Qui a vraiment tué Pasolini ?






cadavre[1]un article qui date de 2009 mais qui est peu connu alors que la mort de Pasolini attribuée à ses pratiques homosexuelles avec les jeunes voyous a toujours été plus que suspectes. Tous ceux qui connaissaient la vie italienne, les artistes de ce pays en particulier, je pense à Nanni Moretti par exemple ont toujours dénoncé l’assassinat politique. La journaliste du Nouvel Observateur, très liée au monde syndical de ce qui fut le PCI, confirme ici cette hypothèse.

Plus de trente ans après l’assassinat du cinéaste de « Salo », son meurtrier revient sur ses aveux, et donne des noms. 

Il arrive au rendez-vous de son pas dansant de «ragazzo di vita» vaguement démodé. Avec le sourire roublard des jeunes prolos romains. A 51 ans, Pino Pelosi, dit «Pino la Rana», Pino la Grenouille, à cause de son sourire, justement, est apparemment rangé : l’assassin de Pier Paolo Pasolini exerce le métier de jardinier à 820 euros par mois dans une coopérative de la capitale. Et arbore son uniforme de travail, pantalon orange et tee-shirt assorti.

Cela fait maintenant trente-quatre ans que Pino tient en haleine l’intelligentsia italienne avec ses révélations à épisodes. Qui se contredisent sans vraiment s’éliminer. Mais la dernière a tellement mis en émoi les Amis de Pasolini que, le 28 avril, l’avocat Stefano Maccioni a demandé au parquet de Rome la réouverture de l’enquête sur ce meurtre atroce qui remonte au 2 novembre 1975.

A l’époque, le procès s’était achevé avec une condamnation à neuf ans et sept mois de prison pour Pino Pelosi, alors âgé de 17 ans. Le mobile ? Un crime typiquement homo, une bagarre sanglante pour une histoire de prestation sexuelle. Peut-être avec le concours d’inconnus, mais il n’y en avait aucune preuve, et Pelosi revendiquait avec force d’avoir agi seul.

«Pourquoi j’ai changé de version ? explique Pino la Grenouille. Parce que tout le monde est mort, et que maintenant je peux parler.» Ce «tout le monde est mort», on le retrouve en ouverture des confidences du même Pelosi à la metteur en scène Roberta Torre dans «La nuit où Pasolini est mort», qui a été présenté au public le 14 mai. Un film qui a secoué les intellectuels romains. «On l’a exécuté, y affirme Pino. Ils étaient cinq. Ils lui criaient : « Sale pédé, sale communiste ! » et ils le tabassaient dur. Moi, ils m’avaient immobilisé. Je ne l’ai même pas touché, Pasolini, j’ai même essayé de le défendre…» Puis Pino continue ses révélations en avouant avoir reconnu parmi les cinq agresseurs «les frères Borsellino, deux Siciliens fascistes et dealers», et en spécifiant qu’à son avis «ils exécutaient une commande. Ils voulaient lui donner une leçon et ils se sont laissés aller. C’est que Pasolini cassait les pieds à quelqu’un »…

Né en 1922 à Bologne, Pier Paolo Pasolini a été assassiné en 1975 sur la plage d’Ostie. Ecrivain, poète et cinéaste, il avait réalisé notamment «l’Evangile selon saint Matthieu», «Théorème», «Médée» et «Salo ou les 120 journées de Sodome», son dernier film.

Dès le lendemain de la projection, la presse s’est fait l’écho des nouvelles accusations de Pelosi. Il les confirme au cours de notre entretien. Qui sont tous ces gens qui l’empêchaient de parler tant qu’ils étaient en vie ? Il énumère : «Les frères Borsellino d’abord, morts du sida en prison. Mes parents ensuite, qui étaient menacés par eux au cas où j’ouvrirais la bouche. Mon avocat enfin, Rocco Mangia, un drôle de bonhomme lié aux fascistes et aux services secrets.»

Sa nouvelle version de l’homicide est apparemment corroborée par un livre, «Profondo nero», sorti en février (1). Ses auteurs soutiennent qu’un fil conducteur relie trois grands attentats de l’après-guerre : celui qui coûta la vie à Enrico Mattei en 1962 et fut camouflé en accident d’avion; celui qui vit disparaître en 1970 le journaliste Mauro De Mauro, qui enquêtait sur l’attentat Mattei; et l’assassinat de Pier Paolo Pasolini. Le «pétrole» serait à l’origine de ces trois «cadavres exquis». «Pétrole», c’est le titre du roman posthume de Pasolini (1), où il voulait dénoncer les ressorts occultes de la Première République italienne, lorsque des financiers, des politiques, des industriels recouraient à la violence et au crime pour éliminer des adversaires ou s’accaparer une tranche de pouvoir.

Pasolini, soutiennent les auteurs de «Profondo nero», voulait raconter «la toile d’araignée des sociétés et des affaires louches qui tournaient autour d’un nom célèbre, celui d’Eugenio Cefis, qui prendra d’ailleurs la succession de Mattei à la tête de l’ENI, le fameux Ente Nazionale Idrocarburi».

Dans un édito du «Corriere della sera» daté du 14 novembre 1974, soit un an avant sa mort, Pasolini avertissait en effet : «Je sais les noms des responsables du «golpe», de ceux qui ont manoeuvré les néofascistes et des prétendus inconnus responsables des massacres les plus récents…» Et ce qu’il savait, il voulait l’écrire, le dénoncer dans son «Pétrole», qui a pu tromper les lecteurs avec ses pages érotico-obsessionnelles mais qui avait un tout autre but. Cela expliquerait la disparition d’une partie importante du manuscrit. Et, surtout, l’acharnement des assassins sur le corps du cinéaste cette nuit-là, à Ostie. Le crime Pasolini deviendrait alors un crime politique, presque un crime d’Etat. Car on ne rappellera jamais assez ce que les carabiniers découvrirent à 6 heures du matin le 2 novembre 1975 : un cadavre enfoui dans le sable, le front lacéré, les mâchoires fracturées, les oreilles à moitié décollées, le sternum et dix côtes cassées. Son coeur avait éclaté car une voiture était passée à plusieurs reprises sur son corps.

«Nous avons toujours soutenu que Pelosi ne pouvait avoir accompli ce désastre tout seul», dit Nino Marazzita, avocat de la famille Pasolini. Et s’il refuse de se prononcer sur la théorie du complot au nom du «dieu pétrole», il salue ces nouvelles révélations en demandant quelque chose de «très simple, très terre à terre» : «Quand l’écrivain a été assassiné, la police n’utilisait pas encore les techniques de recherche liées à l’ADN Aujourd’hui, il suffirait de prélever au Musée du Crime de Rome la chemise, le pull et le pantalon de Pier Paolo et de les examiner. La vérité est dans ces traces biologiques que les ans n’ont pas effacées.»

Et l’on en revient à Pino la Rana : a-t-il dit toute la vérité ? Pourquoi n’est-il pas convaincu par l’hypothèse d’un meurtre commandité par Eugenio Cefis ? Aurait-il d’autres informations, qu’il ne veut ou ne peut livrer ? Car les menaces qui pesaient sur sa famille et la peur de représailles ne suffisent pas à expliquer qu’un adolescent accepte de passer neuf ans en prison (même si, dit-il, «c’est bien, la taule, ça conserve, je le dis, moi qui y ai fait pas mal d’allers-retours pour vols, hold-up ou deal de stupéfiants… Vingt-six ans en tout» !). Ni qu’il ait attendu plus de trente ans pour se rappeler certains détails du crime. Au terme de la conversation, il est donc difficile de savoir si Pino continue de jouer un rôle, s’il se vante ou s’il ment. Avant de s’éloigner, il lance : «Tu verras, on est destinés à se revoir… Lorsque je ferai mes prochaines révélations.»
Marcelle Padovani



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