Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto
Inédit en France, ce bijou de collection, tant pour l’image, un noir et blanc somptueux en 35 millimètres, que pour le récit mêlant documentaire, fiction et cinéma expérimental, sort en salle après restauration. Représentant de la nouvelle vague japonaise dans les années 1960, Matsumoto revendiquait l’influence d’Andy Warhol. Sa peinture de la scène underground tokyoïte a bien des airs de la Factory new-yorkaise, le nom d’Eddie étant un clin d’œil à l’égérie warholienne Edie Sedgwick.
Toshio Matsumoto filme au plus près de ces corps libres qui n’ont plus de genre déterminé
On suit Eddie dans le quartier Shinjuku, entre pistes de danse et déambulations urbaines. Elle est la favorite de Gonda, propriétaire du bar Genet, où elle travaille. Cette relation provoque la jalousie de Leda, maîtresse de Gonda, drag-queen plus âgée qui affectionne les roses. Eddie et Gonda cherchent à se débarrasser d’elle.
Dans Les Funérailles des roses, Eddie et ses copines sont de fières amazones qui squattent les pissotières masculines, n’étant pas opérées. Elles se prennent le chou avec des « vraies » filles et subissent le harcèlement de rue. La nuit tombée, elles retrouvent les clients friands de garçons féminins, des vidéastes et artistes situationnistes. Matsumoto filme au plus près de ces corps libres qui n’ont plus de genre déterminé. Son film est un document rare sur le milieu gay de cette époque, nourri de témoignages d’anonymes.
Symboles pop
Ce grand artificier de l’image réserve d’autres surprises. Les Funérailles des roses sont aussi une histoire de miroirs, qui abritent les multiples bifurcations du récit : l’amour d’Eddie et Gonda, la jalousie de Leda, les séances de maquillage transformiste… Le cinéaste manie heureusement l’autodérision, en incrustant des symboles pop dans son film, propres à désamorcer l’esthétisme qui guette. Matsumoto est ainsi capable d’interrompre une scène d’une sensualité inouïe pour nous plonger sur le plateau de tournage.
Au regard de ces choix audacieux, l’irruption du mythe d’Œdipe n’est pas la partie la plus convaincante du film, ni du point de vue du récit ni sur le plan politique. Hantée par son passé et la disparition de son père, Eddie a des airs de poupée illuminée et chancelante. Le spectateur aurait-il devant les yeux une trans à la santé mentale fragile ? On ne sait pas comment la communauté queer, qui a toujours rejeté tout regard médical et normatif, avait accueilli le film. Matsumoto déjoue le « piège », si l’on peut dire, en donnant la parole à Peter, dans une parenthèse documentaire décisive. Face caméra, l’acteur explique qu’il ressemble beaucoup à son personnage, Œdipe en moins. D’Eddie, on gardera la beauté libre et sauvage, dont les battements de cils, épais comme une frange, conservent le secret.
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