Marie Bonaparte : « Notes sur l’excision »
Des explorateurs, des voyageurs, des missionnaires,
des ethnographes, nous ont souvent rapporté la coutume, chez diverses
peuplades, de l’excision ou clitoridectomie. Montaigne s’en étonna et
cita, parmi les pires bizarreries des mœurs humaines, la « circoncision
des femmes ».
Mais si cette coutume a été souvent relatée, ses
raisons, voire ses rationalisations, sont restées obscures, et ses
résultats, en ce qui concerne la psychosexualité des femmes, semblent
avoir fort peu intéressé les chercheurs.
On sait qu’en un temps, au XIXe siècle,
les chirurgiens européens eux-mêmes, encouragés par l’innocuité
opératoire due aux pratiques de l’asepsie, tentèrent la clitoridectomie
en vue de « guérir » les petites filles affectées de masturbation
excessive. On sait aussi qu’en général, dans ces cas, ces petites
obstinées n’étaient nullement « guéries », et continuaient à se
masturber. Des traités de chirurgie en passant le signalent, et ce fait
me fut confirmé par le professeur Pinard, un jour où je l’interrogeais à
ce sujet. Mais il ne put me montrer aucune femme ayant subi cette
mutilation, la clitoridectomie ayant alors été abandonnée depuis
longtemps à Paris.
Un jour, à Vienne, Freud me donna à lire un livre récemment édité à Berlin : Neger Eros,
par Félix Bryk, un voyageur ayant résidé en Afrique orientale. Il y
avait étudié les mœurs des Nandis, une tribu habitant les pentes du mont
Elgon. Il décrivait la manière dont les filles Nandies subissent
l’opération destinée à les priver de leur clitoris : lorsqu’elles ont
atteint la pleine nubilité, vers dix-sept ou dix-huit ans, une vieille
femme leur brûle le clitoris avec une pierre chauffée au rouge. Félix
Bryk cherchait à comprendre les raisons de cette cruelle coutume : les
hommes Nandis, prétendait-il, cherchent par là à féminiser au maximum
leurs compagnes en leur supprimant ce dernier vestige pénien qu’est le
clitoris, et cela, ajoutait-il, doit avoir pour effet de favoriser le
transfert de la sensibilité de la zone érogène infantile des petites
filles, qui est le clitoris, à la zone érogène adulte des femmes, qui
doit donc, à la puberté, devenir électivement le vagin. Freud me fit
remarquer que Félix Bryk devait connaître sa propre théorie du transfert
pubère chez les filles de la sensibilité d’une zone à l’autre, et
l’hypothèse de Félix Bryk lui semblait digne d’être examinée et vérifiée
à la lumière de l’observation des faits. Freud me dit qu’en tous cas
cette opération ne devait pas supprimer les possibilités érotiques,
orgastiques, des femmes ; les hommes Nandis n’auraient pas admis, sans
cela, me dit-il, une coutume les privant de la communion voluptueuse
avec leurs compagnes, à laquelle les hommes, sous tous les climats,
attachent du prix.
J’interrogeai depuis lors quelques voyageurs et
ethnographes ayant eu des relations sexuelles avec de telles femmes,
voire avec des femmes Somalies, qui avaient subi la cruelle
infibulation. Ils me dirent que ces femmes semblaient capables de
jouissance sexuelle. Mais outre que l’homme, en de pareils moments, est
peu apte à l’observation réaliste froide, on sait jusqu’à quel point
l’homme de toutes couleurs peut, en pareille matière, être leurré par la
femme. Sa vanité l’y aide, et sa paresse, aussi. Les hommes Nandis
eux-mêmes ne seraient-ils pas susceptibles, de subir pareille illusion?
Le problème ne pouvait être abordé du point de vue de l’homme
partenaire, qui reste donc le plus mauvais de tous les observateurs en
ce qui concerne toute la psychosexualité féminine.
Le matériel humain d’observation manquait,
et, à l’heure où j’écris ceci, celui que j’ai pu recueillir n’est pas
ample. Mais les observations précises à ce sujet étant rares, et ne
sachant quand j’en pourrai récolter de nouvelles, j’ai pensé utile de
les publier, espérant qu’elles inciteraient d’autres chercheurs à les
compléter et à vérifier par des cas nouveaux la justesse de l’hypothèse
qu’elles m’ont inspirée.
Cas 1. A
l’automne de 1929, étant à Berlin avec Freud, j’appris, par une jeune
doctoresse, le Dr Hupfer, se trouvant là de passage, qu’il y avait à la
clinique psychiatrique de Leipzig un cas des plus intéressants. Il
s’agissait d’une jeune Allemande souffrant de masturbation
compulsionnelle ; elle avait eu recours à toutes les mutilations
chirurgicales possibles pour s’en délivrer, mais ceci sans succès. Je
résolus donc, sur le chemin de Vienne, où je devais retourner avec
Freud, de m’arrêter à Leipzig pour la voir.
Là, à la clinique psychiatrique de cette ville, le Dr Hupfer, avec le Dr Herbert Weigel, me la présenta.
La patiente était alors âgée de trente-six ans,
blonde, assez jolie, d’aspect distingué, et appartenait au milieu petit
bourgeois.
Voici ce qu’elle-même me révéla : sa masturbation
compulsionnelle la poussait à l’acte jusqu’à quinze fois par jour. Elle
en souffrait beaucoup, mais ne pouvait résister à la compulsion qui la
saisissait aux moments les plus inopportuns, par exemple lorsqu’elle
préparait le repas familial. Alors elle devait s’interrompre, courir
dans la pièce voisine, et là, accroupie, se livrait à un acte
masturbatoire court, après quoi elle pouvait reprendre ses occupations
domestiques. Une grande honte la terrassait, mais peu après la
compulsion reparaissait.
Dans l’acte sexuel avec son mari, cette femme
restait totalement frigide, étant de type clitoridien exclusif.
Peut-être deux fois, se trouvant un peu ivre, éprouva-t-elle dans le
coït quelque sensation vaginale.
Pour mettre fin à sa douloureuse et humiliante
compulsion, elle alla consulter des médecins. L’un d’eux l’adressa à un
chirurgien.
J’aurais voulu avoir les observations
chirurgicales. Mais on comprendra que je les attendis en vain, qu’il ne
fut pas possible au Dr Weigel de les obtenir pour moi. Tout
ce que je pus avoir, ce sont les renseignements que lui-même me fournit
dans une lettre ultérieure, que je traduis ici :
« Leipzig, le 5 mai 1931.
« Madame,
« Ce m’est un plaisir de pouvoir vous fournir des renseignements plus précis sur Frau R. (née en 1893).
« Depuis sa dixième année, elle souffrit d’une
perpétuelle et violente démangeaison aux organes génitaux externes et
d’onanisme excessif, jusqu’à huit, dix, douze fois par jour. Elle se
maria en 1922. Elle préfère l’onanisme aux rapports sexuels. En 1928,
laparatomie, avec résection des nerfs. A la fin de 1928, opération
d’Alexander-Adam. En 1929, résection du clitoris et castration (ablation
des deux trompes et des ovaires). Le tout sans le moindre succès. Le
mari est apparemment maladroit dans les rapports, il accomplit le coït
sans préliminaires. Soi-disant fantasme conscient pendant l’onanisme : digitatio par le mari.
« Après avoir été analysée pendant quatre semaines par Mlle
le Dr Hupfer, elle ne reparut plus. Une clinique chirurgicale lui avait
proposé de nouvelles possibilités opératoires, sans doute s’y est-elle
soumise.
« Je relèverai, parmi les notes assez pauvres sur
les circonstances extérieures de sa vie : grossesse illégitime en 1918 ;
naissance d’un enfant légitime en 1927, l’enfant mourut au bout de
trois jours. Depuis, dit-elle, compulsion grandement renforcée à
l’onanisme. Le père est épileptique, deux sœurs du père sont des malades
mentales.
« Dans l’espoir que ces maigres données puissent vous être utiles, je suis… etc.
« Herbert WEIGEL [i] »
Je pus voir, avec le Dr Hupfer,
cette femme en position gynécologique. On distinguait deux grandes
coupures latérales là où les nerfs avaient été sectionnés. Le clitoris
était abrasé, ainsi que son capuchon et jusqu’à ses racines. Toute la
région vestibulaire et vulvaire semblait une surface plane fendue. Sur
ma demande, la patiente me désigna sa zone érogène, située assez haut, à
deux centimètres et demi ou trois du méat urétral, exactement sur la
cicatrice du gland clitoridien.
Cette femme, d’un niveau moral élevé, semblait très
malheureuse. Tout travail pour elle était inhibé. Elle eût préféré
perdre toute possibilité voluptueuse à demeurer ainsi.
En juin 1941, ayant été évacuée de Grèce, que
les Allemands occupaient, en Égypte, je poursuivis mes investigations
sur l’excision. En Égypte, en effet, la plupart des musulmanes et aussi
des coptes sont excisées, en général entre cinq et dix ans. Je me mis en
rapport avec le professeur Mahfouz Pacha, le gynécologue de l’hôpital
copte du Caire. Il me précisa que l’opération consiste en l’ablation du
gland clitoridien et des petites lèvres.
On croyait, me dit-il, que la coutume avait été
apportée en Égypte par les musulmans. On sait pourtant qu’elle fut
propre, de temps immémorial, à l’Afrique nord-orientale, et qu’elle s’y
est perpétuée depuis le temps des Pharaons jusqu’à nos jours. Les momies
égyptiennes sont excisées.
À l’hôpital copte, le professeur Mahfouz me montre
deux femmes excisées qu’il vient d’accoucher. Chez l’une d’elles, les
deux petites lèvres excisées sont soudées par-dessus un moignon du
clitoris qu’il me fait palper au travers. Chez ces deux femmes, assez
peu du clitoris semble abrasé. Le professeur Mahfouz dit avoir pourtant
vu un cas mortel.
Il dit que la sensibilité érotique des femmes n’est
nullement affectée par l’opération, bien qu’on prétende exciser les
femmes pour les rendre plus calmes. Il n’a pas observé plus de frigidité
parmi les Égyptiennes excisées que parmi les Européennes. Il a deux
Françaises et deux autres Européennes en ce moment en traitement pour
frigidité. Il les traite par des extraits d’hypophyse et de testicule.
(La libido, d’après Freud, serait donc d’essence mâle dans les deux
sexes.) Il dit avoir parfois des succès (peut-être en grande partie de
transfert ?). Il aurait ainsi ramené chez une femme la sensibilité
clitoridienne seule. D’autres cas, reconnaît-il, relèvent uniquement du
traitement psychique.
Le professeur Mahfouz n’a pas fait attention si,
parmi les excisées, il y a plus de femmes de type vaginal que parmi les
autres femmes et ne peut là-dessus répondre à mes questions.
Une investigation psychologique, que j’aurais aimé
pouvoir entreprendre dans son hôpital du Caire, serait, me dit-il,
impossible, à cause du scandale qu’elle provoquerait.
Il faut, en effet, pour pouvoir conduire une investigation semblable, plusieurs conditions difficiles à réunir :
1° Trouver une femme excisée ;
2° Une femme excisée parlant une langue familière à qui fait la recherche ;
3° Une femme excisée assez intelligente et cultivée pour comprendre l’intérêt scientifique de cette recherche ;
4° Une femme excisée consentant par suite à révéler
avec sincérité sa psychosexualité et les secrets de sa vie érotique. Et
c’est pourquoi une investigatrice aura plus de chances de succès dans
cette recherche qu’un investigateur. On est plus en confiance entre
femmes.
On voit combien d’obstacles sont à surmonter sur la
voie de cette investigation, matériels, linguistiques, intellectuels et
surtout moraux.
Je pus cependant, dans deux régions de l’Afrique,
qu’il m’est impossible de préciser pour des raisons de discrétion
faciles à comprendre, trouver deux femmes remplissant les conditions
précitées.
Cas 2. Mme A., a quarante ans. Mariée depuis huit ans, elle est mère de trois enfants, un fils et deux filles.
Elle a été excisée à six ans. C’est dans un village
qu’eut lieu l’opération. L’opératrice était une sorte de sorcière, une
diseuse de bonne aventure dans les villages. Elle se rappelle
l’opération. La souffrance en fut intense. Ses quatre sœurs, toutes ses
aînées, ont aussi été excisées. Elles sont toutes également mariées. Mme
A. me dit que ses enfants à elle, deux filles de cinq et trois ans, ne
seront pas excisées ! La coutume, depuis vingt ans, tend à se perdre
dans les classes cultivées.
Mme A. pense que l’excision aurait pour
but de diminuer la sensualité des femmes dans les climats chauds. Mais
cela n’y parvient pas !
A une deuxième entrevue, Mme A.,
interrogée sur ses réponses voluptueuses, me dit être parfaitement
normale dans l’acte sexuel. Elle se déclare satisfaite chaque fois. Mais
il lui a fallu le temps de l’accoutumance. D’ailleurs, au début de son
mariage, pendant environ trois semaines, son mari fut impuissant. Il
alla alors consulter un médecin, qui prétendit que c’était parce que
jusque-là il avait été trop sage. Le médecin lui dit de conseiller à sa
jeune femme de l’aider. Elle le fit, et le soir même fut déflorée. Elle
saigna et souffrit beaucoup, et dut consulter un médecin. Elle dut par
suite rester huit jours intacte. Au bout de ces huit jours, reprise des
rapports. Le mari souffrait alors d’éjaculation précoce. L’acte, avec
l’habitude, dit-elle, s’allongea, et au bout de trois mois environ
elle-même atteignit à l’orgasme. Elle a besoin que ce soit plus fort
vers la fin.
Mme A. a été réglée à quatorze ans. Elle
se souvient de s’être masturbée dans l’enfance (indépendamment de
l’excision) et ensuite d’avoir recommencé à se masturber à partir de
vingt ans. La masturbation était manuelle, externe, sans élection du
site clitoridien.
Sa mère, dans son enfance, pourchassait sa masturbation. Mais la petite fille n’y renonça pas pour cela !
Mme A. est très maternelle et vit sans cesse entourée de ses enfants.
Elle poursuit à son tour la masturbation chez ses
petites filles. Elle croit que, dans l’enfance, c’est dangereux pour la
santé. Je la rassure. Son petit garçon, lui, est déjà dans la période de
latence.
Mme A. appartient évidemment à un type
mixte clitorido-vaginal. Elle se masturba sur un mode externe dans
l’enfance et avant son mariage, mais cette masturbation précoce et
obstinée ne l’empêcha pas, plus tard dans le coït, de s’avérer vaginale,
parfaitement adaptée à l’acte sexuel normal.
Cas 3. Mme B., que je pus voir longuement deux fois, est âgée de trente ans, fort intelligente.
Son père était un bourgeois citadin, sa mère fille
de paysans. Elle perdit de bonne heure son père, et, vers ses onze ans,
malgré la résistance de ses oncles paternels, sa mère et sa tante
maternelle décidèrent de la faire exciser. Car sans cela, disait-on,
lors d’un accouchement, le clitoris grossit démesurément, et cela
dégoûterait un mari ! A sa naissance, on avait traité, comme il est de
coutume, son clitoris avec de l’alcool très fort, soi-disant pour
l’empêcher de grossir, un gros clitoris étant considéré comme une chose
laide et, de plus, le signe d’un appétit sexuel excessif. Elle avait,
soit pour cela, soit plutôt par constitution, un clitoris très petit. La
femme qui l’a excisée était une horrible femme noire d’Afrique. Comme
le clitoris était si petit, l’opératrice en enleva plus qu’il ne
convenait. Mme B. ne sait pas si les petites lèvres furent
intéressées. Toujours est-il qu’elle souffrit d’une hémorragie et d’une
infection de la plaie, avec fièvre. Elle dut garder des semaines le lit.
Elle a conservé de l’opération un souvenir d’horreur. Elle se souvient
de sa rancœur contre sa mère, pour l’avoir livrée à l’opératrice. Elle
lui en voulait comme de l’avoir privée de quelque chose de précieux;
comme d’un injuste et obscur dommage qu’on lui aurait fait subir. Elle a
été réglée à douze ans, après avoir été excisée. Elle n’a pas souffert,
ne s’est pas effrayée à la vue du sang.
Elle ne se rappelle pas s’être jamais masturbée
clitoridiennement, ni dans l’enfance ni plus tard, ni avant ni après sa
« circoncision ». Elle se rappelle seulement d’un imprécis onanisme
anal, qui lui procurait à peu près le plaisir qu’on a à se gratter
lorsqu’un endroit vous démange, et qu’elle pratiqua surtout après son
excision.
Elle s’est mariée voici trois ans. Elle a très peu
saigné lors de sa défloration. Au bout de trois mois, elle atteignit à
l’orgasme dans l’acte normal, mais elle est toujours restée très lente
et n’atteint en général l’orgasme qu’une fois sur trois. L’acte pour
elle a toujours besoin d’être long. Plutôt vingt minutes à une
demi-heure que cinq minutes, mais elle n’a jamais regardé la montre ! La
sensibilité érogène lui est demeurée sur la cicatrice clitoridienne. Si
elle est chatouillée à cet endroit par l’homme, elle en éprouve du
plaisir, mais comme local, à fleur de peau, bien que pouvant aller
jusqu’à l’orgasme final. Mais l’ensemble de l’être reste en dehors et
elle attribue cette incomplétude à sa mutilation.
Par contre, vaginalement, dans le coït, avec le
pénis, elle éprouve des satisfactions pleines. Quand elle peut arriver
jusqu’à l’orgasme, elle est tout à fait heureuse après ; sinon, elle
reste de mauvaise humeur, ne pouvant plus avoir de plaisir après que
l’homme a achevé sa jouissance, ni par lui ni seule.
Si, pendant le coït, son mari lui touche le clitoris ou plutôt la cicatrice de celui-ci, cela gêne l’évolution de sa volupté.
Elle préfère la position normale (décubitus dorsal)
ou bien couchée sur l’homme ; la position assise, chevauchant l’homme,
ne lui procure aucun plaisir. Elle a lu le livre de Van de Velde et a
essayé ce qu’il préconise.
On voit que Mme B. doit appartenir
constitutionnellement au type cloacal (onanisme anal dans l’enfance),
avec faible appoint phallique, clitoridien, d’où le peu de trouble
apporté dans ses possibilités érotiques par la mutilation de l’excision,
qui n’atteint donc pas la zone interne vaginale.
Ce cas semble à rapprocher de celui d’une Européenne non excisée que j’ai pu observer.
Cette femme, mariée à dix-huit ans, resta
totalement frigide avec son mari. Au bout de peu d’années, elle divorça
et se remaria. Avec ce second mari, elle demeura longtemps tout aussi
frigide, puis un beau jour, tout à coup, atteignit à l’orgasme
exclusivement vaginal. Le clitoris chez elle restait absolument
insensible. Telle elle demeura jusque vers trente ans. La sensibilité
clitoridienne lui revint un jour aussi tout à coup. Mais jamais par le
clitoris elle ne put éprouver de satisfaction voluptueuse pleine. Parce
qu’elle était de type surtout vaginal et que dans ce cas tel est
toujours le tableau clinique.
Mais, n’étant pas excisée, cette femme ne pouvait
accuser de cette carence clitoridienne la mutilation sanglante du
clitoris, ce qu’elle eût pu faire si elle l’eût été.
On connaît la théorie freudienne du transfert
de la sensibilité érogène des filles du clitoris au vagin. D’après
Freud, toutes les petites filles se masturberaient clitoridiennement,
leur sensualité se manifesterait alors sur le mode mâle. A la puberté
seulement, la sensibilité des filles, quittant le clitoris, se
transférerait au vagin. Le plus ou moins de succès de ce transfert
conditionnerait l’adaptation ultérieure plus ou moins réussie des femmes
à leur fonction érotique dans le coït. Des troubles dans cette
évolution peuvent se produire. La frigidité féminine n’est le plus
souvent qu’une anesthésie vaginale, le clitoris ayant indûment conservé,
à lui seul, tout l’investissement libidinal infantile.
L’absolu de cette théorie a été depuis contesté par
diverses élèves femmes de Freud, dont Karen Horney, Ruth Mack
Brunswick, Melanie Klein. D’après ces auteurs, on rencontrerait des cas
de masturbation vaginale chez des petites filles. Cependant Freud
croyait que c’étaient là des masturbations anales attribuées plus tard
rétrospectivement au vagin, lequel d’après lui n’est donc pas découvert
dans l’enfance mais seulement lorsque commence à y passer le sang des
menstrues.
Au contraire, d’après Melanie Klein et aussi Ernest
Jones, le vagin serait pressenti de bonne heure par l’enfant, et
l’investissement libidinal du clitoris serait dû, plutôt qu’à un
infantilisme persistant des zones érogènes, à une réaction contre le
vagin. Ce serait un mécanisme de défense contre l’angoisse de la
fonction femelle, avec la crainte qu’elle comporte de l’effraction en
talion du corps de la petite fille par la mère, que l’enfant désira en
son temps éventrer pour conquérir les trésors imagines à l’intérieur de
ce corps. Ce mécanisme réactionnel est ainsi pensé par ces auteurs comme
étant d’essence psychogène et mis en action secondairement.
Je crois pour ma part, dans les cas de clitoridisme
persistant chez la femme, à une détermination bien plus primitive et
constitutionnelle. Tous les vivants, tous les humains sont bisexuels.
Les zones érogènes humaines reflètent la psychosexualité particulière à
chaque individu. Le phallique actif exprime le mâle; le cloacal passif
la femelle. L’angoisse de la pénétration joue certes son rôle dans le
refus par la femme de sa fonction érotique vaginale. Mais ce « complexe
de perforation » de la femelle, comme je l’ai appelé dans un essai
consacré à ce sujet[ii]
est l’expression même du complexe de virilité de la fille et de la
femme. La sexualité virile est donc d’orientation centrifuge, convexe.
La sexualité féminine est d’orientation centripète, concave. La
répugnance vitale qu’opposent tous les vivants, de l’amibe à l’éléphant à
la pénétration, à la blessure, de leur substance, vient ici favoriser,
de ce point de vue vital, le mâle. Ce n’est pas pour rien que les
enfants hurlent quand le médecin leur enfonce dans la bouche une cuiller
pour regarder leur gorge ou quand on leur impose la pénétration anale
d’une canule. La sexualité féminine, d’ailleurs, comporte de fait plus
de dangers vitaux que la sexualité mâle. Hormis la castration, à
laquelle les organes génitaux externes de l’homme sont plus exposés que
les organes génitaux internes de la femme, et les maladies vénériennes
qui menacent les deux sexes, la femme est autrement mise en péril que
l’homme par sa sexualité. Les dangers réels de la grossesse et de
l’accouchement n’ont pas leur pendant chez l’homme, sans parler de la
souffrance accompagnant la plupart des fonctions sexuelles de la femme,
menstruation, défloration, enfantement.
Aussi n’est-il pas surprenant que son complexe de
virilité soit plus aisément accepté par la femme que son complexe de
féminité par l’homme. L’engramme psychosexuel convexe et phallique de la
libido est en général plus accentué et mieux toléré chez la femme que
l’engramme psychosexuel concave et cloacal de la libido chez l’homme. La
plupart des hommes très virils répugnent non seulement aux clystères et
aux suppositoires, mais jusqu’à la prise de leur température anale
lorsqu’ils ont la fièvre.
Il faut au contraire, pour qu’une femme possède
pleinement sa fonction érotique femelle, que l’érotisation de ses zones
internes soit telle qu’elle neutralise et surpasse l’angoisse vitale
éveillée par la peur de la pénétration.
Les deux types féminins que l’on rencontre chez
la femme adulte, le cloacal-vaginal et le Phallique-clitoridien,
peuvent-ils se révéler, dès les Premières années de la vie, par des
modes différents de masturbation, l’un de tendance externe, l’autre
d’orientation interne ? Et si des cas de masturbation interne peuvent
être constatés ou inférés dans l’enfance, jusqu’à quel point et avec
quelle fréquence cette masturbation se rencontre-t-elle, et, dans chacun
de ces cas, l’onanisme est-il anal ou vaginal ? Toujours semble-t-il
que la masturbation simplement anale chez une petite fille, telle celle
pratiquée par Mme B., notre cas 3, doit elle-même suffire à
faire présager une sensibilité vaginale à l’âge adulte, le vagin, comme
le dit, si bien Lou Andreas Salomé[iii], n’étant qu’une annexe, louée tel l’anus, au cloaque concave originel.
La masturbation vaginale infantile existe-t-elle
vraiment? La barrière naturelle de l’hymen s’y oppose-t-elle plus ou
moins selon les cas? Un hymen très résistant est-il un stigmate mâle (Mme
A., notre cas 2, souffrit beaucoup à sa défloration, mais fut cependant
vaginale!). Et parmi les femmes vaginales, en est-il qui se soient
elles-mêmes déflorées dans l’enfance et pas seulement, comme il arrive
parfois, à l’adolescence, avec des carottes ou des bougies?
En tous cas, je ne crois pas, contrairement à ce
qu’on en pense ailleurs, qu’une masturbation clitoridienne prénuptiale,
chez la jeune fille, conditionne une anesthésie vaginale ultérieure dans
le coït. La masturbation clitoridienne persistante et exclusive est
bien plutôt conditionnée que conditionnante, effet plutôt que cause. Car
elle apparaît comme l’expression moins d’un infantilisme attardé de la
sexualité que d’une part de virilité accentuée dans la constitution de
la femme. Le clitoridisme durable et exclusif chez une femme est bien
plutôt l’expression de quelque chose en plus, en trop, que de quelque
chose en moins dans sa constitution bisexuelle. Le mâle, comme le pense
sans doute justement Marañon[iv],
semble donc être un progrès sur la femelle; la femme, chez qui tout est
plus petit que chez l’homme, serait un homme inhibé, arrêté dans son
évolution par l’adjonction, l’excroissance des annexes femelles.
Par suite une femme est-elle constitutionnellement d’un type mixte vavino-clitoridien, telle Mme
A., notre cas 2, elle aura eu beau se masturber sur le mode externe
avant le mariage, elle ne deviendra pas une clitoridienne, une « externe
» exclusive, mais sa cloacalité, sa vaginalité, s’éveillera dûment
quand elle sera soumise au coït.
Ce type mixte, cloacal et phallique à la fois, semble être d’ailleurs le plus fréquent parmi les femmes.
Il est deux types de frigidité chez la femme : la totale et la partielle qui respecte comme zone érogène le seul clitoris.
La première frigidité, qui frappe d’anesthésie le
vagin avec le clitoris, est d’essence hystérique c’est une inhibition
psychogène névrotique. Elle peut céder d’un seul coup, sous l’influence
de la vie, d’un partenaire sexuel nouveau, d’une psychanalyse réussie,
et ce qui apparaît alors au-dessous est d’ordinaire une fonction
érotique normale de type féminin, vaginal. Tel fut le cas de
l’Européenne dont j’ai rapporté succinctement le cas. Ce qui n’est pas
pour surprendre, la féminité et l’hystérie étant proche apparentées, une
certaine fragilité, labilité de la libido, est nécessaire à une
inhibition aussi totale, fragilité, labilité de nature femelle et non
mâle. Une telle inhibition a pu être causée par des interdictions
brutales de la sexualité dans l’enfance : masturbation ou jeux sexuels
avec des partenaires, elle fut d’essence morale, psychogène, et des
causations tout aussi psychiques la peuvent lever. Le pronostic de la
frigidité totale chez la femme est en général favorable.
Il en est autrement des cas de frigidité partielle
de type clitoridien. Ceux-ci sont presque tous basés sur une bisexualité
constitutionnelle, biologique, réfractaire aux influences psychiques
plus ou moins tardives. La libido, trouvant là une issue, tend à passer
et repasser par ce chemin frayé, ainsi qu’il arrive dans les diverses
perversions où elle trouve, par des voies détournées, pourtant une
satisfaction pleine. Et la femme de type clitoridien reste
inconsciemment fière de sa virilité, malgré la souffrance consciente
répétée et souvent intense de l’insatisfaction dans le coït normal
qu’elle ressent comme une infirmité. On peut voir, dans les cas
extrêmes, la répugnance à la pénétration atteindre à ce point; le
clitoris, par ailleurs si sensible, peut être frappé d’anesthésie si une
pénétration vaginale accompagne son excitation, et quelle que soit la
position à laquelle consente l’homme. Une intervention chirurgicale,
telle l’opération Halban-Narjani[v]
rapprochant le clitoris tout près de l’entrée du vagin, ne change
elle-même pas grand chose dans ces cas extrêmes à l’anesthésie sexuelle
dans le coït due à une telle répugnance à la pénétration.
Il ne faudrait pourtant pas penser que ces
femmes-là, répugnant à la pénétration, soient pour cela fatalement
homosexuelles. Le choix de l’objet et les positions de la libido sont
des faits indépendants. Les clitoridiennes exclusives sont souvent très
hétérosexuelles; adoratrices du phallus, elles ne pourraient aimer un
être en étant dépourvu. Elles désirent l’homme, le recherchent même avec
l’activité de leur propre virile nature, mais elles manifestent dans le
coït ce qu’on pourrait appeler une inconsciente « psychologie d’avaleur
de sabres ». C’est comme si chaque fois elles proclamaient : « Voyez,
je l’aime tant, mon aimé, que je m’expose pour lui au redoutable danger
de la pénétration! Mais ça ne me fait rien! je ne sens rien! je reste
intacte! »
Et ces femmes, bien que recherchant l’homme, répugnent aussi souvent plus ou moins à la maternité.
Peut-on supprimer le clitoridisme excessif des
femmes en leur coupant le clitoris? Le cas 1 que nous avons rapporté,
celui de la femme de Leipzig, semble répondre négativement à cette
question. Mais on pourrait objecter que ce cas était un cas d’exception
par l’intensité de la poussée masturbatoire et que, de plus, vu l’âge
tardif où la clitoridectomie fut pratiquée, les engrammes nerveux
étaient fixés et ne pouvaient plus être modifiés. Tel est donc le cas
chez les eunuques tardivement châtrés. Cependant les témoignages,
rapportés au début de cet essai, du professeur Pinard et d’autres
auteurs, tendent tous à infirmer la possibilité d’inhiber la
masturbation des petites filles en leur coupant le clitoris, ainsi qu’on
le tenta un temps en Europe. Et Mme A., notre cas 2, excisée
à six ans, parle dans le même sens, cette femme ayant pratiqué la
masturbation de type externe sinon exclusivement clitoridien après son
excision. Ce qui ne l’empêcha pas, comme nous l’avons déjà indiqué, de
manifester, lors de son mariage assez tardif, une sensibilité vaginale
normale que sa constitution tenait en réserve et prête à s’éveiller dans
l’acte sexuel normal.
Je crois que les mutilations sexuelles rituelles
imposées aux femmes d’Afrique, depuis un temps immémorial, puisque les
momies sont excisées, – Cléopâtre elle-même devait l’être! – constituent
l’exact pendant physique des intimidations psychiques, imposées dans
l’enfance à la sexualité des petites filles des races européennes. Et je
pense qu’elles comportent, du point de vue de la sexualité ultérieure
de la femme, les mêmes résultats.
Avec l’introjection progressive des personnes
d’autorité entourant l’enfant, avec le renforcement concomitant du
surmoi ou conscience morale, moins de coercition physique apparaît
nécessaire qu’aux temps plus primitifs de l’humanité où les instincts
archaïques sont plus forts et plus difficiles à courber. Les mêmes
résultats qu’autrefois par la violence physique sont alors obtenus par
l’intimidation psychique. Notre code pénal ne comporte plus les tortures
d’autrefois, ou que l’on rencontre encore aux tribus primitives. Et
l’intimidation de la sexualité juvénile suit la même loi de décroissance
en ce qui concerne la brutalité de la répression que le code pénal.
Mais si les mutilations agissent sur la
psychosexualité, en l’intimidant plus ou moins suivant sa force
originelle, elles ne semblent pas plus capables que les intimidations
imposées à nos enfants de la faire changer d’orientation. L’orientation
semble donnée à partir de centres nerveux constitutionnellement plus ou
moins bisexuels, ceci quoi qu’il arrive à partir du dehors.
Parmi les femmes excisées, les clitoridiennes à
libido fortement d’orientation mâle convexe doivent garder la même
érotisation de la cicatrice clitoridienne, telle la femme de Leipzig
(cas 1). Les vaginales ne sont bien entendu pas touchées dans leurs
possibilités orgastiques par l’excision du clitoris. Les femmes de type
mixte, vagino-clitoridien, les plus fréquentes, gardent leurs deux
zones, tels mes deux cas 2 et 3. En serait-il, parmi celles-ci, de type
assez indécis pour que l’excision du clitoris pût concourir à
intérioriser la zone érogène, à renforcer dans quelque mesure la
sensibilité vaginale interne? Freud, comme je lui exposais mes
objections à la thèse de Félix Bryk, m’exprima un jour cette opinion
modérée. Mais je crois pourtant que l’intimidation physique de la
sexualité des filles par la sanglante excision ne doit pas davantage
atteindre au but de les féminiser, de les vaginaliser, que
l’intimidation psychique de la masturbation clitoridienne des petites
filles d’Europe. La proportion des clitoridiennes parmi les Européennes
ou Américaines est assez élevée, même parmi les filles que l’on terrifia
dans l’enfance au sujet de la masturbation par des menaces variées,
pour qu l’on puisse douter du succès dans ce sens de l’excision
sanglante.
Je sais qu’on l’a prétendu : le clitoridisme
excessif chez les Européennes ou Américaines serait dû à l’influence
perturbatrice de la civilisation qui tendrait à efféminer les hommes
comme à masculiniser les femmes, à atténuer, en deux mots, la différence
entre les sexes[vi].
D’après cette thèse, les femmes sauvages devraient être autrement
normales! Certes, des statistiques sur ce très difficile objet
d’investigation, la psychosexualité mystérieuse de la femme, n’ont pu
être établies. Mais la croyance à la normalité absolue de la femme
primitive doit être un rejeton de l’illusion à la Rousseau sur l’homme
parfait à l’état de nature, mais gâté, corrompu par la civilisation
utopie d’ailleurs ressuscitée en grande partie de notre temps par les
communistes dans leurs attaques contre la société cause de tous les
maux! Les ethnographes qui ont porté attention à ce sujet, tel Géza
Roheim, ont trouvé bien des cas de clitoridisme chez les femmes
primitives. En douter ce serait d’ailleurs douter de la biologique
bisexualité humaine.
Cependant, parmi les femmes d’Afrique appartenant
aux deux derniers types, le vaginal et le mixte, il en doit être aussi
dont la libido, en ceci pareille à celle de certaines Européennes, n’est
pas assez solide pour résister à l’intimidation, dans ce cas à
l’intimidation physique, sanglante, de l’excision. Ces femmes-là doivent
alors perdre toute possibilité de satisfaction érotique. Bien que je
n’en aie pas rencontré, il doit y avoir, parmi les femmes d’Afrique,
comme parmi les Européennes, certaines femmes totalement frigides, et
ces cas de frigidité totale doivent être susceptibles d’être modifiés
par les influences de la vie, étant comparables au cas de l’Européenne
que j’ai rapporté parallèlement à mon cas 3 d’Afrique.
Retrouverions-nous, parmi les femmes excisées, du
point de vue biologique plus étroit de la fonction érotique, les trois
grandes classes de femmes que Freud a si bien distinguées et décrites du
point de vue plus général de la psychosexualité totale de la femme?
Freud, dans l’un de ses derniers essais, De la Sexualité féminine [vii],
a en effet classé les femmes en trois grandes catégories, suivant leur
réaction à la découverte infantile de la différence entre les sexes et à
l’envie du pénis qui s’ensuit : les revendicatrices, les acceptatrices et les renonciatrices.
Les revendicatrices,
ayant vu le pénis du garçon, et le désirant, le revendiquent au point
de pouvoir inconsciemment s’imaginer l’avoir. Elles surinvestissent leur
clitoris et tendent à assumer toutes les attitudes viriles psychiques
et sociales dans la vie. Ici seraient à distinguer, comme l’a fait
Abraham, deux sous-types : celui de la vengeance (Rachetypus) et celui du désir (Wunschtypus).
Dans ce dernier cas, l’illusion de pourtant posséder le pénis peut nier
la réalité au point de ne plus avoir besoin de s’en venger.
Les acceptatrices
constituent les femmes adaptées à leur fonction biologique comme à leur
rôle social. Elles ont dûment remplacé le désir du pénis par celui de
l’enfant, et accepté la substitution, à la zone phallique mâle, de la
zone vaginale femelle par où l’homme et l’enfant passeront.
L’érotisation de la pénétration s’accomplit dans ce cas, la femme a
distingué entre pénétration-blessure pour donner douleur et mort et
pénétration-caresse pour donner volupté et vie. Un harmonieux type mixte
vagino-clitoridien est fréquent dans ce groupe.
Les renonciatrices,
enfin, sont des femmes que la découverte de la différence entre les
sexes a abattues, découragées, rebutées, au point qu’elles préfèrent
renoncer à exercer leur sexualité. Elles abandonnent la rivalité avec le
mâle dans ces conditions biologiques de désavantage. Les frigides
totales qui ont pourtant accepté l’homme appartiennent au groupe des
acceptatrices, mais inhibées temporairement. Les vraies renonciatrices
renoncent vraiment à tenter l’embrassement du mâle tout en ne cherchant
pas à rivaliser avec lui dans son domaine. Elles fourniront plutôt ces
armées de vieilles filles adonnées à des fonctions sociales féminines,
de maternité substituée, nurses, infirmières, institutrices, assistantes
sociales, souvent plus ou moins désexualisées, sorte de pendant dans le
genre humain à la gent ouvrière chez les abeilles et les fourmis. On
doit les rencontrer bien plus rarement que parmi nous dans les sociétés
primitives, où la femme peut moins aisément se dérober à son rôle de
reproductrice.
Il reste ici à souligner que les diverses réactions
des filles à la découverte de la différence entre les sexes doivent,
primordialement, être déterminées par la constitution plus ou moins
bisexuelle et plus ou moins libidinale du sujet, sans préjuger d’un
certain appoint psychique issu des événements de l’enfance. De même tout
enfant, quand il peut observer le coït des adultes, réagit à cette
« scène primitive » en mâle ou en femelle, en s’identifiant plus ou
moins à l’homme actif ou à la femme passive, suivant le degré plus ou
moins viril ou féminin de sa propre constitution.
Ce sont d’ordinaire les sociétés primitives de
structure patriarcale qui imposent à leurs enfants les mutilations
sexuelles rituelles. Il semble que ce soient les « pères », les anciens
des tribus, successeurs du père de la horde préhistorique, qui aient
cherché par là à intimider la sexualité de leurs enfants, des fils leurs
rivaux, des filles leurs compagnes.
Mais jusqu’à quel point les pères de la tribu – qui
d’ailleurs délèguent auprès des filles, pour l’exécution des
mutilations, de vieilles femmes, lesquelles doivent être ravies de se
venger de leur vieillesse sur la jeunesse en fleur! – jusqu’à quel point
un désir de surféminiser les filles s’adjoint-il, dans le rite de
l’excision, à l’intention d’intimider leur sexualité?
Qu’un tel désir soit présent, comme Félix Bryk le
supposait, voilà qui n’est pas impossible. Il semble en effet être deux
sortes d’hommes, qui se rencontrent dans toutes les, sociétés, des plus
primitives aux plus civilisées. On les pourrait appeler les ennemis ou
les amis du clitoris.
Quand les musulmans d’Égypte crient, comme la
suprême injure, aux Européennes : « Mère de clitoris! » ils expriment la
première de ces attitudes. Félix Bryk aussi rapporte que les hommes
Nandis parlent avec une répugnance profonde de « ce qui pend » entre les
jambes de la femme – faisant allusion au clitoris, et on a lu ce que Mme
B. rapportait du dégoût qui saisirait un mari si, comme on le
craignait, le clitoris de sa compagne grossissait après un accouchement!
Les hommes très virils semblent en effet répugner à
tout ce qui n’est pas féminin dans la femme, et cette attitude se
rencontre aussi chez nombre d’Européens.
Par contre, il est des hommes plus bisexuels, plus
féminoïdes eux-mêmes, qui recherchent dans la femme comme le complément
manquant de leur propre virilité. Restés fixés dans l’inconscient à la «
mère phallique » de leur imagination infantile, ils constituent ce
qu’on pourrait appeler la classe des amis du clitoris. Ces hommes-là
prennent plaisir au minuscule pénis de la femme, ils aiment à jouer avec
et j’ai même eu connaissance d’un cas extrême où l’homme, un Européen,
retournant le rapport normal des sexes, éprouvait un grand plaisir à
introduire le clitoris de sa compagne dans son propre méat uréthral !
C’est dans ce groupe des fervents de la mère
phallique que doivent se ranger les hommes de ces tribus d’Afrique qui, à
l’inverse de celles pratiquant l’excision, se complaisent, tels les
Bapedi du nord du Transvaal, à l’élongation des nymphes chez les filles,
qui alors simulent un pénis.
Cependant, ces diverses pratiques ne semblent
satisfaire que l’imagination de ceux qui les imposent aux filles. Les
filles n’en sont pour cela sans doute pas beaucoup changées quant à leur
constitution plus ou moins bisexuelle native, à laquelle les influences
extérieures ne peuvent apporter que de légères variations.
Les nymphes des femmes Bantous atteignissent-elles à
un quart de mètre de longueur, elles ne sont pourtant pas un pénis, et
il ne suffit pas de couper le clitoris à une femme pour intérioriser sa
sexualité, ainsi que nous l’avait montré notre cas de Leipzig et même Mme A., notre cas 2, chez qui la masturbation externe ne fut pas abandonnée en dépit de l’excision.
Sur l’exemple des femmes d’Europe soumises à
une intimidation sexuelle psychique dès l’enfance aussi bien que sur
celui des femmes d’Afrique exposées à une intimidation sexuelle physique
de par les mutilations rituelles, il semble que la sexualité des femmes
soit réfractaire à changer son orientation individuelle naturelle, plus
ou moins bisexuelle suivant les cas.
Les influences éducatives peuvent être très
puissantes dans le sens de l’inhibition morale : j’ai connu une petite
fille chez qui une répression excessive de la masturbation infantile (on
lui attachait chaque nuit pendant des mois et des mois cruellement les
bras aux barreaux de son lit) conditionna une véritable – catastrophe de
la sexualité, une frigidité totale si tenace que rien, ni de nouvelles
amours, ni même une psychanalyse, ne parvint à la lever.
Mais le degré de virilité érotique d’une femme ne
semble pas aussi aisément modifiable. Que l’on interdise, sous les pires
menaces, à une fille la masturbation clitoridienne infantile, ou qu’on
lui coupe même le clitoris, on ne saurait changer par-là son degré de
bisexualité constitutionnelle.
Dans le conflit entre la morale sociale et
l’instinct humain, l’éducation et la rééducation s’avèrent souvent très
puissantes. Dans le conflit, à l’intérieur de l’instinct, entre le mâle
et la femelle qui résident en chacun de nous, la puissance de
l’éducation et de la rééducation restent assez minimes. Ici la nature
garde le dernier mot.
[i] « Es ist mir ein Vergnügen, Ihnen genauere Daten über Frau R. (geb. 1893) mitteilen zu können.
«
Seit ihrem 10. Lebensjahre dauernd heftiges Zucken am äusseren Genitale
und Onanie, allmählich exzessiv, 8-10-12 Mal täglich. 1922 geheiratet.
Zieht Onanie dem Verkehr vor. 1928 Laparatomie mit Resection von Nerven.
Ende 1928 Alexander-Adam’sche Operation. 1929 Resection der Klitoris
und Kastration (Entfernung beider Tuben und Ovarien), alles ohne den
geringsten Erfolg. Der Ehemann ist beim Coitus anscheinend ungeschickt,
vollzieht ihn ohne Präliminarien. Angebliche bewusste Onanie-Phantasie :
Digitatio durch den Ehemann.
«
Sie erschien nach 4 wöchiger Analyse durch Frl. Dr Hupfer nicht wieder.
Eine chirurgische Klinik hatte ihr neue Operationsmöglichkeiten in
Aussicht gestellt, warscheinlich ist sie dem nachgefolgt.
«
Aus den spärlichen Notizen über ihren äusseren Entwicklungsgang hebe
ich noch hervor: Uneheliche Schwangerschaft 1918; Eheliche Geburt 1927.
Kind starb nach 3 Tagen. Seitdem angeblich bedeutend verstärkter
Onaniezwang. Der Vater ist Epileptiker, 2 Schwestern des Vaters sind
geisteskrank.
« In der Hoffnung, dass Ihnen diese knappen Angaben nützen, zeichne ich. U. s. w.
« Herbert weigel. «
[ii] Voir « Vues Paléobiologiques et biopsychiques » in Psychanalyse et biologie, P.U.F., 1952.
[iii] Anal und Sexual (Anal et Sexuel), 1916.
[iv] La Evolucion de la Sexualidad y los Estados intersexuales (L’Évolution de la Sexualité et les États intersexuels), 1930.
[v] Halban : Gynäkologische Operationslehre, 1932.
[vi] Marañon (l. c.)
a avancé le contraire et exprimé l’espoir que dans les races cultivées,
grâce à un progrès continu, les hommes et les femmes deviennent de
moins en moins bisexuels ou intersexuels!
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