Une « inconnue » nommée Francis Bacon ?

Un cliché présenté à l'occasion d'une exposition sur le travail du photographe John Deakin pourrait être un portrait du peintre britannique en travesti.

"Une inconnue, années 1930", "Un travesti, années 1950", ou Francis Bacon travesti dans les années 1940 ?



"Une inconnue, années 1930", "Un travesti, années 1950", ou Francis Bacon travesti dans les années 1940 ? Photograph: John Deakin Archive

Tout a commencé par le cliché d'une « inconnue, années 1930 », le cheveu noir en bataille, le regard intense sous des paupières lourdement fardées, plusieurs rangées de fausses perles au cou et un col de manteau ouvrant sur un décolleté. Une photographie présentée parmi d'autres portraits de la scène artistique de Soho par le photographe John Deakin, à la Photographer' Gallery, à Londres.

Le Guardian l'avait sélectionnée pour son article sur la trajectoire du portraitiste britannique, mort en 1972, et elle avait inspiré un échange de commentaires entre internautes. L'un relevait que la photo avait été légendée “Travesti, 1950” sur le site de la galerie, un autre lui répondait qu'il s'agissait « Peut-être [de Francis] Bacon en travesti ? »
HOMOSEXUALITÉ INTERDITE
Une remarque qui n'a pas échappé à Paul Rousseau, le directeur des archives de Deakin, qui a effectivement trouvé que la ressemblance était frappante. « Je n'y avait malheureusement jamais pensé avant », a-t-il déclaré au Guardian, qui revient sur l'histoire. Dans les années 1950 et 1960, Bacon et Deakin se fréquentaient. Bacon, qui admirait le travail du photographe, lui avait commandé une série de clichés, afin de s'en servir pour peindre ses autoportraits.
Après une recherche approfondie, il s'est avéré que la photo appartenait à une série datant de 1945, soit parmi les plus anciennes prises par le photographe. Dans cette quinzaine de photos de figures féminines, Paul Rousseau a décelé des ressemblances avec plusieurs artistes amis de Deakin qui aimaient se travestir, comme le peintre Denis Wirth-Miller et l'illustrateur Richard Chopping. Le conservateur rappelle par ailleurs « de nombreuses références à l'habitude de Bacon de se travestir ».
Sur l'ensemble des photos, un seul nom est précisé, celui d'une femme. Rousseau en déduit qu'elle ne courrait aucun risque à être nommée, contrairement aux travestis, à une époque où l'homosexualité était encore interdite au Royaume-Uni (ce qui fut le cas jusqu'en 1967, où le Sexual Offences Act lui offrait un premier cadre légal très limité).
LE MYSTÈRE DU DÉCOLLETÉ
Paul Rousseau a finalement eu recours à un logiciel de reconnaissance facial pour comparer les photos avec des portraits des amis du photographe, dont Bacon. Et le résultat est plutôt probant :

          

Il semblerait par ailleurs que Deakin avait un attachement particulier pour ces photos, lui qui en gardait peu. Celles-ci ont en effet été dénichées sous son lit, à sa mort, par le responsable de la photo du Sunday Times.
Reste un mystère : celui du décolleté. Le portrait laisse deviner une poitrine indéniablement plus développée que le torse de Bacon ne donne à voir sur un célèbre portrait de lui par Deakin réalisé pour Vogue en 1952, où il soulève deux grandes pièces de viande. Le Guardian relève qu'un grain de beauté apparaît au même endroit. Rousseau affirme que « Deakin était connu pour truquer ses photos, notamment en utilisant des couches de peinture ».
Emmanuelle Jardonnet

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