Schopenhauer : pensées
- Pour pouvoir mépriser ceux qui le méritent comme ils le méritent (c'est-à-dire les cinq sixièmes de l'humanité), il faut avant tout qu'on ne les haïsse pas. Il faut donc éviter de laisser monter la haine en soi. Car ce que l'on hait, on ne le méprise pas totalement. Ou, pour prendre les choses par l'autre bout : le moyen le plus sûr d'éviter de haïr les hommes est de les mépriser.
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Parce que le respect diminue à mesure que l'intimité grandit, étant
donné que les tempéraments communs ont pour habitude de traiter sans
considération tout ce dont on ne leur rend pas l'accès difficile, on est
obligé d'aller contre son penchant naturel pour la convivialité, et de
s'astreindre à faire de celle-ci l'usage le plus modéré possible.
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Mieux vaut ne pas parler du tout que d'entretenir la maigre et poussive
conversation qu'offrent habituellement les bipèdes et où, pour des
convenances aussi stupides que nécessaires, il n'est pas permis de dire
les trois quarts de ce qui vous vient à l'esprit, où l'entretien n'est
en réalité rien d'autre qu'un pénible exercice de corde radie sur le fil
étroit de ce qu'il est consenti de dire sans danger.
- Les hommes sont ce qu'ils ont l'air d'être.
- À ceux qui voudraient l'abolir il faut répondre : "Commencez par extirper le meurtre du monde : et la peine de mort suivra".
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De même que les couches de la terre conservent en rangées les créatures
vivantes d'époques passées, de même les étagères des bibliothèques
gardent bien ordonnées les erreurs passées et leurs descriptions qui,
tout comme les premières, avaient été très vivantes et bruyantes en leur
temps, mais qui, désormais rigides et pétrifiées, n'intéressent plus
que le paléontologue de la littérature.
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Ce serait bien d'acheter des livres si l'on pouvait acheter aussi le
temps de les lire, mais on confond le plus souvent l'achat des livres
avec l'appropriation de leur contenu.
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À ces messieurs du creuset et de la cornue, il faut faire comprendre
que la chimie à elle seule rend apte à être pharmacien, mais non pas
philosophe.
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Abondamment bouffer, boire, se multiplier et crever : voilà la
paraphrase de leur "fin en soi" et le but du "progrès sans fin de
l'humanité", qu'ils proclament inlassablement dans une pompeuse
phraséologie.
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Si on pouvait castrer tous les fripons et fourrer dans un couvent
toutes les bécasses, donner aux personnes de noble caractère tout un
harem et procurer à toutes les jeunes filles d'esprit et de raison des
hommes, des hommes complets, on obtiendrait bientôt une génération qui
irait au-delà de l'ère de Périclès.
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Seules les pensées que l'on a soi-même sont vraies et vivantes ; car ce
sont les seules qu'on comprend. Les pensées étrangères, lues, sont des
chiures de merde.
- Du point de vue de notre lecture, l'art de ne pas lire est très important. cela consiste à laisser de côté justement ce qui, à tout moment, intéresse le grand public.
- Les amis se disent sincères ; les ennemis le sont.
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La prétendue absence de droits des animaux, l'illusion selon laquelle
nos actes à leur égard n'ont aucune signification morale ou, comme le
dit le langage de cette morale, qu'il n'y a pas de devoir envers les
animaux, cette idée est vraiment une brutalité scandaleuse et une
barbarie propre à l'Occident, dont la source réside dans le judaïsme.
- Dans la nature, il n'existe qu'une créature qui ment : c'est l'homme.
Toutes les autres sont franches et authentiques, elles se donnent
ouvertement pour ce qu'elles sont et s'expriment comme elles se sentent.
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Dans tous les pays, le jeu de cartes est devenu l'occupation principale
de toute la société : il est la mesure de la valeur de celle-ci et la
faillite déclarée de toutes les idées. Parce qu'ils n'ont pas d'idées à
échanger, ils échangent des cartes et chacun tente de gagner des florins
aux dépens des autres.
- Clio, la muse de l'Histoire, est complètement infectée par le mensonge, comme l'est par la syphilis une putain.
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Le bruit est le plus impertinent des dérangements, car il dérange même
nos pensées, pour ne pas dire qu'il les met en pièces. Mais lorsqu'il
n'y a rien à déranger, il ne sera, bien entendu, pas particulièrement
perçu.
- La première règle du bon style - presque suffisante à elle seule - est que l'on doit avoir quelque chose à dire : oh, cela peut mener loin !
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Quant à la polygamie, il n'y a pas lieu d'en débattre, car il faut la
prendre comme un fait universellement répandu, dont seule la régulation
est un devoir. Où donc existe-t-il de véritable monogames ? Nous tous
vivons, du moins un certain temps, mais le plus souvent toujours, dans
la polygamie. Comme chaque homme a besoin de beaucoup de femmes, c'est
justice qu'il soit libre, voire que son devoir soit de prendre en charge
beaucoup de femmes. Voilà qui ramènera aussi la femme à son statut
juste et naturel, en tant que créature subordonnée, et la Dame,
ce monstre de la civilisation européenne et de la bêtise
germano-chrétienne, avec ses prétentions ridicules au respect et à la
vénération, sera expulsée de ce monde et il n'y aura plus que des bonnes femmes, mais non plus des bonnes femmes malheureuses, dont l'Europe est remplie actuellement.
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En dépit de la prospérité des États-Unis, nous y trouvons comme
mentalité dominante le vulgaire utilitarisme, avec son inévitable
accessoire, l'ignorance, qui a ouvert la voie à la bigoterie anglicane,
la sotte suffisance, la brutale rusticité associée à la niaise
vénération pour la femme. Et des choses pires sont à l'ordre du jour
là-bas : notamment un esclavage des nègres qui crie vers le ciel en même
temps qu'une extrême cruauté envers les esclaves, une répression des
plus injustes envers les Noirs libres, le lynch-law.
Extraits de L'Art de l'insulte (Points essais, 2004) et L'Art de se connaître soi-même (Rivages poche, 2015).
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