Chantal Akerman - Saute ma ville (1968)





Une jeune fille quitte l'ascenseur, s'enferme dans une cuisine qu'elle cloisonne en calfeutrant la porte, prépare à manger, avale une assiette de pâtes dont elle laisse une bonne part à sa chatte qu'elle expulse par une fenêtre dont elle bouche l'accès, clac, inonde le sol plutôt que de le nettoyer, floc, cire ses pompes, enfile un fichu et un ciré sombre, plic ploc, ouvre le gaz, brûle une lettre, explose et boum!
Interprété et réalisé, en 1968 par une jeune fille de dix-huit ans, Saute ma ville annonce le cinéma que va développer Chantal Akerman dans les années septante, partagé entre l'humour et le désespoir. Apocalypse ménagère (elle exécute ses tâches sur un tempo qui devient frénétique) mâtinée de burlesque (après avoir ciré ses mocassins elle étend du cirage sur ses jambes), le film préfigure en accéléré Jeanne Dielman. Chantal n'arrête pas de chantonner des airs qui se transforment petit à petit en plainte sauvage.
Premier film, avec Je, tu, il, elle , d'une série (qu'elle a qualifié elle-même de films adolescents) où Chantal Akerman se met en scène, a le souci du je ( "je tue il, elle" disait Hadelin Trinon avec humour), Saute ma ville est le portrait d'une adolescente qui refuse le monde dans lequel elle vit et l'aliénation féminine. Dans le film la répétition des gestes quotidiens mène au dérèglement du sens, au désespoir, à la mort (dès les premiers plans, dans l'ascenseur, la réalisatrice nous inflige un travelling qui défile comme un panoramique filé (un pur vertige) et annonce le final.
Jean-Michel Vlaeminckx


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