JOSÉ BENAZERAF . AVANT LA VAGUE
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POINT DE VUE | ||||
José Benazeraf alias JB, Don José ou Bena pour les intimes, est un cas à part dans le cinéma français : solitaire, tantôt ignoré, tantôt idolâtré.
Réalisateur de films sexy dans les années 60 admiré des cahiers du cinéma ; je-m’en-foutiste hautain et mercantile tournant des pornos à la chaîne dans les années 80 ; cinéastes d'avant-garde exigeant, auteur d'une poignée de chef d'œuvres incontestables ; cinéaste marxiste, et grande gueule toujours prête à faire le coup de poing contre la censure. Ce sont tous ces aspects que restituent les deux précieux coffrets édités par K-Films. Enfin les films de Benazeraf bénéficient d'un écrin à leur mesure et sortent de l'ornière des VHS copiées et échangées entre passionnés. Le second coffret DVD présente des films inédits en salles ou mythiques, ayant forgé la légende de Don José. Joë Caligula, l’œuvre maudite Au premier rang de ceux-ci, le célèbre Joë Caligula (1966) qui synthétise toutes les vicissitudes de l’auteur avec la censure. Il s'agit d'un nouveau film noir croisant l'histoire de Scarface et celle de Caligula qui devient un jeune gangster violent et halluciné. Les deux figures ont pour point commun l’amour incestueux pour leur sœur, Benazeraf anticipant De Palma en rendant explicite ce que Hawks ne faisait que suggérer. Plus encore que pour La nuit la plus longue, JB adopte un ton volontairement distancié très « nouvelle vague » pour dépeindre les exactions d’un criminel nihiliste dans la lignée de Michel Poicard et Ferdinand/Pierrot. La décontraction en moins puisque c'est Gérard Blain, fiévreux interprète de Claude Chabrol (Les Cousins, Le Beau Serge) et Mocky (Les Vierges), qui incarne Joë (Blain dont, soit dit en passant, l'œuvre de metteur en scène mériterait une redécouverte). Le film est totalement interdit par la censure en 1966. Il ne sort qu'en 1969 amputé d'une vingtaine de minutes. Il faudra attendre 1999 et la rétrospective de la Cinémathèque pour que soit enfin projetée une version intégrale. À la façon des films de Godard, Joë Caligulaalterne le réalisme (les scènes de violence ou de torture) et les expérimentations visuelles et sonores. Une scène de strip-tease, accompagnée d’un morceau de Vince Taylor passant en boucle jusqu’à épuisement, rappelle les scènes de cabaret érotique d’Une femme est une femme (Godard, 1961) où les effeuillages s'effectuent sur les bandes-sons les plus improbables. Le fantastique, qui n'est jamais loin chez Benazeraf, affleure lors de l'errance nocturne de la sœur de Joe longeant à Pigalle des vitrines de mannequins. L’auteur met ici en abyme ses personnages, mannequins s'affublant des costumes du film noir pour rejouer des tragédies antiques. La philosophie dans le boudoir Le fantastique sera encore plus présent dansLe Désirable et le Sublime (1969), pièce maîtresse de Benazeraf et, bien plus encore, de l'avant-garde des années 70. Alors que passent à la télévision des images de l'actualité politique (Pompidou en tête), Benazeraf filme des libertins dissertant, mieux que des personnages de Rohmer, sur le plaisir et la liberté. Ces figures sans nom, conversent en arpentant les couloirs du château, leur froideur et leur distance, avouant leur origine sadienne. En effet, comme chez Sade, le discours est préalable à l'érotisme ou plutôt le discours est en soi un acte érotique. Benazeraf, tel Godard encore une fois, exprime ici son amour de la littérature et de la citation. On croise donc, au cours de cette promenade intellectuelle, Shakespeare, Sartre, Camus, Marx, etc. Le discours laisse ensuite place à l'expérimentation avec des scènes érotiques en monochromes rouge ou verts. Bena filme aussi longuement un groupe de rock psychédélique. Il souligne ainsi la dimension musicale de son cinéma marqué par le rock et le funk. Le cinéaste capte l'énergie du corps du chanteur, à moitié nu, de la même façon qu'il filmera plus tard ses scènes pornographiques. Au fond, du rock au porno tout n'est qu'énergie en déflagrations. Brantôme 81, vie des dames galantes(1981) renvoie aussi à la littérature via Brantome, chroniqueur au XVIème siècle de la vie des courtisanes. Don José déplace ici l'action au début des années 80, soit à la fin du giscardisme, le film ayant été achevé au moment de l'accession au pouvoir de Mitterrand. À travers le destin de 5 femmes, symboles de la grande bourgeoisie (on reconnaîtra une jeune Valérie Kaprisky), décrit un univers de luxe frelaté se déclinant en fourrures, diamants, intérieurs d'hôtels particuliers, voitures rutilantes, musique classique ou opératique. Benazeraf qui, rappelons-le, est un pornographe, donc un apôtre de la chair et du sexe dans son intégralité, considère l’érotisme « chic » comme un véritable opium du peuple, amenant ce dernier à rêver sur des richesses et des femmes, qu'il ne possédera jamais. C'est donc l'univers de Just Jaeckin (mettons, l’érotisme du XVIe arrondissement) et de la série Emmanuelle, que récupère le cinéaste pour en faire la critique et le donner pour ce qu'il est : une vanité. La mort d'un homme politique (inspiré par Robert Boulin) conclue en effet ces échanges feutrés entre le sexe, l'argent et le pouvoir. Le film ne sortira cependant jamais en salles, comme si, finalement, la critique de Benazeraf valait autant pour la droite que pour la gauche. Vertiges pornos Scènes Interdites (1975) adopte la forme d'une autobiographie cinématographique. Benazeraf, en voix off, retrace sa carrière cinématographique, n'omettant pas les avis de son adversaire de toujours : la commission de censure. Le film débute ainsi avec les premiers strip-teases (dont celui de Joë Caligula) et s'achève par l'entrée du cinéaste dans la pornographie. Entre les deux, nous feuilletonsLe désirable et le sublime, bien sûr, mais aussi les moins connus Frustration (1970) et French Love (1972). Le premier est un drame fantastique rappelant les films de Jess Franco (on y retrouve Janine Raynaud son actrice deNecronomicon). Janine Raynaud s'y dédouble entre une femme au foyer aux désirs inassouvis et une prédatrice sexuelle. Ce sombre drame psycho-sexuel mériterait également une sortie DVD. French love quant à lui est assez saisissant, montrant une troupe de motard, tout de cuirs vêtus, les visages casqués, se livrant à une orgie dans une maison de campagne. La pornographie constitue le dernier chapitre du film. Pourtant, de pornographique on ne verra presque rien, sinon quelques minutes non explicites du film La Planque. En fait, s'explique ici le mystère du titre tronqué puisque le film s'intitulait à l'origine Anthologie des séquences interdites, érotiques et pornographiques. On avait pu en voir sur Canal +, à la fin des années 90, une version plus ou moins intégrale. Celle-ci s’achevait par 20 mn de pornographie pure tirées de La Planque (1975) avec Marilyn Jess. Un montage virtuose enchaînait les séquences bruts, conservant les claps et la mise en place des actrices. Benazeraf poussera encore plus loin l'idée d'une pure pornographie avec JB 1 (1975) génial making-of expérimental où apparaît le cinéaste lui-même. Conjuguant utopie sociale et sexuelle, le film s’achevait par le repas de l'équipe et des acteurs qui prenait alors des allures de guinguette du front populaire. Pourtant, bien que manque la plongée kaléidoscopique dans le sexe explicite, Scènes interdites vient conclure en beauté ces deux indispensables coffrets. Pour paraphraser Truffaut parlant d’Hitchcock, on pourrait dire que Benazeraf est à la fois un grand cinéaste populaire (ce que, de fait, à été le porno à son âge d’or), en même temps qu’un cinéaste secret et un expérimentateur. Espérons qu’à cet "Avant la vague" (pornographique, s'entend) succèdera unpendant la vague pour découvrir les chefs-d’œuvre sulfureux de Don José. / Stéphane du Mesnildot | JOË CALIGULA (1966)
BRANTOME 81
(1981)
LE DÉSIRABLE ET LE SUBLIME
(1969)
ANTHOLOGIE DES
SCÈNES INTERDITES (1975) | |||
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