Le mystère Picasso / Henri-Georges Clouzot
Photo : Claude Renoir
Musique : Georges Auric
Montage : Henri Colpi
Musique : Georges Auric
Montage : Henri Colpi
Prix spécial du Jury, Cannes 1956 (75’).
Ce film est une oeuvre unique et reste à ce jour la seule tentative de rendre compte cinématographiquement du processus de création. De juillet à septembre 1955, Pablo Picasso et Henri-Georges Clouzot se retrouvent tous les jours durant huit heures dans les Studios de La Victorine à Nice. Grâce à un procédé ingénieux de verre transparent et d’encre spéciale, Picasso compose plusieurs oeuvres sous nos yeux, au gré de son inspiration.
Genèse du film
Henri-Georges Clouzot s’est contenté de filmer Picasso en train de peindre sur du papier transparent, avec des plans-séquence en caméra fixe. La caméra, placée devant le chevalet sur lequel est tendu le papier et non derrière Picasso, capte le cheminement de la pensée créatrice du peintre. Puis le film capte le passage à la couleur ; peinture à l’huile plus classique, filmée en écran cinémascope. Le film est monté photogramme par photogramme.
La genèse du film résulte d’un concours de circonstances. La rencontre entre Clouzot et Picasso est de 30 ans antérieure au film. Dès le milieu des années 20, Clouzot, provincial âgé de 18 ans, s’installe à Paris et suit son oncle dans les cénacles artistiques. Il ébauche alors une amitié avec le peintre, déjà admiré et courtisé. Le projet d’une collaboration est évoqué pour la première fois en 1952, alors que les deux hommes sont désormais voisins, Picasso vivant à Valauris et Clouzot, auréolé du succès duSalaire de la peur, à Saint-Paul. « C’est une bonne idée, il faudra en reparler » sont les mots du peintre quand Clouzot expose l’idée de faire « un film ensemble ».
Le projet ne sera relancé que trois ans plus tard, au moment où Clouzot s’affirme dans la pratique de la peinture. Il a présenté ses toiles à Braque, puis à Picasso, qui se montre assez critique mais très attentif. Des mésententes subsistent quant au bien fondé de cette collaboration, notamment quand Picasso propose à Clouzot de lui écrire un scénario. Il se fait alors éconduire par le cinéaste qui lui explique qu’il est préférable que chacun reste à sa place et que c’est la rencontre entre les deux hommes qui l’intéresse, pas la substitution de leur talents respectifs.
Puis, au printemps 1955, Picasso appelle Clouzot pour lui faire part d’une récente découverte, c’est lorsque le peintre reçut des "feutres magiques" et des encres spéciales envoyées par des étudiants américains que le projet prit corps. Feutres et encres avaient la curieuse propriété de traverser le papier sans baver et d’inscrire au verso les traits exacts dessinés au recto. Clouzot eut l’idée de filmer le derrière de la toile : on verrait ainsi naître l’oeuvre d’art par transparence, comme par magie.
Le silence est de rigueur, Picasso travaille et tout le monde le respecte, ne pas distraire sa concentration, lui a d’ailleurs oublié une caméra. Il est tout entier dans son oeuvre. Clouzot observe. Et ça d’ailleurs sera une objection que des mauvais esprits ont tentés de faire : « au fond, qu’à fait d’autre Clouzot à part dire moteur et coupez ». Clouzot témoigne d’une parfaite culture picturale. On sait que Clouzot peint à ses heures et qu’il s’intéresse de près aux choses de la peinture. En définitive, le Mystère Picasso est bien un film de Clouzot, il a démontré tout le mécanisme créateur d’un artiste, il a conduit Picasso jusqu’à un degré extrême de tension et de fatigue.
Ensuite, Picasso peint à l’huile : la technique de cinéma doit être modifiée. Clouzot place sa caméra derrière le peintre et filme la toile à intervalles réguliers tandis que Picasso s’écarte. Pour la peinture à l’huile, Clouzot emploie la couleur. De même, pour suivre fidèlement les proportions des toiles, le cinéaste filmera en écran large. Ainsi, son film sera le seul à employer successivement le noir et blanc et la couleur, l’écran normal puis le Cinémascope. Parallèlement, la bande sonore suit la même évolution : on n’entend d’abord que le crissement du fusain sur la toile ; puis ce sont des mesures de guitares ou des solos de batterie ; pour finir, c’est la totalité de l’orchestre symphonique qui explicite l’oeuvre en gestation.
De juillet à septembre 1955, Picasso et Clouzot se retrouvent tous les jours durant huit heures dans les Studios de La Victorine à Nice. Claude Renoir, le petit-fils du grand peintre, dirige les prises de vues. Au début, l’idée du réalisateur est de tourner un court métrage de dix minutes. Mais au bout de huit jours, la matière est tellement riche qu’il songe à une série de courts métrages.
Au bout des trois mois de tournage, Clouzot se trouve en possession d’une longueur impressionnante de pellicule. Il trouve dommage de fragmenter une matière aussi riche : le film sortira donc sous la forme d’un long métrage. Son genre particulier limitera forcément son audience. Mais les vrais amateurs d’art se réjouiront tous de ce document unique dans les annales du cinéma. Un critique de l’époque proclame, en référence aux autres films de Clouzot : Le Mystère Picasso, c’est "le plus beau film de suspense Jamais réalisé"...
Pile ou face
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