Nueva Germania, Les derniers Aryens du Paraguay
Une pancarte vétuste trône à l’entrée de la ville. Sous des drapeaux allemand et paraguayen passés de couleurs, on peut encore y déchiffrer l’inscription “Bienvenidos a la Ciudad de Nueva Germania”. L’état de délabrement avancé du panneau d’accueil donne le ton. Entre pauvreté et silence angoissant, le visiteur est plongé d’emblée dans l’atmosphère inquiétante de ce village isolé dans les terres paraguayennes. Bienvenue en “Nouvelle Allemagne”.
Le projet d’une colonie raciale
Le
village allemand qui subsiste aujourd’hui au cœur de ce pays enclavé
d’Amérique du Sud n’est que le vestige d’un projet à l’utopie raciste
entrepris à la fin du XIXe siècle par un couple d’antisémites notoires :
Elizabeth Förster-Nietzsche, sœur du célèbre philosophe Friedrich
Nietzsche, et son époux Bernhard Förster. Rencontrés dans les réseaux
des admirateurs du compositeur et polémiste Richard Wagner, ils
gravitent alors tous deux dans les cercles intellectuels de l’extrême
droite de l’Empire allemand. C’est d’ailleurs l’ouvrage de Wagner Religion et Art (1880)
qui inspire leur projet colonial. En pleine apogée de la période
romantique allemande, réaction politique contre les valeurs de la
Révolution française et renouveau philosophique qui prône un retour à la
nature, le climat intellectuel outre-Rhin est empreint de darwinisme
social et d’antisémitisme. L’évolutionnisme et l’eugénisme alimentent
les discours de dégénérescence raciale et de déclin civilisationnel et
beaucoup d’Allemands s’accordent sur la nécessité de préserver la race
aryenne face à la montée en puissance de la communauté juive.
De maladies en décès, de déceptions en abandons, le projet périclite rapidement.
Les
Förster sont de ceux-là. Inquiets de voir leur peuple décatir, ils se
mettent en quête d’une terre où fonder une colonie de familles
allemandes “pure souche” à même de préserver l’intégrité de leur lignée
et montrer la supériorité de leur civilisation.
Le Chaco Paraguayen, terre d’accueil de la colonie
C’est
au Nord du Paraguay, à 300 kilomètres de la capitale Asunción, que les
Förster trouvent le lieu où concrétiser leur utopie raciale. Ils s’y
implantent en 1886 avec treize autres familles, accueillis à bras
ouverts par un Etat paraguayen aux abois, affaibli économiquement et
démographiquement par la guerre de la Triple Alliance qui l’a opposé à
l’Argentine, au Brésil et la Bolivie. Ruiné par le conflit, amputé des
trois-quarts de sa population masculine, le Paraguay brade alors ses
terres, attirant des colons souvent moins motivés par l’idéal raciste
promu par les Förster que par l’opportunité économique d’un bon
investissement foncier.
Le Chaco
paraguayen, étendue sauvage et désertique qui s’étale sur toute la
partie septentrionale du pays, devient donc officiellement la terre
d’accueil de Nueva Germania. Le projet sera un échec cuisant.
Plutôt qu’une colonie “racialement pure”, Nueva Germania exemplifie en effet aujourd’hui une expérience parfaite de mélange des gènes et des cultures
L’échec du projet : de la pureté raciale au métissage
Pas
suffisamment préparés aux conditions de vie qu’ils allaient rencontrer
sur place, les colons déchantent rapidement : le climat est trop chaud
et trop humide, les terres hostiles sont difficilement cultivables, les
insectes apportent des maladies dévastatrices et la mésentente règne au
sein de la colonie. De maladies en décès, de déceptions en abandons, le
projet périclite rapidement. Acculé par les dettes, Bernhard Förster se
suicide en 1889 et son épouse retourne bientôt en Allemagne. Une
deuxième vague de colons arrive dans les années 1950 à la faveur de la
dictature blanche emmenée par le général Stroessner, nouvel homme fort
du Paraguay aux origines allemandes, qui propose un accueil à certains
réfugiés nazis. Mais sur place toujours les nouveaux arrivants
déchantent.
La manifestation la plus
patente de l’échec du projet arrive cependant avec la troisième
génération de descendants et un phénomène que les colons avaient jusque
là évité : le métissage.
Elizabeth Förster-Nietzsche
Plutôt
qu’une colonie “racialement pure”, Nueva Germania exemplifie en effet
aujourd’hui une expérience parfaite de mélange des gènes et des
cultures. Elle confirme les théories élaborées par les post-colonial studies
selon lesquelles les rapports colons-colonisés sont dynamiques et
surtout à double sens : les colons n’échappent pas à l’influence des
colonisés, dans un rapport de modification toujours réciproque.
Les descendants d’aryens d’aujourd’hui ont le teint mat, parlent le guarani (la langue indigène locale) et boivent le terere.
Ils sont souvent très peu informés du projet idéologique originel. Il
faut dire que peu de vestiges subsistent des premiers temps, pas même
une seule pierre de l’ancienne bâtisse des Förster, un temps la plus
belle de la colonie. Comme pour rendre visible l’autodestruction d’une
utopie irréaliste qui s’est effondrée d’elle-même.
La vaine subsistance du projet par une poignée d’irréductibles
Dans
une zone encore plus reculée, tout au Nord de l’ancienne colonie,
quelques descendants de la première génération tentent néanmoins de
continuer le projet. Cultivant leur histoire et leur culture, ils
parlent allemand, fréquentent une paroisse luthérienne et ne se marient
qu’entre eux. Nouvelle ironie du sort, ils se risquent à une forme de
dégénérescence négligée par les Förster, celle de la consanguinité.
Semblant
vivre hors du temps et de l’espace, ces descendants de colons aryens
suscitent l’intérêt de quelques touristes curieux qui bravent parfois
les conditions difficiles d’accès pour rencontrer les habitants méfiants
de cette enclave germanophone au fin fond du Paraguay. Un curieux effet
du temps où le descendant du fier colon d’hier est devenu l’animal
étrange d’aujourd’hui. Comme un zoo humain à ciel ouvert.
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