H. H. Holmes, tueur à la chaîne
Si vous pensiez que les maisons conçues comme de gigantesques pièges destinés à faire périr des êtres humains qui n'avaient rien demandé étaient une invention de scénariste d'Hollywood, il va falloir vous ruer sur La Manufacture du meurtre.
Le court essai signé par Alexandra Midal, commissaire d'exposition et professeure de théorie du design, vient remettre les pendules à l'heure en nous faisant découvrir –ou en nous rappelant– le parcours de celui que l'on connaît notamment sous le nom de Henry Howard Holmes. Né Herman Webster Mudget en 1861, il est considéré comme le premier tueur en série de l'histoire des États-Unis –une caractéristique qui suffirait à en faire un objet de fascination, sauf que la singularité du personnage est loin de s'arrêter là.
Remontant scrupuleusement le fil grâce aux rapports d'enquêtes menées à l'époque, Alexandra Midal se tient à distance des portraits façon Pradel ou Hondelatte. Un parti pris qu'elle assume dès les premiers paragraphes de son ouvrage («Pour mener mon enquête, j'ai décidé de laisser de côté l'attrait morbide généralisé pour les faits divers»), expliquant par la suite vouloir relier meurtres en série et chaînes industrielles de montage.
Cycliques, répétitives, amenées à être rendues plus performantes grâce à l'innovation technologique: les deux activités (travailler et tuer à la chaîne) présentent plus d'une caractéristique commune. C'est l'une des thèses d'Alexandra Midal, qui ne met évidemment pas le peuple ouvrier dans le même panier que H.H. Holmes, mais qui s'évertue en revanche à souligner à quel point les méfaits du criminel ont été marqués par de grandes avancées techniques, liées à l'industrialisation des États-Unis.
Dans les faits, tout démarre en 1886 à Chicago, où Holmes acquiert un terrain qu'il souhaitait acheter depuis des années. Il y supervise la construction de la maison qu'il a lui-même dessinée, bien qu'il ne soit absolument pas architecte. Immense et d'une modernité démentielle, la bâtisse est rapidement surnommée «le Château» par les membres du voisinage.
«Létal, pratique et confortable, le Château comprend une centaine de pièces, des appartements et des magasins», écrit Alexandra Midal. Il ne s'agit en réalité pas d'une maison, mais d'un complexe immobilier, «un espace hyperfonctionnel dans lequel accomplir rationnellement, confortablement et tranquillement l'ensemble de ses activités».
Le Château de H. H. Holmes à Chicago, dans les années 1890 | Auteur inconnu via Wikimedia Commons
Chez Holmes, à qui l'on attribue au moins deux cents meurtres, il existe des motivations froides et matérielles qui l'éloignent considérablement des tueurs en séries semblant guidés par des pulsions ou des démons intérieurs. Toujours plus avide d'argent, l'homme a débuté sa «carrière» en tant qu'arnaqueur professionnel: il faisait passer des gens pour morts en présentant des cadavres achetés à travers le pays, dans le but de rafler de confortables primes d'assurance-vie.
Le livre frappe par la description de la manière si méthodique et si impitoyable avec laquelle Holmes nettoie ses traces pour ne pas être attrapé. Finissant par liquider Benjamin Pitezel, l'homme qui lui a servi de complice lors de nombreuses arnaques, il s'emploie également à se débarrasser de la veuve de ce dernier, mais aussi de leur six enfants.
Sans foi ni loi, Holmes tente de tuer la veuve Pitezel et son dernier-né à la nitroglycérine: «Après avoir scié une marche d'escalier de sa maison à Burlington, il l'y envoie après lui avoir demandé de déplacer d'urgence une boîte fermée contenant des papiers d'une extrême importance, écrit Alexandra Midal. En réalité, la boîte contient une fiole d'explosif [...]. Par chance pour eux, Madame Pitezel et son nourrisson ne trébuchent pas sur la marche et échappent à la mort.»
Le fameux Château de Chicago constitue son principal laboratoire, en même temps qu'un imposant mausolée. Dans cette «machine à tuer dont chaque pièce, chaque couloir et chaque trappe étaient ingénieusement conçus pour servir ses crimes», H.H. Holmes a notamment fait installer «un réseau de gaz domestique et d'électricité, alors que ses contemporains continuaient pour la plupart de s'éclairer à la bougie».
Asphyxiées au gaz, brûlées vives, enfermées dans des malles ou des pièces hermétiques: les victimes de Holmes –pour la plupart des femmes travaillant à son service– étaient éliminées avec inventivité, preuve du plaisir pris par le criminel à occir en série.
Il avait donc d'autres motivations que l'argent, et en particulier l'envie de faire preuve de toujours plus d'inventivité pour duper l'autre ou lui prendre la vie. S'il avait mis son imagination et son talent au service d'œuvres plus recommandables, cet ingénieur ingénieux aurait sans nul doute accompli de grandes choses.
Étonnamment, le nom de H.H. Holmes n'est pas aussi connu chez nous que ceux de certains de ses successeurs –dont Henri Désiré Landru, qui faisait lui aussi venir des femmes chez lui avant de les éliminer, mais à qui il n'est officiellement attribué «que» onze meurtres.
Son œuvre macabre semble pourtant omniprésente dans le cinéma de genre d'hier et d'aujourd'hui, notamment dans les nombreux films à base de tueurs machiavéliques ayant transformé maisons ou entrepôts en gigantesque pièges à rats dans lesquels ils aiment à torturer les gens avant de les éviscérer.
On pense en premier lieu à la série des Saw, initiée notamment par James Wan et Leigh Whannell, dans laquelle un tueur en série aussi inventif que moralisateur contraignait des personnes au passé trouble à participer à des jeux risquant de leur coûter la vie. Mais aucun lien direct n'a été établi entre le Jigsaw, le surnom du psychopathe de la saga, et Holmes.
Le très bon petit livre d'Axel Cadieux (Une série de tueurs, paru en 2014), qui établissait des ponts entre les vrais tueurs en série et les criminels fictifs qu'ils ont inspirés, ne cite d'ailleurs pas le propriétaire du Château: nul film ne semble se réclamer de Holmes, alors que sa courte existence est éminemment cinématographique.
L'essai d'Alexandra Midal est court, vif et se garde bien d'établir des conjectures hasardeuses ou de romancer l'ensemble, mais les soixante-quinze pages qui le composent sont absolument fascinantes. D'autant qu'elles sont accompagnées d'un document pour le moins précieux, une traduction des confessions livrées par H. H. Holmes au Philadephia Inquirer le 12 avril 1896, soit moins d'un mois avant qu'il ne soit exécuté par pendaison.
Finalement confondu par les autorités après une longue investigation, Holmes raconte en détail les circonstances de certains des meurtres commis, et explique que ses nombreux crimes sont non seulement dus à l'envie de gagner de l'argent, mais également à ce qu'il nomme sa «folie criminelle».
Le tout, écrit avec une sobriété glaçante, reste à prendre avec des pincettes, Alexandra Midal qualifiant Holmes de «menteur patenté» dès l'incipit de son essai. Troublant jusqu'au bout.
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