La guillotine, une invention humaniste?
Le 10 septembre 1977, Hamida Djandoubi, 28 ans, est exécuté par guillotine à Marseille. Imaginée en 1789 par le docteur Guillotin, fabriquée trois ans plus tard par un facteur de pianos, la guillotine réussit ce paradoxe d'avoir été inspirée par des idées héritées des Lumières.
10 septembre 1977 : le Tunisien Hamida Djandoubi, 28 ans, est exécuté par guillotine à la prison des Baumettes, à Marseille. Condamné pour viol et assassinat, il est le dernier condamné à mort en France. Imaginé par le docteur Guillotin en 1789, l'instrument de mort réussit ce paradoxe d'être "une perfection dans l'art de la mort tout en condensant des idées de civilisation, de modernité et d'humanité", ainsi que le formulait la documentariste Anice Clément. C'était en octobre 1997, dans une émission de France Culture (Lieux de mémoire) consacrée à la guillotine.
Dans ce documentaire, l'historien Daniel Arasse, auteur en 1988 de La guillotine et l'imaginaire de la Terreur (Flammarion), revenait sur la "méchante histoire" de la guillotine, dont la première victime, le 25 avril 1792, fut le tire-laine Nicolas Jacques Pelletier, condamné pour coups et vol. Mais ce sont surtout les étonnantes inspirations humanistes derrière cette invention de mort, qu'évoquait l'historien.
Instrument de mort instantané et égalitaire, inspirée de la culture anglo-saxonne : la guillotine, invention des Lumières ?
Dans l'Ancien Régime, les exécutions publiques, conçues comme un spectacle, un moment d'expiation collective, étaient l'occasion d'affreuses tortures. C'était, par exemple, selon les profils de condamnés, la pendaison, le bûcher, l'écartèlement, le supplice de la roue, ou encore la décapitation à l'épée ou à la hache, privilège de la noblesse.
Aussi, "quand en décembre 1789, le bon docteur Guilllotin propose à l'Assemblée une machine à couper des têtes, une simple mécanique pour décapiter les condamnés à mort, il pouvait penser qu'il faisait œuvre humanitaire, œuvre de médecin éclairé, de médecin du siècle des Lumières, expliquait Daniel Arasse, ajoutant : "Contre le supplice de la roue, la guillotine, elle, propose une mort instantanée."
La proposition du docteur Guillotin est aussi novatrice par sa dimension égalitaire : "Quel que soit le rang du coupable, qu'il soit noble ou roturier, il aura la tête tranchée par la mécanique, et ce simple choix était une décision politique significative à l'époque, car il faut se rappeler que la décapitation était réservée à la noblesse."
En proposant la guillotine pour tout le monde, Guillotin était effectivement un médecin des Lumières, un médecin en tout cas philosophique, car comme on l'a très vite dit après, il proposait, et je cite de mémoire, "de faire monter la roture à la noblesse du billot, plutôt que de faire descendre la noblesse à la honte du gibet". Daniel Arasse
Enfin, n'oublions pas que l'Angleterre et sa Royal Society ont joué un rôle important dans la propagation des Lumières. Or, la guillotine a été directement inspirée de la "scottish maiden", "la jeune fille écossaise", machine à décapiter bien connue en Europe, et aujourd'hui toujours conservée au Musée d'Edimbourg : "En fait, Guillotin se contentait de proposer l'introduction en France d'un modèle qui dans la conscience des Français, était à cette époque-là anglais."
Finalement fabriquée par un facteur de piano
Comble de l'histoire ? La guillotine ne sera finalement pas fabriquée par le docteur Guillotin. Car le discours que celui-ci tient à l'Assemblée en décembre 1789, maladroit, trop exalté, le discrédite : "On parle d'un effet de rhétorique trop fort, il aurait exalté l'utilisation de sa machine, suggéré que quand le couteau tombait, on n'avait pas l'impression d'avoir la tête tranchée, qu'on ne sentait qu'une simple fraîcheur etc.", détaille Daniel Arasse.
On ne sait pas ce qu'il a dit, mais une chose est certaine, l'Assemblée a éclaté de rire à sa proposition ; c'était évidemment un mauvais début, un début en tout cas inattendu quand on pense à ce qui allait se passer seulement quelques années plus tard. Daniel Arasse
Résultat : avant même que la machine soit fabriquée, et suite au succès comique de Guillotin, le mot "guillotine" voit le jour grâce aux chansonniers : "'Guillotin-machine', c'est magnifique, à la rime, de dire 'guillotine'. Et dès 1789, on parle de guillotine dans les chansons", explique Daniel Arasse.
Puis la proposition de Guillotin tombe dans l'oubli. Mais en 1791, contre l'avis de Robespierre, partisan de l'abolition, la peine de mort est maintenue. Et il est décidé que tout condamné aura la tête tranchée : "À partir de ce moment, un seul bourreau et une épée ne suffisent pas, fabriquer des épées de bourreau coûte très cher...", raconte Daniel Arasse.
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