La note américaine
Jusqu’au rachat par les États-Unis de la Louisiane française en 1803, les Osages peuplaient un immense territoire du centre du pays, entre Missouri et montagnes Rocheuses. Peu à peu confinés dans un espace sans cesse plus étriqué, confrontés à l’avancée des colons blancs, ils finirent par acheter au début des années 1870 des terres dans l’actuel Oklahoma. Leur histoire, à partir de ce moment aurait pu se dérouler sans grands bouleversements. Malins – et acculés – les Osages avaient en effet jeté leur dévolu sur des terres peu chères et surtout montagneuses, arides et désolées ; le genre d’endroit dont aucun blanc ne voudrait. Et puis, vers la fin du XIXème siècle, on s’aperçut que de jolis arcs-en-ciel apparaissaient parfois dans les ruisseaux. Quand, au début des années 1900, sous une nouvelle pression gouvernementale, les terres durent être redistribuées en partie, l’avocat des Osages, négocia une clause selon laquelle toutes les ressources du sous-sol appartenaient à la tribu. En pleine seconde Révolution industrielle, les Osages se retrouvaient assis sur d’importantes réserves de pétrole, ils en étaient les propriétaires et, surtout, ils s’étaient organisés pour que les parts de chaque membre ne soient transmissibles que par héritage. Tout cela était un peu frustrant pour le gouvernement qui, donc, obligea cependant chacun des propriétaires osages à avoir un curateur blanc pour gérer sa fortune. C’est que les Indiens, ces grands enfants, pouvaient être tentés de dépenser bêtement cet argent des droits d’exploitations délégués à des compagnies pétrolières qui tombait avec une régularité de métronome, ou plutôt de chevalet de pompage, sur leurs comptes en banque.
Mollie Burkhart avait de la chance. Cet Osage, propriétaire de parts, était tombé amoureuse d’Ernest Burkhart, un blanc, et l’avait épousé. Ernest était son curateur et le couple vivait assez confortablement sans avoir à se soucier de demander à qui que ce soit comment utiliser leur fortune. Mais Mollie avait aussi des sœurs et une mère. En mai 1921, Anna, sa sœur aînée, disparut. On retrouva son cadavre quelques jours plus tard, abandonné dans une ravine, une balle dans la tête. La mort d’Anna inaugurait ce que les Osages allaient appeler le Règne de la terreur. Plusieurs années durant, un nombre conséquent de membres de la tribu, dont une partie de la famille de Mollie, allaient trouver la mort dans des circonstances violentes : exécutions sommaires, empoisonnement et même dynamitage. Avocats ou détectives embauchés pour leur venir en aide n’y couperaient pas non plus, poignardés ou battus à mort sans que personne ne soit capable de retrouver les coupables et jusqu’à ce que, en 1925, l’affaire soit confiée à Tom White, ancien Texas Ranger devenu agent du Bureau of Investigation, futur FBI, sous les ordres d’un jeune fonctionnaire de Washington obsessionnel et ambitieux : J. Edgard Hoover. Avec une équipe d’agents sous couverture infiltrés dans la communauté du comté d’Osage, White allait peu à peu lever le voile sur les responsables du Règne de la terreur.
Tout cela pourrait sans problème constituer un formidable roman noir. On croise en effet dans La note américaine une formidable galerie de personnages ambivalents, du notable ambitieux au médecin douteux, en passant par des gangs de moonshiners, des flics en costard, des détectives qui semblent sortis d’un roman de Hammet et des politiciens plus véreux les uns que les autres. Le livre de David Grann, pourtant, n’a rien d’un roman. Aussi oublié soit-il, le Règne de la terreur a bien existé, et Grann entend bien dans cet ouvrage, non seulement le rappeler, mais aussi montrer le sort qui fut réservé aux Osages par le gouvernement américain et enfin, faire la lumière sur tout un système de mise en place de cette terreur et d’exploitation de celle-ci à des degrés divers.
Journaliste et romancier, Grann a donc mis sa plume au service d’une recherche historique exemplaire, et réciproquement. Il donne ainsi naissance à une œuvre deliterary nonfiction de grande qualité divisée en trois grandes parties qui s’articulent parfaitement et viennent, l’une après l’autre, à la manière de poupées russes, dévoiler à chaque fois un nouvel aspect de cette fascinante histoire.
La première, à travers le personnage de Mollie et de sa famille, expose les débuts du Règne de la terreur tout en décrivant méticuleusement la situation des Osages. L’histoire de Mollie, de la manière dont elle est éduquée, arrachée pour cela à sa famille, forcée à la conversion au christianisme, considérée malgré tout par les autorités comme une éternelle mineure, la façon dont est distillée opiniâtrement aux jeunes Osages par les autorités la haine de soi, de sa langue, de ses croyances et de ses traditions… tout cela dresse un édifiant tableau de rapports entre Blancs et Osages d’autant plus inégaux que ceux qui imposent leur culture et leur vision du monde aux autres, sont ici ceux qui ne possèdent pas la supériorité économique. Handicap qu’ils compensent toutefois assez vite par le biais du système des curateurs.
La deuxième tourne autour du personnage éminemment romanesque de Tom White, de sa relation avec Hoover, et, surtout de sa détermination à démasquer et à traduire en justice les coupables dans des lieux gangrénés par la corruption et le mensonge. Il y a – c’est la seule comparaison qui me vient sur le moment – du Mississippi Burning dans cette histoire tragique. En filigrane, c’est aussi la manière dont Hoover crée et met définitivement le grappin sur le FBI qui apparaît.
Dans la troisième et ultime partie, c’est au tour de David Grann de se mettre un peu en scène et, surtout, de donner la parole aux descendants des protagonistes – victimes ou bourreaux – du Règne de la terreur. Il y montre comment cette affaire d’une rare abjection a peu à peu sombré dans l’oubli de la mémoire contemporaine américaine mais est demeurée extrêmement douloureuse au sein de la communauté osage et, par ailleurs, il ouvre de nouvelles pistes et démontre l’étendue véritable du Règne de la terreur et la façon dont un véritable système d’appropriation par la violence et la terreur a pu se mettre en place.
Ouvrage d’enquête historique exemplaire, formidable roman noir et saisissant portrait d’une communauté dans laquelle les liens entre opprimés et oppresseurs s’entremêlent jusqu’à la nausée, La note américaine est un livre captivant.
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