Michel Simon pornographe

L'album pornographique de Michel Simon (1920-1935)

 


Tout ce qui touche au sexe, l’acteur Michel Simon l’achète. En parallèle, il fait des photos explicites, annotées de petits textes obscènes, maintenant publiées sous le titre : “L’Album pornographique de Michel Simon”. La part cachée du monstre… sacré ?

Un soir, Michel Simon organise une soirée trio, dans sa garçonnière du quartier Saint Denis, au 37 rue Beauregard. Il en profite pour faire une centaine de photos, qu’il colle ensuite dans un album à reliure verte et qu’il agrémente d’un texte écrit au crayon, commentant chaque image à l’aide de mots choisis : «Tu es belle ma femme, je bande pour toi», «Suce-le, il en meurt d’envie», «Cette fois, c’est elle qui lâche son foutre». Les clichés, pris au Leica, montrent une femme inconnue que Michel Simon nomme Mauricette, et qu’il présente comme son épouse. Elle pose en compagnie du peintre Nicolas Sternberg, avec qui Michel Simon partage volontiers ses soirées privées. Les deux hommes sont complices et l’album de cette frasque n’est qu’un parmi de nombreux autres albums similaires, remplis de fantasmes crus. L’acteur aimait photographier ses partenaires, garder une trace de ses nuits.

Un «appétit gargantuesque»

Publié aux éditions La Manufacture des Livres, L’Album pornographique de Michel Simon en donne un aperçu quelque peu «bordélique», mélangeant sans ménagement des auto-portraits nus du jeune Michel Simon à des images de fellation, de tribadisme ou de levrettes prises par lui entre les années 1940 et 1960. L’impression générale est celle du désordre, mais reflète parfaitement la façon dont l’acteur accumulait les souvenirs de ses orgies : pêle-mêle. Secoué par une fièvre compulsive, il accumulait toutes les expériences possibles d’actes sexuels dont les photos lui permettaient de garder la trace. Cette même fièvre le poussait aussi à collecter de façon systématique tout ce qui touchait au sexe, c’est-à-dire aussi bien des catalogues de sex-shop que des bronzes érotiques, des olisbos romains ou des aquarelles du XVIIIe siècle. De fait, Michel Simon était moins acteur que collectionneur.

Un musée de la pornographie

«Il ne jouait au cinéma que pour acheter des curiosaMichel Simon disait sans cesse qu’il était pauvre et c’était vrai, puisqu’il dépensait tout pour sa collection.» Ainsi qu’Alexandre Dupouy le dévoile dans l’introduction de l’Album pornographique, Michel Simon avait un rêve : il voulait créer un musée de la pornographie, et l’offrir à la France, son pays d’attache. Sa maison de Noisy-Le-Grand abritait les oeuvres qu’il accumulait dans ce but. Mais quel capharnaüm… Rien n’était rangé. «A la différence des collectionneurs, Michel Simon ne classait pas les pièces qu’il se procurait. Non seulement il achetait tout et n’importe quoi, mais il ne tenait aucun registre.» Résultat : une collection sans queue ni tête, entassée en vrac dans des cartons où se côtoient des gravures de Dali et des revues pour adultes. Les visiteurs sont frappés par l’entassement, mais plus encore par la poussière, qui recouvre tout. Michel Simon ne prend pas vraiment soin de sa collection.

Bric à brac masturbatoire ?

«Cette accumulation est-elle l’œuvre d’un malade pervers, névrosé, maniaque et obsédé ou d’un visionnaire, ayant la volonté de préserver la part de mémoire de l’humanité qui est régulièrement détruite par la pudibonderie ? On peut facilement opter pour la première réponse, surtout quand on apprend qu’il détenait huit exemplaires des Lettres à la Présidente de Théophile Gautier, dans sa version illustrée par Luc Lafnet, tirée seulement à 465 exemplaires. Un exemplaire, c’est bien normal pour un bibliophile de sa trempe. Deux exemplaires, pourquoi pas, on peut toujours trouver une raison. Trois, c’est une folie. Mais, huit ?». Alexandre Dupouy s’étonne. Le frappe également cet autre détail troublant : Michel Simon mélange ses albums privées avec les oeuvres qu’il achète. Chez lui quand on ouvre un carton à dessin, on peut tout aussi bien tomber sur les photos intimes du maître des lieux que sur des gravures de Félicien Rops.

Le syndrôme de Diogène, version lubrique

«Ce qui est assez étrange c’est que ca ne le gênait pas d’avoir ça qui trainait chez lui», raconte Alexandre, qui compare la maison de Noisy-Le-Grand à «une gigantesque poubelle», encombrée de prospectus, d’oeuvres d’art et d’antiquités, parmi lesquelles se promènent des photos compromettantes et même des pellicules de films dont la rumeur chuchote que certaines mettent en scène des actrices de renom. Car, oui, Michel Simon filmait aussi. Vers la fin de sa vie, sentant qu’il n’aura pas la force de faire aboutir le «projet pharaonique» de son musée, il le propose aux institutions françaises qui refusent en se pinçant le nez. Le fils de Michel Simon, François, propose également la collection à la ville de Genève. «Nouveau refus dégouté», résume Alexandre Dupouy. La collection est donc finalement bradée, au fil de plusieurs ventes. Quant aux documents compromettants… ils sont probablement détruits. Il y avait une piscine dans le jardin de la maison, à Noisy-Le-Grand. On sait que dans cette piscine des centaines de millier d’images et d’objets ont brulé. Heureusement, soupire Alexandre, la plupart des documents «ont survécu». L’album pornographique de Michel Simon est là pour le prouver.

Agnes Giard

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