moment paroxystique d’une crise financière qui est née en 2008 et qui est en train de mettre l’Europe à genoux.
Que cette crise financière marque aussi la faillite d’une civilisation, seuls les imbéciles ne veulent pas le voir. Breivik est, certes, le signe désespéré, et désespérant, de la sous-estimation par l’Europe des ravages du multiculturalisme ; il signale aussi la défaite du spirituel au profit de l’argent. La crise financière est celle du sens, de la valeur, donc de la littérature.Breivik, d’une façon naïve, loin d’incarner le Mal, s’est fait le truchement sacrificiel du mal qui ronge nos sociétés tombées dans une horizontalité acéphale et trompeuse.
Breivik, raconte un survivant du massacre, fredonnait au milieu des cadavres. Loin d’être unartiste conceptuel, comme pourrait le faire croire ce témoignage, Breivik ne souscrit pas à ce que Baudrillard appelle la « duplicité » de l’art contemporain, c’est-à-dire le fait de « revendiquer la nullité, l’insignifiance, le non-sens, alors qu’on est déjà nul » – ce qui annule de fait toute proposition artistique et existentielle. Il n’a pas cherché à transformer un acte somme toute insignifiant sur le plan de l’efficacité politique en une « stratégie fatale » de l’image.
Il n’est pas le Warhol de l’antimulticulturalisme ; il n’a pas non plus voulu son minable quart-d’heure de gloire médiatique ; il est un écrivain par défaut et, sans doute, l’incarnation outrée du héros désespéré du film de Joachim Trier,« Oslo 31 août «, qui est sorti, et c’est remarquable, quelques mois après le massacre d’Utoya ; un héros qui reprend le personnage de « Feu follet» de Louis Malle, d’après le roman de Drieu La Rochelle – rares étant les journalistes français à l’avoir noté, Drieu restant l’un des plus grands maudits de la littérature française, bien qu’il ait payé ses errements par un suicide.
mediabenews

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