Truman CAPOTE, Prières exaucées




Du grand roman rêvé par Truman Capote, de cette symphonie inachevée, à peine commencée, de ce chef-d’oeuvre proustien sur les milieux que l’auteur fréquentait « faisant son miel acide des femmes riches, des mannequins, des gigolos, des écrivains, des puissants », il ne reste, ou plutôt − l’alcool et les amphétamines aidant, il n’aura finalement réussi à écrire − que trois chapitres ; soit 250 pages, sachant que le « modèle » qu’il désirait égaler en comporte 5000.

Ces trois chapitres ont été rassemblés, en désespoir de cause, dans Prières exaucées. Ce court roman met en scène un double de Capote :   » orphelin, amoral, bisexuel, écrivain vivant de ses charmes, et d’un humour corrosif « .  » Capote se croyait tout permis, son talent toxique lui en donnait le droit « . Considéré comme l’enfant terrible de la littérature américaine, il fut surnommé aussi :  » Truman Kaputt « …
Ce titre  » Prières exaucées  » est issu d’une citation de sainte Thérèse d’Avila :  » Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas « .
Lorsque Truman Capote, contre l’avis de son éditeur, décida de publier en revue les trois chapitres de son livre qu’il avait déjà rédigés,  » tous les amis qu’il avait en ce monde le mirent à l’index pour avoir révélé certains dessous d’intrigues fort peu déguisés, et nombre d’entre eux ne lui adressèrent plus jamais la parole « .
La lecture de ces quelques extraits du livre (Voir ci-dessous) vous aidera probablement à comprendre ce turbulent silence !
Florilège
« Est-il possible (…) d’aimer quelqu’un si votre intérêt premier est de savoir vous en servir ? L’appât du gain et la culpabilité qui en résultent sont-ils un obstacle à d’autres émotions ? On peut certes prouver que même les gens les mieux assortis ont été au départ attirés selon le principe de l’exploitation mutuelle : sexe, abri, satisfaction du moi, mais c’est là encore chose triviale, humaine. Entre cela et se servir véritablement de quelqu’un, il y a autant de différence qu’entre des champignons comestibles et des champignons vénéneux », Des monstres à l’état pur, page 48
« Je n’irai pas jusqu’à prétendre que mes nouvelles valaient celles de Tourgueniev ou de Flaubert, mais elles étaient assez honorables pour ne pas rester totalement ignorées. Or personne ne les attaqua, ce qui eût pourtant mieux valu. Ça aurait été moins douloureux que ce gris rejet du vide qui vous anéantit, vous énerve et vous donne des envies de martinis avant midi », Des monstres à l’état pur, page 49
« Vieux proverbe texan : les femmes sont comme les serpents à sonnettes – la dernière chose qui meurt en est la queue », Des monstres à l’état pur, page 50
« le sine qua non de l’aventurier ayant le vent en poupe : le mystère et le désir universellement répandu d’en savoir davantage », Des monstres à l’état pur, page 52
« était-il exact que cet étalon pût tenir une heure de suite, cinq fois par jour, sans jamais éjaculer ? Je suppose que vous connaissez la réponse ; toutefois, au cas où vous l’ignoreriez, sachez que c’est oui – un tour oriental, pour ainsi dire un exploit de prestidigitateur, appelé karezza, dont le secret réside non dans la vigueur sexuelle mais dans le contrôle des images. On lèche et on baise tout, en pensant à une boîte en carton ou à un chien qui trotte. On devrait bien entendu être toujours bourré d’huîtres et de caviar et n’avoir aucune occupation susceptible de parasiter le fait de manger, ronfler ou se concentrer sur de quelconques boîtes en carton », Des monstres à l’état pur, page 53
« Lorsque je pense à Paris, cette ville me semble aussi romantique qu’un pissoir en crue, aussi aguichante qu’une charogne garrottée charroyée par la Seine », Des monstres à l’état pur, page 59
« … même les Français ne peuvent supporter la France. Ou plutôt, ils adorent leur pays mais méprisent leurs compatriotes, incapables qu’ils sont de pardonner les péchés qu’ils partagent », Des monstres à l’état pur, page 60
« Ah ! j’étais bien optimiste en ce temps ! Me battre contre les mouches tsé-tsé et nettoyer les chiottes avec ma langue aurait été un nectar de lait et de miel comparé aux autres sièges que j’ai dû soutenir depuis », Des monstres à l’état pur, page 64
« A l’époque le Pont-Royal avait un petit bar en sous-sol aux fauteuils de cuir qui était l’abreuvoir préféré des grands mammifères de la haute bohème. Un œil noyé, l’autre à la dérive, ce louchon de Sartre, pipe au bec, teint terreux, et sa taupe de Beauvoir, sentant la jeune fille prolongée, étaient généralement calés dans un coin comme deux poupées de ventriloque abandonnées », Des monstres à l’état pur, page 65
« Et Camus, grêle, soupçonneux, à jamais sur le fil du rasoir par manque d’assurance. Un homme aux cheveux bruns crépus, aux yeux transparents de vécu, au visage inquiet, donnant l’impression d’écouter perpétuellement : une personne abordable », Des monstres à l’état pur, page 65
« Maintenant, dit-elle, revenant brusquement à nos affaires, dites-moi ce que vous attendez de la vie. A part célébrité et fortune – ces choses que nous considérons comme dues. – « Je ne sais pas ce que j’attends, dis-je. Je sais ce que j’aimerais. Et c’est être un adulte responsable. ». Les paupières de peintes Colette battirent lentement, comme les ailes d’un grand aigle bleu. « Mais cela, dit-elle, c’est la seule chose qu’aucun d’entre nous ne sera jamais : un adulte responsable. Si vous entendez par là un esprit revêtu du sac et de la cendre de la seule sagesse ? Libre de toute malice – envie et malveillance et cupidité et culpabilité ? Impossible. Voltaire, même Voltaire, a vécu avec un enfant en lui, jaloux et hargneux, un gamin mal embouché qui passait son temps à renifler ses doigts ! Et Voltaire a emporté cet enfant avec lui dans la tombe, tout comme nous le ferons avec la nôtre. Le pape à son balcon… rêvant d’un joli visage parmi sa garde suisse. Et le juge anglais délicieusement emperruqué, à quoi pense-t-il en envoyant un homme à la potence ? A la justice et à l’éternité ? A des préoccupations d’homme mûr ? Serait-il au contraire en train de se demander comment il peut se faire admettre au Jockey Club ? Bien sûr, les hommes ont des moments adultes, quelques moments nobles de-ci de-là, la mort étant le plus important. La mort fait détaler l’espèce de petit morveux et ce qu’il reste de nous devient un simple objet, sans vie mais pur, comme la Rose Blanche. Tenez – elle poussa du coude le cristal fleuri vers moi – cachez ça dans votre poche. Gardez-le pour vous rappeler qu’être durable et parfait, être en fait adulte, c’est être un objet, un autel, une figure de vitrail : un simple objet chéri, mais c’est tellement bon d’éternuer et de se sentir humain ! », Des monstres à l’état pur, page 73
« Il y a deux cas dans lesquels on ne sacrifie pas un talisman : lorsqu’on n’a rien, et lorsqu’on a tout. A chacun son abîme », Des monstres à l’état pur, page 74
« Quand on n’a personne vers qui se tourner, on n’a qu’à tourner le robinet du gaz ! », Des monstres à l’état pur, page 98
« difficile de concevoir un attelage plus incongru que celui de cette riche juive épicurienne et de l’auteur cénobite de Molloy et En attendant Godot. Cela incite à se poser des questions sur Beckett et son arrogante réserve, son ascétisme. Car les scribouillards impécunieux non encore publiés – ce qu’était Beckett à l’époque de cette liaison – ne prennent pas pour maîtresse une Américaine héritière d’un magnat du cuivre et au physique peu flatteur sans qu’un élément autre que l’amour entre en jeu », Des monstres à l’état pur, page 101
……………
« A ce moment, Miss Parker eut un geste si curieux qu’il attira l’attention générale, au point d’interrompre Miss Bankhead. Les larmes aux yeux, elle se mit à tâter le visage hypnotisé de Clift [l’acteur américain Montgomery Clift]. De ses doigts dodus, elle caressait tendrement son front, ses pommettes, ses lèvres, son menton.
Bon Dieu, Dottie ! dit Miss Bankhead. Pour qui te prends-tu ? Pour Helen Keller ?
« Il est si beau, murmura Miss Parker. Sensible, tellement bien fait. Le plus beau jeune homme que j’aie jamais vu. Quel dommage que ce soit un suceur de bite » Puis, charmeuse, écarquillant ses yeux avec une naïveté de petite fille, elle ajouta : « Oh, ai-je dit quelque chose de mal ? Je veux dire, c’est bien un suceur de bite, n’est-ce pas, Tallulah ? »
Et Miss Bankhead de répondre : « Tu sais, ch-ch-ch-chérie, je n’en ai pas la m-m-moindre idée. Il n’a jamais sucé la mienne »
Kate McCloud, page 147

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