Aux Belles Poules
Unique vestige de ce type à Paris, Aux Belles Poules témoigne d’une histoire ancrée depuis longtemps dans le quartier. Au 32 rue Blondel, une petite voie qui donne dans la rue Saint-Denis, une maison où des valets de pied s’amusent bruyamment est déjà recensée en 1884. Huit ans plus tard, le Guide des plaisirs à Paris décrit l’ambiance d’Aux Belles Poules et des « brasseries de femmes » de ce type : « Accoutrées d’affriolants costumes qui souvent n’en sont guère, les filles se présentent au client, l’invitent et l’excitent à boire, à ses frais naturellement ; elles-mêmes s’excitent par les alcools impurs, et bientôt dans une atmosphère empuantie de tabac, l’ivresse et l’amour se confondent poétiquement ! »
Témoignage du Paris Frivole des années folles
La haute-société parisienne venait s’encanailler Aux Belles Poules pour oublier la Grande Guerre, sans anticiper la venue de la Seconde Guerre Mondiale… Le traumatisme des tranchées et des poilus est remplacé par une ivresse de vivre comme si demain n’existait pas…
Les années 20 sont une décennie cruciale dans l’émancipation de la femme. On peut même dire qu’elle est le théâtre d’une réelle libération.
Le Paris Frivole des années 20 s’appelle au féminin Coco Chanel, Misstinguett, Colette, Louise Brooks ou encore Josephine Baker… Et au masculin : Hemingway, Picasso, Francis Scott Fitzgerald, Aragon, Cocteau, Victor Margueritte…
Tandis que la femme riche se coupe les cheveux à la Garçonne, fume, conduit et s’émancipe des corsets, se parfume de Chanel N°5 ou de Shalimar, la femme des maisons closes, enfermée, rêve elle aussi de liberté…
La poule des années 20 versus la Cocotte de la Belle Epoque
La poule des années 20 n’est pas une Cocotte du Paris 1900, et son quotidien s’éloigne du faste de ces Belles Horizontales… La grande mode des Cocottes de la Belle Epoque a disparu lors de la guerre de 14-18. Liane de Pougy, Cléo de Mérode, la Belle Otero et toutes ces intrigantes ayant mis à genoux toute l’aristocratie et les têtes couronnées du monde entier se sont retirées du milieu et vivent désormais au souvenir de leur gloire passée.
La prostitution n’a cependant jamais disparu et les maisons de tolérance abondent, tout particulièrement dans le 2ème et le 9ème arrondissement de Paris. On en répertorie plus de 170.
Il existe des maisons d’abattage, comme le Fourcy, où les conditions de travail des prostituées sont abominables (jusqu’à 70 passes par fille et par jour, au tarif de 5,50 francs), il y a les maisons de moyenne gamme comme Aux Belles Poules où travaillaient une vingtaine de filles, à raison de deux passes par jour. La passe coûtait 30 francs. Et puis il y avait les établissements haut-de-gamme comme le Chabanais ou le Sphynx (31 Boulevard Edgar-Quinet). Le Chabanais attirait les beautiful people comme Toulouse Lautrec ou Cary Grant, grâce à ses chambres à thème (Louis XVI, bateau…) et son hall somptueux en forme de grotte.
Le très célèbre One-Two-Two (122 rue de Provence) possédait même un restaurant où les filles servaient nues. Edit Piaf et Jean Gabin y auraient même fait un tour…
Bref, la prostituée des années 20 n’avait rien d’une Cocotte indépendante à qui l’on offrait des hôtels particuliers. Pire, plus le temps passait, plus sa rentabilité baissait et son endettement grandissait. Souvent, elle finissait malade et à la rue ou bien cloîtrée de nouveau, au terrible Hôpital Saint-Lazare où l’on regroupait femmes atteintes de démences, malades ou coupables d’adultères…
Aux Belles Poules : différences et similitudes avec les autres maisons closes de Paris
Dans un Paris hautement peuplé de bordels, Aux Belles Poules se démarquait de la concurrence grâce à quelques stratégies de marketing bien rôdées… Figurez-vous qu’on y réalisait des tableaux vivants ! Les jolies poules s’évertuaient alors à arborer leur meilleur profil pour s’inscrire dans l’art et la beauté de l’instant.
Rue Blondel, le lieu est la star. Comme toutes les maisons de tolérance, on le distingue grâce à 3 éléments : le numéro de la rue bien plus imposant que les autres, la grille à l’entrée pour que la tenancière puisse distinguer les clients et la lumière, toujours allumée.
Aux Belles Poules suit la même règle que les autres maisons closes de Paris : il est interdit de manipuler l’argent à l’intérieur. La tenancière échange donc de l’argent contre des jetons et garde la mainmise sur ses employées.
Un guide rose passait de main en main, circulant « sous le manteau » et répertoriait ces bordels en incluant quelques commentaires appréciatifs sur ses pratiques…
Un bijou d’architecture Art Déco
Aux Belles Poules est le seul établissement dont le décor est resté quasiment intact, contrairement aux autres maisons closes parisiennes. Il ne reste rien de ses concurrentes.
L’adresse est un véritable chef d’œuvre de l’Art déco, ce qui lui vaut d’être inscrit au titre des monuments historiques. En effet, ses murs sont recouverts de sublimes mosaïques érotiques et d’immenses miroirs d’époque. Ces fresques murales ont été réalisées en 1921, sans doute par des clients, contre un accès libre. Elles ne sont malheureusement pas signées. En 1925, le nombre de chambres est doublé grâce au rachat de l’hôtel placé au numéro 34. Le salon et l’escalier existent encore, mais aujourd’hui, les appartements ont tout ce qu’il y a de plus ordinaire.
Des témoignages d’artistes
En 1948, suite à la loi Marthe Richard toutes les maisons closes furent fermées, y compris Aux Belles Poules. Il en reste bien sûr, quelques vestiges somptueux, mais c’est avant tous les arts qui rendent éternel ce bordel parisien :
« S’il vous plaît de chanter les fleurs, qu’elles poussent au moins rue Blondel, dans un bordel » – Georges Brassens, Le Pornographe….
Plusieurs écrivains comme Henri Calet et Pierre Deveaux s’amusèrent à raconter dans leurs œuvres les spectacles obscènes, des filles qui tentaient de récupérer les jetons des clients avec certaines parties de leur anatomie !
Le Fabuleux Destin de Caroline Senot
Vouée à faire carrière dans l’informatique, Caroline Senot s’est retrouvée du jour au lendemain, nez-à-nez face à un drôle de destin. Un jour, elle fait l’acquisition d’un rez-de-chaussée avec son père, gérant d’une société d’informatique. C’est le 32 de la rue Blondel dans le 2ème.
On les prévient simplement que le lieu est inscrit à l’inventaire supplémentaire des bâtiments de France depuis 1997. De plus, une annexe du contrat mentionne l’existence de fresques qui recouvriraient entièrement la salle, en leur rappelant qu’ils ne peuvent pas se retourner contre le vendeur à leur sujet.
Interloqués, Caroline et son père se demandent ce qu’il se cache sous les panneaux de bois… Quelques indices apparaissent pourtant : l’entrée et le sol des toilettes dévoilent des mosaïques de toute beauté… Cette dernière représente une femme aux cheveux roux avec un sein dénudé et un éventail à la main…
Le sol des toilettes quant à lui, représentait un corps de poule avec un visage de femme…
En 2014, le père de Caroline prend sa retraite, Caroline se questionne sur son avenir… Sa curiosité piquée de nouveau à vif, l’incite à enlever les panneaux de bois… Et là…
C’est à ce moment précis que le Fabuleux Destin de Caroline Senot vit le jour. Caroline découvre les miroirs, les céramiques, des vitraux et découvre le nom du lieu « Aux Belles Poules ». Elle décide alors de s’entourer d’artisans et spécialistes de la restauration pour redorer le blason de cette adresse longtemps masquée par des surcouches factices. Elle modernisa l’espace sans compromettre son ADN et fut obliger de faire refaire le plafond endommagé.
Le décor ayant retrouvé de sa superbe, Caroline se plongea dans des archives et des documents anciens pour retracer l’histoire fascinante d’Aux Belles Poules….
Aux Belles Poules aujourd’hui
Ne vous méprenez pas, Aux Belles Poules renait de ses cendres mais s’est délesté de ses atours sulfureux. Aujourd’hui, ce lieu atypique et insolite laisse place à l’organisation d’événements corporate.
Lieu de séminaire d’entreprises, de dîners spectacles, de conférences, de tournages, de shooting, d’afterworks et de cocktails privés : Aux Belles Poules emprunte une direction plus chic et intellectuelle.
Caroline organise des conférences qu’elle anime avec passion pour partager ses recherches et faire vivre l’âme d’un Paris oublié…
La salle est louée le temps d’une journée ou d’une soirée…
Commentaires
Enregistrer un commentaire