L’Encinéclopédie de Paul Vecchiali et le cinéma français des années 30

 


Combien de classiques tombent dans l’oubli faute d’être vus ? Le Puritain de Jeff Musso avec un Jean-Louis Barrault exceptionnel par exemple (cité par Paul Vecchiali).

La règle établie et l’histoire officielle l’ennuient et l’irritent, et il ne manque pas de le faire savoir :

cette Encinéclopédie revisite ainsi avec force personnalité et acuité, le cinéma « français » des années 1930 (et certaines de ses suites), en refusant tout a priori, positif (GuitryRenoirPagnol, ne sont pas nécessairement les statues qu’on leur a érigées) comme négatif. Dans ce dictionnaire qui se lit comme un roman échappé de la Comédie humaine, se croisent des hommes aux trajectoires étonnantes, cinéastes d’un jour ou cinéastes toujours, français d’un film ou d’une vie. […]

Ce « tome 1 », qui va de Marcel Achard à Alexander Korda, de L’Homme des Folies Bergères à La Dame de chez Maxim’s (le hasard n’existe pas mais il fait tout de même bien les choses), évoque Eugène Deslaw et Jean Grémillon (pour un véritable chant d’amour !), Jean Epstein et Max Joly : érudit, sensuel, historique, politique, osé, subjectif.

Dans ce « tome 2 », qui va de Harry Lachman à Friedrich Zelnik, de La Couturière de Lunéville à C’était un musicien, se côtoient Max Ophuls et Gabriel RoscaAndré Malraux et Reinhold Schünzel, mais aussi Fritz Lang et Raoul Walsh ! Érudit, sensuel, historique, politique, osé, subjectif : une somme et une œuvre.

Paul Vecchiali assume d’entrée la subjectivité de son ouvrage (« vous ne trouverez ici que des opinions tranchées, injustes elles aussi à leur manière mais cohérentes entre elles« ). Il s’intéresse ainsi à tous les cinéastes ayant travaillé en France ou pour la France entre 1929 et 1939 avec une exhaustivité revendiquée. Cette exhaustivité est sans doute la faille de ce genre d’ouvrage car est-il bien nécessaire de parler de tous les cinéastes de cette époque au risque de perdre le lecteur en mélangeant des films mineurs et ceux qu’il faut réhabiliter ? D’autant plus que si Paul Vecchiali se voulait subjectif il en avait tous les droits, non ?Car mettre sur le même plan un nanar (nous ne donnerons pas de noms) et un film comme Le Puritain c’est risquer de noyer le poisson ! Nous provoquons malicieusement Paul Vecchiali car dans sa préface il s’émeut à la pensée de ces « nanars » et ajoute, nous voyant venir, que cette appellation « sonne bien si on veut que ça sonne bien » et inversement. Personnellement, nous trouvons qu’il y a déjà un peu trop de place accordée aux nanars en France ce qui se fait au détriment d’autres films disons plus « majeurs ».

Jean-Pierre Aumont dans Le Chemin de rio de Robert Siodmak

Bref, si les goûts de Paul Vecchiali nous intéressent peu, ce qui devrait s’avérer passionnant en se plongeant dans ces deux tomes c’est bien sûr de lire entre les lignes et de se fier à son émotion pour découvrir des films oubliés.

Par exemple, page 809, il parle de l’unique film de Marie-Louise IribeLe roi des aulnes qui date de 1930. C’était la nièce du décorateur Paul Iribe, l’ami de Coco Chanel. Elle avait été actrice dans les années dix et vingt auprès de Louis Feuillade et Jacques Feyder (L’Atlantide 1920). Marie-Louise Iribe avait été mariée avec l’acteur Pierre Renoir (en 1925). Elle avait fondé avec lui une maison de production « Artistes Réunis » pour tourner un film dont elle serait la vedette. Elle avait choisi le frère de son époux, Jean Renoir, pour tourner Marquitta en 1927, film qui est considéré comme perdu. Mais Marie-Louise Iribe est surtout connue pour avoir co-réalisé avec Henri Debain le film Hara-Kiri en 1928.

Ce que dit Paul Vecchiali du Roi des Aulnes nous intrigue car il écrit ceci :

féerie stupéfiante soutenue par diverses influences : Renoir, le surréalisme, le Kammerspiel, et néanmoins oeuvre personnelle qui pèche par la direction d’acteurs… Une lumière poétique, des décors admirablement choisis rendent justice au climat de la ballade de Goethe : surveillé ou poursuivi par le Roi des Aulnes, un enfant est emmené par son père sur un cheval… Film unique de Marie-Louise Iribe qui prouve des qualités intellectuelles plus que des qualités cinématographiques.

Aussi on imagine facilement un équivalent au beau film allemand de Frank Wisbar : Fährmann Maria/ Maria le passeur (cf les captures ici) et l’on a hâte de le voir (qui sait ? avec Internet tout est possible…).

Le film le vaut-il ? A suivre…

Michel Simon dans Circonstances Atténuantes de Jean Boyer

Mais c’est tout l’intérêt de ce genre de livre. Susciter la découverte ou la redécouverte de films oubliés. Partir à leur recherche dans des vieilles revues d’époque, guetter le cycle « patrimoine du cinéma français » sur FR3, mettre des alertes dans Google, etc…

Autre exemple, Paul Vecchiali nous réjouit aussi en mettant en avant par exemple ce beau polar urbain de Maurice Cam qu’est Métropolitain sorti en 1938 avec Ginette Leclerc et Albert Préjean (réedité en DVD par René Chateau).

Il écrit :

Avec humour et tendresse, la caméra de Maurice Cam réalise l’exploit d’être lyrique sans miévrerie, efficace sans être académique. Le film date de 1938, il n’a pas une ride. Paris seul a changé. Pas en bien. Mais les problèmes restent les mêmes.

Puis Vecchiali finit en célébrant l’image du chef opérateur Nicolas Hayer (Falbalas de Jacques Becker c’est lui ! tout comme Panique de Julien Duvivier) et en s’exclamant : « Très beau film, pas loin du chef d’oeuvre ».

Ginette Leclerc dans Métropolitain de Maurice Cam

En conclusion il vante ce qu’il appelle « La politique des acteurs » qui dans les années 1930 permettait aux spectateurs de se faire une idée précise du film :

C’est l’assemblage des acteurs qui rendait les films attractifs donnant immédiatement les informations essentielles sur le sujet, le climat, l’ambition de l’oeuvre.

Vecchiali n’oublie pas de rendre hommage à ces fameux seconds rôles, de Jeanne Fusier-Gir (Un carnet de bal de Julien Duvivier) à Pierre Larquey (Les Otages de Raymond Bernard) pour n’en citer que deux. Mais pour lui il y a surtout Jean Gabin « souverain sans rival du cinéma parlant des années 1930 » et …Danielle Darrieux.

Son amour pour Darrieux le fait s’emballer et aller jusqu’à dire que « grâce à elle, les spectateurs ont commencé à deviner que la séduction des interprètes ne suffisait pas à justifier leur passion pour le cinéma.» Alors que l’on ne voit pas ce qui pourrait nous empêcher de dire la même chose d’Orane Demazis ou d’Arletty ! (il y a tellement le choix dans ces années là. NDLR).

Bref, ensuite Vecchiali s’attaque à la fameuse notion de l’auteur, ce serpent de mer de la critique cinématographique, et se perd dans des considérations élitistes et des phrases qui n’en finissent pas comme celle-ci :

Un film d’auteur est une sorte de fleuve dont il importe de repérer la source et qui rejoint la mer, là où le spectacle commence, en charriant continûment (je veux dire : en apparence fluide et homogène) des matériaux hétérogènes, riches ou pauvres , propres ou sales, qui ne se décantent, en partie seulement et jamais de la même façon, qu’après une analyse scrupuleuse, intuitive pourtant, dont le projet ne serait pas de résoudre une énigme mais de faire émerger la magie contenue dans cet assemblage forcément inattendu puisqu’il ne se retrouvera nulle part ailleurs, fût-ce dans d’autres oeuvres de l’auteur.

Vous avez compris ce qu’il a voulu dire ? Si une phrase pareille vous donne envie de découvrir Le Puritain vous avez de la chance !

Jean-Louis Barrault dans Le Puritain de Jeff Musso

Mais Vecchiali se rattrape dans son dernier chapitre de la conclusion du tome 1 en parlant de la cinéphilie. Pour lui, et nous partageons son avis, « la cinéphilie a rapport avec l’intime… et les liens amoureux ne se discutent pas, ne se théorisent pas. » Aussi il comprend mal la rigueur de certains critiques comme Serge Daney ou Jacques Lourcelles dans un autre style et regrette que leur erreur se résume à cette phrase :  « ce n’est plus on aime ou on aime pas, c’est on ne veut pas voir. »

Et en même temps dans le paragraphe suivant Vecchiali donne une liste de films qu’il déteste cordialement ! dont Le Dictateur de Charles Chaplin et va jusqu’à Un Air de famille de Cédric Klapish ! On cherche vainement d’ailleurs l’intérêt d’une telle liste ainsi que la suivante qui va être de donner ses 35 cinéastes favoris selon qu’ils ont fait plus ou moins de six films (Jean GrémillonMax Ophuls et Jean Vigo et Bernard-Deschamps). Cela nous étonnera toujours cette manie de faire des listes et d’étaler ses goûts artistiques comme si qui que ce soit pouvait avoir une quelconque autorité en la manière ! Il nous paraît plus important de simplement mettre en exergue certains films oubliés, de dire son amour pour tel film, sans avoir besoin de dire qu’il s’agit du plus beau film du monde, etc…

Poussons le bouchon un peu plus loin, qui est Vecchiali pour se permettre de classer en numéro 34 Christian-Jaque et en numéro 05 Maurice Tourneur ? Il s’agit d’un exemple parmi d’autres. Nous aurions pu citer Pierre Chenal en numéro 28 alors que Jean Boyer est numéro 17 ! On se demande qui peut être intéressé par cette liste ?

Jany Holt et Viviane Romance dans La Maison du maltais de Pierre Chenal

Bien sur, qui aime bien châtie bien, car cette Encinéclopédie de Paul Vecchiali est au final une oeuvre monumentale, sans doute trop, mais nécessaire car le cinéma français des années trente a besoin d’être remis au goût du jour.

Tant de films de cette époque sont tombés dans l’oubli.

Comment expliquer l’absence de réédition DVD pour des chefs d’oeuvres tel que La Tête d’un homme de Julien Duvivier ? Du coup il faut s’en remettre à Internet et aux admirateurs qui mettent à disposition leurs archives dans des qualités plus ou moins bonnes ? (cf une copie de La Tête d’un homme disponible ici). Mais c’est déjà beaucoup de pouvoir voir ainsi un film comme Tempête de Bernard-Deschamps dont Vecchiali écrit : « On a sous nos yeux l’exemple de ce que peut donner un véritable auteur de films à partir d’un prétexte bidon, même s’il en est le co-auteur. Et c’est bien ça le cinéma. C’est là qu’il commence, quand le pré-texte devient texte. Film hypergonflé qui ne laisse aucune chance aux médiocres. »

Arletty dans Tempête de Bernard-Deschamps

Pour résumer, cette Encinéclopédie est bien évidemment indispensable à tous les curieux de cette époque du cinéma français qui ne se satisfont pas de l’histoire officielle assenée par une bonne partie de la critique et qui préfèrent les chemins de traverse de la cinéphilie, au sens moderne du terme, donc sans oeillères.

Saluons donc cette parution tout en regrettant le prix prohibitif des deux tomes (80 euros les deux) et l’exhaustivité de la démarche de Paul Vecchiali ce qui rend illisible les films qu’il souhaite réhabiliter.

Dommage qu’il n’ait pas assumé sa subjectivité jusqu’au bout car son enthousiasme peut être communicatif dans certaines pages.

Pour finir, citons deux extraits de l’entretien iconoclaste qu’il a accordé à Pierre Murat pour Télérama (janvier 2011) :

Parlons-en, de Jean Renoir ! Vous ne l’épargnez guère dans votre livre…
C’est un très grand cinéaste, mais ce n’est pas le plus grand, contrairement à ce que nous ont fait croire Les Cahiers du cinéma… Une partie de campagne est une merveille, mais il faut avoir les yeux bouchés pour ne pas voir que Le Carrosse d’or est une pitrerie. Avec des dialogues d’une bêtise : « Le succès n’est pas tout dans la vie », « Où finit le théâtre, où commence la vie » ! Non mais, franchement…

[…]

En fait, vous détestez ce que l’on a appelé longtemps « la politique des auteurs ». A vos yeux, les grands cinéastes se plantent aussi…
Très longtemps, en France, on a considéré comme « auteurs » ceux qui écrivaient leurs films. Pour moi, le scénario n’est qu’un « pré-texte », littéralement. C’est à partir des images que l’on peut déterminer le style. John Ford n’a pratiquement écrit aucun de ses films. Visconti, non plus.

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