Alexandre Marius Jacob
Né le 28 septembre 1879 à Marseille, mort le 28 août 1954 à Reuilly (Indre), fils de Joseph (ouvrier boulanger) et de Marie Berthou ; anarchiste illégaliste ; bagnard ; marchand forain.
Le 28 août 1954, Alexandre Jacob rédigea sa dernière lettre. Il la destina à son amante qui n’ignorait rien du suicide à venir. Quelques jours plus tard, l’article « Un homme » du Canard enchaîné dressait du défunt un portrait presque hagiographique. Défense de l’Homme, par l’entremise de Pierre-Valentin Berthier* et de Robert Passas, fit l’éloge de celui que le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français qualifiait en 1972 de « dernier des grands voleurs anarchistes ». Alexandre Jacob cumule les comparaisons, notamment avec Arsène Lupin. Il ne fut pourtant ni le gentleman cambrioleur né de l’imagination d’un romancier bourgeois et normand en mal de reconnaissance littéraire, ni même un nouveau Mandrin du XIXe siècle, insécure et finissant, et encore moins un autre Papillon tentant la belle 17 fois au bagne des îles du Salut, revenu de l’enfer guyanais et reniant à la fin de sa vie les principes de sa jeunesse. Tous ces clichés dissimulent mal une authentique figure de l’anarchisme, « un cas témoin » de l’illégalisme dont Alain Sergent fut le premier en 1950 à narrer les faits et gestes dans Un anarchiste de la Belle Époque.
La vie d’Alexandre Jacob est entièrement vouée à la cause libertaire. À 11 ans, le « minot » marseillais, certificat d’études en poche, suivit l’exemple paternel et s’engagea comme mousse. « J’ai vu le monde, déclara-t-il lors de son procès à Amiens en 1905, et il n’est pas beau. » Jacob abandonna la navigation et fréquenta de plus en plus les cercles anarchistes de la métropole des Bouches-du-Rhône. En 1897, la période des attentats était terminée depuis trois ans. La hantise de la marmite à renversement perdurait pourtant. À l’occasion du voyage présidentiel de Félix Faure dans le Midi, la police arrêta deux jeunes apprentis chimistes et lecteurs assidus de L’Indicateur anarchiste, brochure que leur avait remise le provocateur Lecca. À sa sortie de prison, la police marseillaise ne lâcha plus Alexandre Jacob. Le jeune homme peina à trouver un emploi stable.
Le vol du mont de piété de Marseille, le 31 mars 1899, marqua son entrée dans la famille des illégalistes. Arrêté quelque temps plus tard à Toulon, Jacob simula la folie pour éviter cinq ans de réclusion. Le 19 avril 1900, il s’évada de l’asile Montperrin à Aix-en-Provence avec la complicité de l’infirmier Royère. Dès lors, Alexandre Jacob organisa sa reprise individuelle. À Sète, chez Ernest Saurel*, ancien compagnon de Caserio*, il mit au point la première brigade des Travailleurs de la nuit.
La bande de voleurs agit au nom de l’anarchie. Mais, à la différence des propagandistes par le fait, le sang ne devait pas couler, sauf pour défendre sa liberté. Centralisation oblige, les Travailleurs se fixèrent à Paris. Ils utilisèrent le train pour cambrioler en province et à l’étranger (Belgique, Allemagne, Italie, etc.). Le principe d’un pourcentage reversé aux organisations anarchistes fut vite remis en question par certains membres de la bande. Mais nombre de compagnons dans le besoin, des journaux comme Le Libertaire de Sébastien Faure* ou Germinal à Amiens bénéficièrent amplement des largesses de Jacob.
Les quelque 150 cambriolages que la police lui attribua défrayèrent d’autant plus la chronique qu’il sut joindre l’ingéniosité à la raillerie. De temps à autre, des billets furent laissés chez les victimes (militaires, curés, notaires, rentiers, nobles) dépitées : « Dieu des voleurs, recherche les voleurs de ceux qui en ont volé d’autres » (Rouen, église Saint-Sever, 14 février 1901) ; « Au juge de paix, nous déclarons la guerre » (Le Mans, vol Hulot, 9 juin 1901). Paris, 6 octobre 1901, 76, rue Quincampoix : le bijoutier Bourdin rentrait chez lui et découvrit un logement vide. Alexandre Jacob, Honoré Bonnefoy et Jules Clarenson* étaient passés par l’appartement du dessus. Jules Dassin reprit la scène du fameux cambriolage en 1955 dans son film Du rififi chez les hommes : un trou dans le plancher, un parapluie dans le trou pour éviter le bruit de la chute des gravats. Le vol fut estimé à plus de 120 000 francs.
L’entreprise délictueuse, fondée sur des mouvements rapides, semblait pérenne. Elle connut toutefois de nombreux accrocs. À Orléans, le 27 février 1901, Jacob manqua de se faire prendre et tira sur l’agent Couillot pour protéger sa fuite. Son ami et complice Royère fut arrêté. Ferrand et Vaillant tombèrent à Nevers au début de l’année 1903, Clarenson à Monte-Carlo un an plus tôt. Le 22 avril 1903, Alexandre Jacob, Félix Bour* et Léon Pélissard* furent arrêtés dans des circonstances dramatiques : un cambriolage avorté à Abbeville, une fuite précipitée dans la campagne picarde, une rixe sanglante et mortelle avec deux policiers à la gare de Pont-Rémy et une battue qui aboutit, par ricochet, au démantèlement complet d’une bande estimée à plus de quarante personnes.
Selon l’expression du juge Hatté, chargé d’une instruction qui dura près de deux ans, « on est en pleine anarchie ». Les 23 coaccusés ne professaient pourtant pas tous des principes libertaires. Mais cela justifia un procès sous haute surveillance militaire et une ville, Amiens, en état de siège. La presse nationale et quelques journaux étrangers se complurent à dresser les crimes des « quarante voleurs » de « la bande sinistre » du 8 au 22 mars 1905. Alexandre Jacob se saisit de l’occasion pour passer de la propagande par le vol à celle par la parole. Il se révéla rhéteur et parvint à développer toute une théorie illégaliste : « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. » Ses discours firent mouche et l’homme étonna par sa verve, sa truculence et ses réparties caustiques visant tout à la fois juges et victimes : « Madame était à son château pendant que je suis entré chez elle, c’est toujours des malheureux que j’ai dévalisés ! » Il se lança surtout dans de longs monologues justifiant et légitimant ses cambriolages. « La propriété, c’est le vol », écrivait Proudhon* en 1848. « J’ai préféré être voleur que volé », rajoute Jacob cinquante-sept ans plus tard. La sentence de la justice amiénoise tomba sans surprise le 22 mars 1905 : les travaux forcés à perpétuité.
« J’ai cessé cette lutte du fait de mon arrestation mais je l’ai reprise au bagne sous une autre forme et par d’autres moyens », écrivit Alexandre Jacob à Jean Maitron en 1948. Le matricule 34777 débarqua aux îles du Salut le 13 janvier 1906. Se considérant comme « un prisonnier de guerre sociale », il adopta dès le départ l’attitude caractéristique des anarchistes internés au bagne. Son opposition à l’Administration pénitentiaire lui valut de nombreux passages devant la commission disciplinaire. Il fut également jugé sept fois par le Tribunal maritime spécial de Saint-Laurent-du-Maroni pour meurtre (celui du forçat Capelletti en 1908), évasion et tentative d’évasion. Il dut subir quelque trois années de réclusion dans les cachots de l’île Saint-Joseph. Malgré l’épuisement physique, Jacob parvint à survivre : « Aujourd’hui j’ai regagné deux kilos. Il est vrai que j’avais mes chaussettes. Je pèse 39 kilos. J’en pesais 65 il y a un an » (lettre à Marie Jacob, 2 février 1911). De nombreuses fois, le matricule 34777 tenta de se soustraire à la surveillance de ses geôliers.
Il entretint une correspondance salvatrice avec sa mère qui, à Paris, maintint et créa des réseaux de solidarité. Par le biais des époux Aron (Romanitza, artiste, et André, avocat), elle réussit à intéresser les milieux politiques et gouvernementaux (Pierre Laval, Anatole de Monzie) au sort de son fils. Dans le contexte de critique généralisée du bagne faisant suite aux articles d’Albert Londres en 1923, Francis Million, du Peuple, et Louis Roubaud, du Quotidien, lancèrent dans leurs journaux une campagne en faveur de la libération de Jacob. Elle réunit en février-mars 1925 de nombreux témoignages de soutien : Albert Londres, le docteur Louis Rousseau, l’ancien Travailleur de la nuit Jacques Sautarel*, le gestionnaire des îles du Salut Alric, etc. Le 14 juillet de cette année-là, une grâce présidentielle ordonna le rapatriement de Jacob en métropole. Sa peine venait d’être commuée en cinq ans de réclusion à purger en France.
Après un passage par Saint-Nazaire, Rennes et Melun, Alexandre Jacob se retrouva à la prison centrale de Fresnes. Il fut finalement libéré le 31 décembre 1927. Il travailla immédiatement comme chef d’atelier pour le compte du magasin Le Printemps à Paris, mais opta en 1931 pour le commerce ambulant.
Il s’installa en 1935 dans l’Yonne puis à Reuilly, dans le Berry, en 1939. Entre-temps, en 1930, il participa activement à l’élaboration du livre du docteur Louis Rousseau, Un médecin au bagne. Il fréquenta assidûment les néo-malthusiens, Eugène et Jeanne Humbert*, ainsi que certains pacifistes comme Louis Louvet*. En 1936, il partit pour l’Espagne libertaire et républicaine en guerre avant de retrouver ses amis Pierre-Valentin Berthier*, Louis Briselance* et Bernard Bouquerau sur les marchés du Val de Loire. Le commerce de bonneterie de Marius était florissant.
Mais la Seconde Guerre mondiale vint ruiner cette petite aisance financière. Marie Jacob décéda en 1941 ; Paulette, la femme du vieux marchand forain, en 1950. Jacob pensa dès lors de plus en plus au suicide, refusant l’idée de dépendance et préférant « mourir en bonne santé » en « faisant la nique à toutes ces infirmités qui guettent la vieillesse. Elles sont là, ces salopes, prêtes à me dévorer. Bien peu pour moi. J’ai vécu, je puis mourir » (lettre à Guy Denizeau, 17 août 1954). La biographie que lui consacra Alain Sergent, ancien collaborateur reconverti dans l’écriture, en 1950 provoqua la rencontre et l’amitié avec un jeune instituteur drômois : Robert Passas. Josette, la femme de ce dernier, à qui Jacob venait de déclarer sa flamme, passa un mois chez lui. Quelques jours après le départ de son amante, il mit son projet à exécution. Alexandre le voleur, Jacob le bagnard, Marius le forain mourut le 28 août 1954.
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