Georges Bataille et l’anthropologie du don

 

1. De l’Essai sur le don à La Part maudite

  • 6 . Jacques T. GodboutL’Esprit du don, Paris, La Découverte, 1992, p. 19. Il s’agit, en fait, d’une (...)
  • 7 . Voir l’introduction de Jean Piel à La Part mauditeop. cit., p. 19.
  • 8 . La Part maudite [désormais PM], op. cit., p. 162.

1En conférant àl’Essai sur le don (1925)de Marcel Maussle statut de « plus grand livre, probablement, de l’anthropologie moderne » 6, les recherches sociologiques contemporaines sur l’importance de « l’esprit du don » dans la société moderne redonnent toute leur actualité à La Part maudite de Georges Bataille. La lecture des deux textes qui composent au­jourd’hui l’ouvrage confirme, en effet, l’importance du rôle joué par Marcel Mauss dans la formation des convictions politiques défendues par Georges Bataille et, au-delà, dans l’élaboration de sa vision du monde 7. Les deux textes rendent compte de la traduction pratique qu’il opère de l’analyse de Marcel Mauss sur la fonction du don dans les sociétés archaïques. Il se l’approprie et la transforme en un principe de réorganisation des échanges dans la société moderne qu’il défend dans les deux textes, mais à partir de positionnements politiques opposés. La notion de don lui sert, une première fois – La Notion de dépense – à justifier théoriquement le déchainement de la violence révolutionnaire. La maturité aidant, elle apporte une confirmation scientifique – La Part maudite – de la nécessité d’« utiliser une richesse condamnée pour ouvrir à de nouvelles possibilités de croissance » 8, par le moyen de politiques publiques de redistribution des fruits de la croissance, politiques que préfigure, pour La Part maudite, le Plan Marshall.

  • 9 . La fin de l’Essai sur le don invite les individus à « s’asseoir, tels des chevaliers, autour de l (...)
  • 10 . Marcel MaussEssai sur le don [désormais ED], op. cit. p. 26.
  • 11 . Samuel Blocop. cit., p. 24. Voir, sur l’intérêt de l’analyse de Marcel Mauss pour le présent, A (...)
  • 12 . PM, p. 272.

2Conformément au projet de son auteur 9, la lecture de l’Essai sur le don constitue donc pour Georges Bataille une motivation durable pour valoriser, contre le système économique du marché, « régi par l’intérêt », le système du don, au sens contemporain que lui confère le sociologue du « réseau des relations interpersonnelles cimenté par le don et l’entraide qui, seul, permet de survivre dans un monde en folie » 10. Dans La Part maudite, on retrouve le même éloge qu’en 1933 de la « dépense » improductive, un notion dégagée par Bataille de sa lecture de l’analyse que fait Marcel Mauss du potlatch comme phénomène « donnant directement accès à l’essence même du lien de socialité » 11. Mais cette notion de dépense y atteint sa pleine compréhension théorique en tant que « conscience de soi » de l’homme, « conscience du sens décisif d’un instant où la croissance (l’acquisition de quelque chose) se résoudra en dépense », soit le moment historique du refus par les citoyens de leur « subordination à la croissance » 12.

3De La Notion de dépense à La Part maudite, on note, en effet, une évolution significative de l’interprétation par Georges Bataille de la pratique du potlatch, en tant que cas exemplaire d’une dépense improductive, d’une conduite rituelle constituant dans le sacrifice de l’utilité que l’on pourrait retirer de certains biens.

  • 13 . ED, p. 72.
  • 14 . ED, note 1, p. 72.
  • 15 . ED., p. 142.

4Le « potlatch » des tribus Kwakiutl du Nord-Ouest américain, tel qu’il est présenté et commenté par Mauss dans son essai, choque profondément, il est vrai, la raison utilitariste au fondement du fonctionnement de l’économie moderne, au point de faire oublier qu’il s’agit d’une forme d’échange cérémoniel. Ces tribus « passent leur hiver dans une perpétuelle fête : banquets, foires et marchés qui sont en même temps l’assemblée solennelle de la tribu » 13. Le potlatch – dont les deux sens, « don et aliment, ne sont pas exclusifs, la forme essentielle de la prestation étant ici alimentaire » 14 –, se caractérise par la surenchère « des choses échangées et détruites » lors de ce rassemblement, du fait de l’effort de chaque chef de clan de démontrer sa munificence aux autres chefs de clan. La forme agonistique de la surenchère, le caractère excessif d’un échange dans lequel se couvre d’honneur celui qui sera le plus dépensier, explique la fascination particulière qu’il peut exercer sur une personne critique, comme le jeune Georges Bataille, de l’esprit du capitalisme et de la « soif d’accumulation » qui le caractérise. Le commentaire de Mauss valorise, en effet, la signification agonistique, “guerrière”, de la prestation : « Dans un certain nombre de cas, il ne s’agit même pas de donner et de rendre, mais de détruire, afin de ne même pas vouloir désirer qu’on vous rende. On brûle les maisons et des milliers de couvertures, on brise les cuivres les plus chers, on les jette à l’eau, pour écraser, pour aplatir son rival » 15.

  • 16 . PM, p. 39.
  • 17 . PM, p. 40. Son interprétation du potlatch explique l’importance que Bataille confère à la remarqu (...)
  • 18 . Jacques T. GodboutL’Esprit du don, op. cit., p. 70. « Autrement dit, la dilapidation est un don (...)
  • 19 . ED, note 2, p. 141-142.

5Cette dramatisation qu’opère Mauss du potlatch pour en souligner le caractère intriguant éclaire l’interprétation personnelle qu’en donne Georges Bataille dans son article séminal de 1933. Elle consiste dans une retraduction de la théorie du don en une théorie de la dépense justifiant l’enga­gement des individus dans la lutte des classes. La présentation que fait Bataille du potlatch distingue, en fait, deux « formes » du potlatch, celle reposant sur « un don considérable de richesses offertes ostensiblement dans le but d’humilier, de défier et d’obliger un rival », et celle reposant sur des destructions, « des hécatombes de propriété ». Selon ses propres termes, « le don n’est pas la seule forme du potlatch ; il est également possible de défier des rivaux par des destructions spectaculaires de richesses » 16. De ce fait, la grande leçon sociologique apportée par le potlatch est, pour lui, celle de la confirmation de la valeur sociale de la « dépense improductive », puisque que « c’est la constitution d’une propriété positive de la perte – de laquelle découle la noblesse, l’honneur dans le rang et la hiérarchie – qui donne à cette institution [du potlatch] sa valeur significative. Le don doit être considéré comme une perte, et ainsi comme une destruction partielle… » 17. La notion de dépense se distingue ainsi de celle de don au sens où, pour Mauss, celui-ci implique la circularité de l’échange, circularité exemplifiée par la circulation des objets dans la Kula ou, plus simplement, par le cycle d’échange des cadeaux dans la société moderne. Selon Mauss, « il n’y pas dilapidation dans le potlatch parce que les choses restent dans le circuit, ont un sens dans leur réseau d’appartenance, y compris en tant qu’elle sont détruites » 18. Bataille différencie donc ce que Mauss considère comme deux aspects du même phénomène, la destruction n’étant que la « forme supérieure de la dépense », et la formulation « tuer la propriété » pouvant s’appliquer, par exemple, y compris aux « simples distributions de couvertures » 19.

  • 20 . PM, p. 49.
  • 21 . PM, p. 47.
  • 22 . PM, p. 45.
  • 23 . PM, p. 54.

6Cette différenciation lui permet d’articuler vision anti-utilitariste et vision marxiste, en rapprochant la « lutte de classes » de la guerre pour le « pouvoir de donner » que le potlatch met en scène. L’Essai sur le don est ainsi directement converti en un instrument de justification politique de la « destruction révolutionnaire des classes » qui occupent le pouvoir, de la « dépense sanglante » qu’elle exige. À la « dépense sociale agonistique » caractéristique de l’aristocratie, la bourgeoisie a substitué la « haine de la dépense » en tant que « raison d’être et justification » de son existence. Dans cette situation, il revient à la « conscience populaire » de « maintenir profondément le principe de la dépense en représentant l’existence bourgeoise comme la honte de l’homme » et « la lutte des classes devient […] la forme la plus grandiose de la dépense sociale lorsqu’elle est reprise et développée, cette fois au compte des ouvriers, avec une ampleur qui menace l’existence des maîtres » 20. Cette articulation originale de la théorie du potlatch et de la vision marxiste de la lutte des classes est rendue possible par une lecture de l’Essai sur le don qui, en exacerbant la signification ago­nistique du don, lui confère une fonction conflictuelle et non, comme dans le texte de Mauss, une fonction relationnelle. En effet, « les composantes de la lutte des classes sont données dans le processus de dépense à partir de la période archaïque » puisque « dans le potlatch […] la dépense, bien qu’elle soit une fonction sociale, aboutit immédiatement à un acte de séparation, d’apparence anti-sociale » 21. L’esprit du don est ramené, à l’aide de la dialectique hégélienne du maître et l’esclave, à l’aspiration et à la capacité à dépenser pour autrui qu’acquiert l’esclave-prolétaire face au maître-bourgeois qui « n’a consenti à ne dépenser que pour soi » 22, et par là, à une jus­tification historique de la nécessité pour les hommes d’accéder à « la fonction insubordonnée de la dépense libre » 23.

  • 24 . PM, p. 125.
  • 25 . PM, p. 91.
  • 26 . PM, p. 90.

7La lecture de La Part maudite rend compte, à la différence de l’écrit « de jeunesse » que représente La Notion de dépense, de la maturation intellectuelle de la pensée de Bataille depuis sa première découverte, grâce à Alfred Métraux, de l’Essai sur le don. La « théorie du “Potlatch” » y est examinée dans la partie centrale du texte. Bataille y propose, sous l’appellation « Données historiques I, II, III », une sociologie historique, au sens wébérien, de l’échange. Une démarche idéal-typique nous fait passer du « régime archaïque de l’échange » 24 que représente « la société de consumation » à celui de « la société industrielle », en passant par la « société d’entreprise militaire » et « d’entreprise religieuse ». Elle permet d’éclairer le « mouvement [contemporain] qui tend à rendre la richesse à sa fonction, au don, au gaspillage sans contrepartie » 25, de faire prendre conscience donc de son caractère nécessaire. Adopter le point de vue de « l’économie générale » permet en effet de reconnaître les limites de la croissance, de comprendre que « ce qui importe désormais en premier lieu n’est plus de développer les forces productives, mais d’en dépenser luxueusement les produits » 26, d’accepter de dilapider « le surcroît de richesses » que ses conséquences, la guerre et le luxe, conduise à considérer généralement comme la « Part maudite » de la production industrielle.

  • 27 . Georges Bataille, « La structure sociale » in Denis HollierLe Collège de sociologie, Paris, Gal (...)
  • 28 . PM, p. 128.

8Utilisé comme une donnée historique permettant de mieux comprendre le rôle joué par la consommation dans l’économie générale, le « Potlatch » retrouve, dans La Part maudite, le sens et la consistance d’un véritable « don » – le « don de rivalité » selon le titre attribué par Bataille au paragraphe – qui faisait, pour Mauss, l’intérêt anthropologique particulier de son analyse. Il garde sa valeur d’un cas exemplaire de dépense – « le problème posé est celui de la dépense de l’excédent » – mais il perd sa transparence. Alors que La Notion de dépense se focalisait, à l’encontre du projet de Mauss, sur la dimension de la destruction des richesses dans le potlatch – en tant qu’il confirme l’idée de Hegel que « le fondement de la spécificité humaine est la négativité, c’est-à-dire l’action destructrice » 27 –, Bataille admet désormais que le potlatch, bien qu’à l’origine de la formulation des « lois de l’économie générale » comporte des « éléments irréductibles » à son interprétation. En effet, « le potlatch ne peut être unilatéralement interprété comme une consommation d’énergie » 28.

  • 29 . PM, p. 137.
  • 30 . PM, p. 38.
  • 31 . PM, p. 131.
  • 32 . PM, p. 137.
  • 33 . PM, p. 137.
  • 34 . PM, p. 138.
  • 35 . De ce fait, la Théorie de classe du loisir (1899) de Thorstein Veblen à laquelle se réfère implic (...)

9Bataille reconnaît ainsi que l’approfondissement de sa lecture de Mauss a fait surgir une « difficulté singulière, qu’il a eu bien du mal à résoudre », celle de l’impossibilité d’assimiler, comme il le faisait dans La Notion de dépense, le potlatch à une conduite de consumation. En effet, « la destruction des richesses n’en est pas la règle : elles sont communément données, en conséquence, la perte dans l’opération est réduite au donateur : l’ensemble des richesses est conservé » 29. Le potlatch, qui servait dans La Notion de dépense à démontrer que l’échange avait pour origine « non le besoin d’acquérir qu’il satisfait aujourd’hui, mais le besoin contraire de la destruction et de la perte » 30 n’est plus, dans La Part maudite, « réductible au désir de perdre » 31. Alors que La Notion de dépense déclarait péremptoirement que le rapprochement du potlatch avec le « prêt à intérêt » que proposait Mauss ne concernait qu’« un caractère secondaire du potlatch », La Part maudite adopte un discours beaucoup plus embarrassé, admettant que « le potlatch aboutit rarement à des actes en tout point semblable à ceux du sacrifice » 32. Ce n’est plus sa visée subjective, mais la nature des objets, « dès l’abord inutiles », qu’il fait circuler, qui justifie la considération du potlatch comme une forme d’« institution dont le sens est de retirer à la consommation productive. Le sacrifice, en général, retire de la circulation profane des produits utiles, les dons de potlatch, en principe, mobilisent des objets dès l’abord inutiles » 33. La mise en équivalence du sacrifice et du potlatch n’est plus une caractéristique essentielle du geste accompli, du « sens visé subjectivement » par son auteur. Elle est la signification objective du phénomène pour l’observateur qui reconnaît que la production de ces objets inutiles « dilapide évidemment les ressources représentées par les quantités de travail humain disponibles ». Il est donc juste de dire que « le potlatch est la manifestation archaïque, la forme significative du luxe » 34, un luxe réhabilité du fait de son caractère anti-utilitariste 35.

  • 36 . PM, p. 139.
  • 37 . PM, p. 123.
  • 38 . PM, p. 115. Alfred Métrauxop. cit., p. 681, signale son désaccord avec la vision qu’avait Georg (...)

10Dans cette nouvelle perspective, le potlatch n’offre plus, comme dans La Notion de dépense, un modèle de l’action collective et une justification de la fête révolutionnaire. La Part maudite le mobilise comme un instrument de mesure de la véritable richesse individuelle, comme un modèle de l’investissement personnel qui rend la vie dans la société industrielle digne d’être vécue : « un luxe authentique exige le mépris achevé des richesses, la sombre indifférence de qui refuse le travail et fait de sa vie, d’une part une splendeur infiniment ruinée, d’autre part une insulte silencieuse au mensonge laborieux des riches. Au-delà d’une exploitation militaire, d’une mystification religieuse et d’un détournement capitaliste, nul ne saurait désormais retrouver le sens de la richesse, ce qu’elle annonce d’explosif, de prodigue et de débordant, s’il n’était la splendeur des haillons et le sombre défi de l’indifférence » 36. L’« homme du don », se définit, à l’image du marchand aztèque, par sa seule préoccupation de la « gloire » que lui apporte l’objet dont il se défait, dont il abandonne la jouissance à autrui, ce qui fait de son geste sacrificiel la démonstration de sa véritable richesse 37. Et nul, mieux que l’artiste, au sens de l’individu soucieux de se donner à l’art n’illustre mieux cette conduite sacrificielle, dont « l’essence est de consumer sans profit ce qui pouvait rester dans l’enchaînement des œuvres utiles » 38.

2. Discours anthropologique et qualification artistique

  • 39 . Marcel Fournier, « Une lettre inédite de Marcel Mauss à Roger Caillois du 22 juin 1938 », ARSS 19 (...)

11Dans sa lettre à Roger Caillois du 22 juin 1938, Marcel Mauss exprime, sur un ton amical mais sans concession, ses divergences épistémologiques et idéologiques vis-à-vis du discours tenu par les membres du Collège de sociologie. Pour Marcel Mauss, il s’agit d’un cercle de jeunes intellectuels professant une « espèce d’irrationalisme absolu […] probablement sous l’influence d’Heidegger, bergsonien attardé dans l’hitlérisme » 39.

  • 40 . Voir le témoignage de Pierre Klossowski, « Entre Marx et Fourrier », Le Monde, 31 mai 1969, suppl (...)
  • 41 . Ibid.
  • 42 . Denis HollierLe Collège de sociologie, Paris, Gallimard (Idées), 1979, p. 566.
  • 43 . Marcel Fournierop. cit., rappelle le témoignage d’une ancienne étudiante de Marcel Mauss, carac (...)
  • 44 . Voir Jean-Marie Besnier, « Georges Bataille et la modernité : “la politique de l’impossible” », (...)

12Ce jugement sévère de Marcel Mauss fait écho à celui de Walter Benjamin mettant en garde, trois ans auparavant, les membres du groupe Contre Attaque, contre la « surenchère métaphysique et politique de l’incommunicable » qu’ils pratiquaient 40. L’accord du professeur socialiste français et du critique allemand en exil pour dénoncer l’« esthétisme préfascisant » 41 du petit cercle d’intellectuels réunis autour de Georges Bataille concrétise manifestement, au-delà de leurs convictions politiques personnelles, les différences qui tiennent à leur maturité intellectuelle et à leur engagement professionnel. Leurs préoccupations pratiques les distinguent significativement des aspirations poétiques de jeunes écrivains encore en gestation, intellectuels rebelles et érudits, ravis de s’affirmer publiquement, selon la formule de Roger Caillois, comme des « iconoclastes méthodiques » 42. Si la sincérité de l’admiration de Bataille pour Marcel Mauss est indubitable, il faut prendre garde à la resituer dans le cadre de son développement personnel d’écrivain plutôt que l’inscrire dans une perspective scientifique, celle du chercheur professionnel, qui n’est pas du tout la sienne 43. Elle permet, comme l’ont souligné nombre de commentateurs, de redonner au discours de Bataille sa signification personnelle 44.

  • 45 . Denis HollierLe Collège de sociologie, Paris, Gallimard (Idées), 1979 – [désormais CS] –, p. 36
  • 46 . Ibid.
  • 47 . Ibid., p. 39.

13La lecture de Marcel Mauss apporte manifestement au jeune Georges Bataille un instrument pour trouver « des réponses aux soucis des plus virils, non à une préoccupation scientifique spécialisée » 45. Bien qu’elle corresponde « à un stade suprême de la division du travail social (les sociologues constitués en corps de métier indépendant et patenté) » 46, la sociologie du « fait social total » offre, en effet, un moyen de s’en libérer. Elle constitue une arme contre l’aliénation de l’individu par le travail, elle est un instrument privilégié de revendication de la valeur de son expérimentation personnelle de la vie sociale par « l’apprenti sorcier ». Cet « apprenti sorcier », celui qui ne renonce pas « à devenir un homme entier » 47, est, en effet, l’homme du loisir, celui qui se libère du travail et permet à l’art, comme à la politique, d’échapper à leur assimilation à un travail et à leur soumission à une fonction utilitaire.

  • 48 . Rappelons que Johan Huizinga s’appuie, dans son essai de 1938, sur le texte de Marcel Mauss pour (...)

14Comme l’ont constaté la plupart des commentateurs, le Collège de Sociologie se différencie, en effet, d’un regroupement d’activistes poursuivant un but différent de celui de leur rassemblement. Il trouve sa signification politique dans le lien qu’il instaure entre ses membres, dans l’expérience esthétique et la complicité intellectuelle qu’il organise en tant que « collectif sur le collectif ». Le contexte des années 1930 qui est celui de la montée des idéologies totalitaires et de la recherche de la « troisième voie » est aussi celui de la naissance et de la valorisation du loisir en tant que moyen d’humanisation de l’individu, de l’importance anthropologique de l’Homo Ludens selon la formule de Huizinga 48. La signification religieuse et politique du Collège de sociologie, en tant qu’organisation vouée à la culture du « sacré » – c’est-à-dire, d’un point de vue durkheimien, de la « société » – est donc inséparable de sa signification ludique.

  • 49 . François Laplantine, « Deux précurseurs d’une anthropologie de la vie et du vivant : Roger Bastid (...)
  • 50 . Michel FoucaultL’Herméneutique du sujet, Paris, Gallimard, 2001, p. 172-173. Caractéristique de (...)

15De ce fait, la pratique de Georges Bataille ne se laisse pas réduire à celle d’un anthropologue professionnel. Elle s’inscrit dans le cadre du loisir et de la sociabilité dont il offre l’occasion. Elle ne répond ni à l’exercice d’une fonction de chercheur universitaire, ni à la réalisation d’un « travail de terrain ». Georges Bataille trouve dans l’expérience, au sens de l’expéri­mentation, personnelle, tout à la fois le moyen et la justification de la théorisation de la dépense en tant que forme de lien social. Son loisir lui offre l’occasion, comme le rappelle justement Laplantine, d’explorer et de combiner « cinq types d’expériences étroitement liées entre elles, l’expérience mystique qualifiée “athéologique”, l’érotisme, l’écriture, le combat politique et la communauté » 49 qui sont autant de manières de construire la « sociologie sacrée » dont il ressent la nécessité. Celle-ci consiste concrètement dans deux formes complémentaires de ce que Foucault appellera la « culture de soi » 50.

  • 51 . PM, p. 134.

16La première est l’organisation pratique de formes d’échange permettant d’éprouver collectivement – au sens de ressentir affectivement et de mesurer intellectuellement –, la force d’un lien social qui est à lui-même sa propre fin. La seconde est l’investissement désintéressé dans différentes formes d’écriture – de la critique artistique à la fiction romanesque en passant par l’essai – répondant au choix de fonder son existence sur « l’emploi inutile de soi-même, de ses biens, le jeu » 51.

  • 52 . ED, p. 149.

17Dans ces deux formes d’investissement personnel, il s’agit de réactiver l’expérience constitutive du potlatch en tant que, souligne Mauss, il « est à la fois un jeu et une épreuve » 52.

  • 53 . CS, p. 532, « le sacré est communication entre des êtres et par là formation d’êtres nouveaux ».
  • 54 . PM, p. 134.

18La création de lieux d’échange offre autant d’occasions de se réunir régulièrement en assemblées – « collège », « société secrète », « association », revue artistique –, et d’éprouver le caractère sacré du lien social, à travers la communion esthétique qui s’établit entre les participants et l’enrichissement personnel qu’elle entraîne 53. La pratique désintéressée de l’écriture constitue, quant à elle, un moyen d’éprouver la réalité du sacré à travers l’exploration personnelle de toutes les formes de sa transgression, et le sacrifice de soi qu’elle requiert. Tant il est vrai que l’acquisition d’un savoir du sacré suppose d’assumer la contradiction d’une existence qui « place la valeur, le prestige et la vérité de la vie dans la négation d’un emploi servile des biens, mais, au même instant, fait de cette négation un emploi servile » 54.

  • 55 . PM, p. 135.

19Faire le sacrifice de son corps, et du savoir que permettra de produire son engagement, en se dévouant personnellement à l’exploration du caractère sacré du lien social est la condition de la réussite de la recherche sociologique sur le sacré. Ce don de soi est la condition sine qua non, car « le problème dernier du savoir est celui de la consumation. Nul ne peut à la fois connaître et ne pas être détruit, nul ne peut à la fois consumer la richesse et l’accroître » 55.

  • 56 . Michel Surya, cité par Bernard SichèrePour Bataille : être, chance, souveraineté, Paris, Gallim (...)
  • 57 . CS, p. 535-536.
  • 58 . Ibid.
  • 59 . Georges Bataille, « Lettre à Alexandre Kojève du 6 décembre 1937 », in Georges BatailleChoix de (...)

20Prendre au sérieux le fait que, comme le rappelle de nombreux commentateurs, « les interventions théoriques de Bataille ne sont jamais séparables de sa biographie » 56 permet de redonner leur sens pratique à ses écrits sociologiques en réinscrivant leur production et leur circulation dans le cadre du loisir. Le « faire » qui est le sien se différencie de celui du « fonctionnaire de l’universel » qu’est l’intellectuel républicain, l’Homo Academicus, par la fonction cruciale qu’il confère à l’expérience vécue, à son implication personnelle totale dans « l’interrogation du sphinx sociologique » et la recherche d’une « raison de combattre qui ne serait pas fondée sur des intérêts matériels » 57. S’il est juste de reconnaître une préoccupation sociologique à Georges Bataille, un souci de fonder le lien social sur un « pouvoir spirituel » différent des raisons de mourir « que sont patrie ou classe » 58, l’emploi qu’il fait de sa personne le distingue significativement de l’activité professionnelle du sociologue, par l’affirmation du loisir à laquelle elle entend contribuer. La liberté constitutive du cadre du loisir et des liens interpersonnels que permet de nouer l’investissement dans ses passions redonne, en effet, à l’individu la possibilité d’exister en personne. « Il retrouve ainsi de nouveau, quelque chose à faire dans un monde où du point de vue de l’action, rien ne se fait plus. Et ce qu’il a à faire, c’est de donner à la part d’existence libérée du faire sa satisfaction : il s’agit bien d’utilisation des loisirs » 59.

  • 60 . Voir la « Lettre à Michel Leiris du 5 juillet 1939 », in Georges BatailleChoix de lettres, 1917 (...)
  • 61 . Ibid., p. 165.
  • 62 . Voir à ce sujet, « la structure sociale », op. cit., p. 223-224. Bataille y rappelle, « bien qu’i (...)

21De ce point de vue, la fonction herméneutique qu’il entend redonner à l’expérience personnelle – en ne se laissant pas arrêter, comme Durkheim, par « celles des règles de la méthode sociologique qui excluent l’expérience vécue à la base de l’analyse » –, concrétise la spécificité de sa démarche 60. Même s’il rétorque aux critiques de Michel Leiris – qui lui reproche de pervertir la « sociologique ethnographique » dont il se réclame – que son attitude personnelle « implique à elle seule une notion de phénomène total », la formulation rend compte à elle seule de la différence entre l’exploration pratique du sens du don et sa théorisation 61. L’investissement que fait Georges Bataille du discours de Marcel Mauss est celui d’un écrivain qui trouve dans le texte sur le don un instrument de justification de son œuvre personnelle, un moyen d’affirmation de sa valeur intellectuelle et de sa dimension artistique 62.

22De ce fait, le passage de La Notion de dépense à La Part maudite matérialise, plus qu’une contribution théorique à l’anthropologie du don, l’appropriation pratique par Georges Bataille de la notion de don, sa valorisation d’une activité de médiation artistique et littéraire dans laquelle il s’implique personnellement. Sa promotion de la notion de don devient le mode de revendication d’une figure idéale de l’artiste dont il se fait l’incarnation, et qui se définit précisément par cette exigence d’incarnation.

  • 63 . « Restituer à l’art son caractère de jeu, de jeu non pas gratuit mais dans lequel tout ce qui est (...)
  • 64 . Samuel Bloc souligne justement, en ce sens, que « si le phénomène du don ouvre un accès direct à (...)

23La Notion de dépense liait le don à l’investissement dans le collectif, à un engagement politique de jeunesse qui, pour Leiris, dénaturait la valeur de jeu de l’activité littéraire et l’usage que faisait Bataille de son talent 63La Part maudite promeut une vision du don plus orthodoxe, en redonnant au potlatch sa valeur de jeu et d’épreuve et son sens de construction d’un lien interpersonnel. Le prosélytisme explicite de Bataille transforme cependant la notion de don en un instrument de qualification des personnes et de va­lorisation d’une éthique du partage, dont l’art et la poésie sont les vecteurs 64.

  • 65 . « Lettre à Jérôme Lindon, 25 octobre 1947 », in Georges BatailleChoix de lettres, 1917-1962op (...)

24Son texte de présentation, en 1947, de la collection L’Usage de richesses, aux éditions de Minuit – celle qui publiera précisément La Part maudite – rend bien compte de cet usage de l’anthropologie du don. Il distingue « l’économie capitaliste », où « l’on emploie la plus grande partie des ressources (c’est-à-dire du travail) disponibles à fabriquer de nouveaux moyens de productions » de « l’économie de la fête » où « l’on gaspille l’excédent sans chercher à augmenter le potentiel de production ». Le choix est clair « dans le premier cas, la valeur humaine est fonction de la productivité ; elle se lie dans le second aux plus belles réussites de l’art, à la poésie, au plein épanouissement de la vie humaine » 65. L’évolution personnelle de Georges Bataille le conduit à faire de l’art (et de la littérature) l’incarnation du « système du don » et de l’artiste celui qui assure, par son sacrifice personnel, sa transmission.

  • 66 . Voir Pierre-Michel MengerPortrait de l’artiste en travailleur, Paris, Seuil, 2003.

25Cette figure idéale de l’artiste se définit en effet, par le don de soi à la collectivité, car c’est le don de sa personne qui fait valeur du lien qu’il permet d’établir entre les individus. Elle s’incarne, au-delà, dans une personne, par le don du don, le sacrifice que l’artiste accepte de faire de toute préoccupation de reconnaissance, de toute soumission à un faire artistique qui le détournerait de l’exploration de son expérience intérieure. Exact opposé du « portrait de l’artiste en travailleur » 66, c’est ce portrait de l’artiste en donateur qui confère à son discours sa valeur anthropologique, et qui apporte à son œuvre, pour tous ceux qui s’efforcent de l’interroger, le prix de choses sans prix.

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Notes

1 . Voir Alfred Métraux, « Rencontre avec les ethnologues », in Critique, « Hommage à Georges Bataille », 1963, n° 195-196, p. 677-684. Il y évoque, p. 680 : « l’époque où, élève de Marcel Mauss, je découvrais les règles du potlatch et le caractère sacré du don » et où « je résumais, pour lui, le comportement de ces chefs Kwakiutl qui, pour accroitre leur prestige et écraser un rival, détruisaient en un jour d’immenses accumulations de richesses ».

2 . « […] La lecture de l’Essai sur le don est à l’origine des études dont je publie les résultats aujourd’hui », in La Part maudite, Paris, Minuit, 1967, p. 106.

3 . Publié pour la première fois dans La Critique sociale, n° 7, janvier 1933, le texte a été réédité dans La Part maudite, op. cit.,p.29-54.

4 . Voir par exemple, Samuel Bloc, « Le potlatch. De Marcel Mauss à Georges Bataille », http://stl.recherche.univ-lille3.fr/seminaires/philosophie/macherey/Macherey20012002/Bloc.html

5 . Pour une étude récente, voir Jean-Christophe Marcel, « Bataille et Mauss : un dialogue de sourds ? », Revue du MAUSS permanente, 14 avril 2007 [en ligne]. http://www.journaldumauss.net/spip.php?article18.

6 . Jacques T. GodboutL’Esprit du don, Paris, La Découverte, 1992, p. 19. Il s’agit, en fait, d’une étude publiée dans L’Année sociologique, 1925, n° 1, p. 30-186.

7 . Voir l’introduction de Jean Piel à La Part mauditeop. cit., p. 19.

8 . La Part maudite [désormais PM], op. cit., p. 162.

9 . La fin de l’Essai sur le don invite les individus à « s’asseoir, tels des chevaliers, autour de la richesse commune… », car le « bien et le bonheur » résident dans « la richesse amassée puis redistribuée dans le respect mutuel et la générosité réciproque que l’éducation enseigne », Marcel MaussEssai sur le don, Paris, PUF, 2007, p. 248. Florence Weber, dans son introduction, caractérise le texte comme un « chainon essentiel dans l’invention d’une Sécurité Sociale à la française » (p. 10).

10 . Marcel MaussEssai sur le don [désormais ED], op. cit. p. 26.

11 . Samuel Blocop. cit., p. 24. Voir, sur l’intérêt de l’analyse de Marcel Mauss pour le présent, Alain Caillé, « Don et association », Revue du MAUSS permanente, 2007, http://www.journaldumauss.net/spip.php?article2

12 . PM, p. 272.

13 . ED, p. 72.

14 . ED, note 1, p. 72.

15 . ED., p. 142.

16 . PM, p. 39.

17 . PM, p. 40. Son interprétation du potlatch explique l’importance que Bataille confère à la remarque de Mauss sur les Kwakiutl selon laquelle « l’idéal serait de donner un potlatch et qu’il ne soit pas rendu », ED, note 4, p. 156.

18 . Jacques T. GodboutL’Esprit du don, op. cit., p. 70. « Autrement dit, la dilapidation est un don perdu, même comme don » (p. 71).

19 . ED, note 2, p. 141-142.

20 . PM, p. 49.

21 . PM, p. 47.

22 . PM, p. 45.

23 . PM, p. 54.

24 . PM, p. 125.

25 . PM, p. 91.

26 . PM, p. 90.

27 . Georges Bataille, « La structure sociale » in Denis HollierLe Collège de sociologie, Paris, Gallimard (Idées), 1979, p. 215.

28 . PM, p. 128.

29 . PM, p. 137.

30 . PM, p. 38.

31 . PM, p. 131.

32 . PM, p. 137.

33 . PM, p. 137.

34 . PM, p. 138.

35 . De ce fait, la Théorie de classe du loisir (1899) de Thorstein Veblen à laquelle se réfère implicitement la critique de la « dépense bourgeoise » en tant que geste de distinction dans La Notion de dépense, devient un moyen d’affirmer, dans La Part maudite, le caractère positif de toute conduite anti-utilitaire.

36 . PM, p. 139.

37 . PM, p. 123.

38 . PM, p. 115. Alfred Métrauxop. cit., p. 681, signale son désaccord avec la vision qu’avait Georges Bataille du sacrifice « comme une restitution au monde sacré de ce que l’usage servile a dégradé et par conséquent rendu profane. Par le sacrifice, la “violence” est libérée et par cette dernière il faut entendre le monde intime, celui que le travail n’a pas réduit à l’état de chose ».

39 . Marcel Fournier, « Une lettre inédite de Marcel Mauss à Roger Caillois du 22 juin 1938 », ARSS 1990, n° 84, p. 87.

40 . Voir le témoignage de Pierre Klossowski, « Entre Marx et Fourrier », Le Monde, 31 mai 1969, supplément au n° 7582 (page spéciale consacrée à Walter Benjamin), cité in Denis HollierLe Collège de sociologie, 1937-1939, Paris, Folio, 1995, p. 884-888.

41 . Ibid.

42 . Denis HollierLe Collège de sociologie, Paris, Gallimard (Idées), 1979, p. 566.

43 . Marcel Fournierop. cit., rappelle le témoignage d’une ancienne étudiante de Marcel Mauss, caractérisant ses rapports avec Roger Caillois et Michel Leiris, selon laquelle « Mauss ne les prenait pas au sérieux. Parmi ses élèves, il y avait les futurs ethnologues professionnels et les autres… ».

44 . Voir Jean-Marie Besnier, « Georges Bataille et la modernité : “la politique de l’impossible” », Revue du MAUSS 1/2005 (no 25), p. 190-206. Consultable sur www.cairn.info/revue-du-mauss-2005-1-page-190.htm.

45 . Denis HollierLe Collège de sociologie, Paris, Gallimard (Idées), 1979 – [désormais CS] –, p. 36.

46 . Ibid.

47 . Ibid., p. 39.

48 . Rappelons que Johan Huizinga s’appuie, dans son essai de 1938, sur le texte de Marcel Mauss pour faire reconnaître le jeu comme moteur du processus de civilisation et la compétition « comme fonction créatrice de culture ». Voir Johan HuizingaHomo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard, 1988, notamment p. 102-123.

49 . François Laplantine, « Deux précurseurs d’une anthropologie de la vie et du vivant : Roger Bastide et Georges Bataille » in Parcours anthropologiques, 2002 (3), p. 6-26, p. 21. L’article est consultable sur http://recherche.univ-lyon2.fr/crea/rubrique-27-Parcours-anthropologiques-Info-Crea.html

50 . Michel FoucaultL’Herméneutique du sujet, Paris, Gallimard, 2001, p. 172-173. Caractéristique de « l’auto-finalisation de soi dans le souci de soi », cette culture de soi combine notamment « un ensemble de valeurs données à la fois comme étant universelles mais comme n’étant accessibles qu’à quelques-uns », des conduites précises et réglées, soit le fait « qu’il y faut des efforts et des sacrifices, et même qu’il faut pouvoir consacrer sa vie pour toute entière pour pouvoir y avoir accès », et des « des procédures et des techniques » liées à tout « un champ de savoir ».

51 . PM, p. 134.

52 . ED, p. 149.

53 . CS, p. 532, « le sacré est communication entre des êtres et par là formation d’êtres nouveaux ».

54 . PM, p. 134.

55 . PM, p. 135.

56 . Michel Surya, cité par Bernard SichèrePour Bataille : être, chance, souveraineté, Paris, Gallimard, 2005, p. 104.

57 . CS, p. 535-536.

58 . Ibid.

59 . Georges Bataille, « Lettre à Alexandre Kojève du 6 décembre 1937 », in Georges BatailleChoix de lettres, 1917-1962, Paris, Gallimard, p. 134. À cette époque, Bataille re­jette « la négativité impuissante [qui] se fait œuvre d’art ». Il se définit comme « l’homme qui n’a plus rien à faire » mais qui « a reconnu la négativité exactement dans le besoin d’agir », cette reconnaissance étant « la condition de toute existence humaine » (p. 133-134).

60 . Voir la « Lettre à Michel Leiris du 5 juillet 1939 », in Georges BatailleChoix de lettres, 1917-1962, Paris, Gallimard, 1997, p. 164.

61 . Ibid., p. 165.

62 . Voir à ce sujet, « la structure sociale », op. cit., p. 223-224. Bataille y rappelle, « bien qu’il y ait une apparence de désagréable prétention dans toute affirmation de cet ordre » que « les expériences vécues dont je parle » ne sont pas « assimilables à l’expérience commune ». Elles acquièrent un caractère « évidemment extérieur à la mentalité générale » du fait d’être informées par « certaines connaissances objectives […] en particulier par ce que la sociologie française nous a appris. Dans ces conditions, nos expériences vécues peuvent être considérées dans une certaine mesure comme fabriquées ». Beaucoup d’analyses de l’appropriation que fait Georges Bataille de l’œuvre de Marcel Mauss ignorent curieusement ces éclaircissements.

63 . « Restituer à l’art son caractère de jeu, de jeu non pas gratuit mais dans lequel tout ce qui est humain se trouve engagé. Contre le présent point de vue : je reproche à Bataille de se mêler de politique, qu’il y perd son temps, que celui lui fait gâcher son don poétique : il n’en reste pas moins que le Bleu du ciel est un admirable livre… », extrait [daté de 1935] de « Georges Bataille au fil des jours », in Georges Bataille et Michel LeirisÉchanges et correspondances, Paris, Gallimard, 2004, p. 209.

64 . Samuel Bloc souligne justement, en ce sens, que « si le phénomène du don ouvre un accès direct à la compréhension du processus dynamique par lequel le lien social se noue, réciproquement la compréhension de ce qui vivifie, nourrit et entretient la vie de ce lien social ne peut aller sans promouvoir le phénomène en question ».

65 . « Lettre à Jérôme Lindon, 25 octobre 1947 », in Georges BatailleChoix de lettres, 1917-1962op. cit., p. 378.

66 . Voir Pierre-Michel MengerPortrait de l’artiste en travailleur, Paris, Seuil, 2003.

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References

Electronic reference

Jean-Marc Leveratto“Georges Bataille et l’anthropologie du don”Le Portique [Online], 29 | 2012, document 7, Online since 15 December 2014, connection on 24 April 2021URL: http://journals.openedition.org/leportique/2604; DOI: https://doi.org/10.4000/leportique.2604

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