Le crime des soeurs Papin

Christine
et Léa Papin étaient deux sœurs employées de maison, auteurs d'un
double meurtre sur leurs patronnes le 2 février 1933 au Mans. Ce fait-divers tragique
et le procès suscitèrent l'intérêt des français, aussi bien des couches
populaires que des milieux psychanalytiques. Les crimes de femmes sont
en effet rares et deviennent rarissimes lorsqu'ils sont commis par un
duo de sœurs. Rien ne permettait en outre, en apparence, de prévoir un
tel déchainement de violence. En apparence seulement..
Les
soeurs Papin sont nées de l'union de Clémence Derée et de Gustave
Papin. Clémence est une épouse infidèle et une mère peu maternelle. Le
père est un homme faible et alcoolique. Clémence Derée souffre de
tendances paranoïaques. Elle méprise le père et refuse qu'il interfère
entre elle et ses enfants. Elle est le symbole même de la mère
toute-puissante et dévorante, interdisant à sa progéniture de
s'autonomiser. Au quotidien pourtant, elle s'en occupe peu, car elle en
est incapable. La soeur ainée, Emilia, est violée à 10 ans par le père.
Le divorce est rapidement prononcé mais l'inceste n'est pas dénoncé.
Émilia est traitée en fautive et placée en maison de correction par sa
mère.
En
1929, soudainement, sans motif apparent et sans dispute, les deux
soeurs cessent de voir leur mère. Madame Lancelin l'a manifestement
remplacée. Clémence, interrogée sur l'événement, déclara ne pas avoir su
pour quel motif ses filles ne voulaient plus la voir. Léa et Christine
reprochent à leur mère les « observations » de Clémence, ce qui ne peut
que souligner leur intolérance à la remarque. Désormais, Christine
désigne sa mère par l'expression « cette femme ». Monsieur Lancelin et
son beau-frère s'inquiètent fortement de cette rupture car elle perturbe
visiblement les sœurs.
Les
soeurs deviennent en effet de plus en plus taciturnes et repliées sur
elles-même . L'image qu'elles ont de leur mère est mauvaise et elles
transfèrent sur madame Lancelin ce lien haineux qui les unissait à leur
mère. En 1932, alors que les Lancelin étaient en vacances, les deux
sœurs, dans un état de tension et de surexcitation extrême, prirent
contact avec le maire. Christine, approuvée en silence par Léa, tient un
discours incompréhensible, dans lequel elle dit que leurs patrons les
persécutaient et les séquestraient, accusant le maire de leur nuire
plutôt que de les défendre. Il les avait alors priées de contacter de sa
part le commissaire. Cet événement avait fait évoquer la folie au maire
et au secrétaire général de la mairie du Mans, qui les avait déclarées
« piquées ».
Le 2 février 1933, Madame et Mademoiselle Lancelin, partent de la maison une partie de l'après-midi. L'aînée des deux soeurs, Christine, repasse le linge, tandis que Léa, la cadette, nettoie. Pendant leur absence, le fer à repasser, tombé en panne, provoque une coupure de courant. Léa se rapelle la correction infligée par sa patronne 5 ans plus tôt, lorsqu'elle avait laissé par inattention sur le tapis un morceau de papier tombé de la corbeille. Madame Lancelin l'avait alors appelée pour la punir en la prenant par l'épaule et en la pinçant fortement, la mettant à genoux en lui ordonnant de ramasser. Étonnée de ce geste de mauvaise humeur inhabituel chez sa patronne, Léa l'avait relaté le soir même à sa soeur en ajoutant : « Qu'elle ne recommence pas ou je me défendrai ».
Au
retour des patronnes, Christine informe Madame Lancelin de la panne du
fer, ce qui entraîne une dispute entre Madame et l'aînée, qui rapidement
dégénère en bagarre entre Christine, Madame et Mademoiselle. Christine
ordonne à sa soeur d'arracher un oeil de Madame et le massacre démarre :
Christine arrache un œil de Mademoiselle et le jette dans l'escalier.
Léa l'imite, arrachant les deux yeux de Madame avec ses doigts. « J'aime
mieux avoir la peau de mes patronnes plutôt que ce soit elles qui aient
la mienne », répétera plusieurs fois Christine. L'aînée s'adresse à sa
cadette pour lui annoncer qu'elle va les massacrer avec un couteau et un
marteau. Ainsi armée, Christine relève la jupe de Mademoiselle,
rabattant son pantalon pour lui entailler les fesses, disant à Léa que
son couteau ne coupe pas. Léa va en chercher un autre. Les victimes
décèdent après avoir reçu des coups de marteaux et de couteaux, ainsi
que des ciselures à la longueur de la jambe faites. Les sœurs se lavent,
se mettant au lit en peignoir, projetant de dire qu'elles s'étaient
défendues d'une attaque de leurs patronnes.
La
médiatisation s'enclenche dès le lendemain. Les sœurs ne sont guère
photogéniques ni adeptes des déclarations chocs. Mais la passion monte
en raison du clivage entre les deux camps : une grande partie de la
population réclame vengeance, tandis qu'un public plus minoritaire et
intellectuel s'empare de l'histoire pour faire des sœurs Papin les
victimes de la lutte des classes. L'instruction ne permet pas de
progresser grandement. Les deux sœurs ne sont pas capables
d'introspection et ne font que répéter qu'elles n'avaient absolument
rien à reprocher à leurs patronnes, possédant suffisamment d'économies
pour chercher un autre travail, si elles avaient voulu les quitter.
Elles étaient bien nourries, bien logées et bien traitées. En 6 ans,
elles n'avaient d'ailleurs demandé aucune autorisation de sortie. Lors
du temps libre dont elles disposaient, les deux sœurs se retiraient dans
leur chambre, et ne sortaient que pour se rendre à la messe, coquettes
et élégantes le dimanche matin. Elles ne liaient jamais connaissance
avec un garçon ou avec les domestiques des maisons voisines, ni avec les
commerçants du quartier qui les trouvaient bizarres. Une affection
exclusive liait Christine et Léa qui s'étaient jurées qu'aucun homme ne
les séparerait jamais. Cette affection va éclater au grand jour dans la
prison des femmes. Dès son incarcération, Christine sombre dans le
délire. Elle veut s'arracher les yeux, réclame sa sœur en hurlant, au
point que la gardienne chef accepte de les réunir. Aussitôt, dans un
état d'exaltation croissante, de folle passion, Christine entreprend de
dévêtir Léa tout en la suppliant : « Dis-moi oui, dis-moi oui. » Les
gardiennes doivent protéger Léa des assauts de son aînée.
Lors
du procès, l'analyse du crime est malheureusement pauvre. Les jurés
souscrivent au point de vue des experts Schützenberger, Truelle, et
Baruk considérant le crime comme une crise de colère dégénérée en fureur
par deux sœurs parfaitement saines d'esprit. Les experts ne tinrent pas
compte des antécédents familiaux des deux sœurs (père alcoolique,
violences conjugales, inceste sur la sœur aînée, un cousin aliéné, un
oncle pendu) ni de la vie singulière qu'elles menaient. La déclaration
du commissaire à propos de l'incident de la mairie s'est trouvée réduite
à néant dans l'histoire du sentiment délirant de persécution des sœurs à
l'égard de leurs patronnes. L'acharnement sadique sur les corps des
victimes ne tenait pas comme argument de folie pour les experts, du fait
que les criminelles avaient fait preuve de sang-froid en nettoyant
leurs ustensiles et en se couchant après l'acte. La ressemblance avec la
préparation d'un plat cuisiné n'a pas été relevée, ce qui va pourtant
bien avec un acte insensé. Les multiples crises de Christine à la
prison, et les déclarations des codétenues et des gardiennes à ce propos
ont été tenus pour négligeables car Christine avouait avoir " joué la
comédie ", ce terme ayant dans la région du Mans un sens différent du
sens commun, puisqu'il signifie " faire une scène ".
A
l'époque pourtant, un psychiatre, le docteur Logre, déplore qu'on n'ait
« pas assez recherché la nature des liens unissant les deux soeurs ni
attaché suffisamment d'importance aux blessures très caractéristiques
des victimes, qui paraissent indiquer des préoccupations sexuelles
délirantes ». Rival du docteur Truelle, l'expert chargé de l'affaire, il
ne sera pas écouté. Effectivement, quand l'avocate de Christine, maître
Brière, lui demande pourquoi elle a déshabillé Geneviève Lancelin
question essentielle négligée par l'ensemble des experts la jeune femme
répond par une aberration : « Elle prétendait chercher quelque chose
qu'elle aurait voulu avoir et dont la possession l'aurait rendue plus
forte », car elle voudrait « changer de corps ». Mieux : Christine croit
se souvenir que « dans une vie antérieure, elle a été le mari de sa
sœur ». Les psychanalystes qui, par la suite, ont étudié le cas, voient
dans cet aveu un symptôme du transsexualisme psychique presque toujours
présent dans les psychoses paranoïaques les plus graves. De plus, le
jour du drame, la fille Lancelin avait ses règles. Or, leur crime
accompli, Christine et Léa ont barbouillé de ce sang menstruel le sexe
de la mère. Pour les psychanalystes, ce geste hautement symbolique donne
son véritable sens à la tragédie : à travers leur acte fou, les sœurs
ont inconsciemment voulu saisir « le mystère du sexe, de la jouissance
et de la vie ».
Le
verdict, que Christine a reçu agenouillée, a condamné cette dernière à
mort et Léa à 10 ans de travaux forcés. L'aînée a ensuite été graciée,
et sa peine commuée aux travaux forcés à perpétuité. Christine a été
transférée à la prison centrale de Rennes
où elle a sombré dans un état dépressif avec refus systématique de
toute alimentation. Elle a été ensuite hospitalisée à l'asile public
d'aliénés de Rennes où elle est morte en 1937, de cachexie vésanique à l'âge de 32 ans. Léa quant à elle, décèdera à Nantes en 2001 l'âge de 89 ans.
Les
sœurs Papin sont aujourd'hui passées à la postérité. Comme Violette
Nozières à la même époque, elles ont acquis malgré elles un statut
d'héroïne. Jacques Lacan, dans ses premiers écrits sur la paranoïa,
désigna leur acte comme le modèle même du « passage à l'acte meurtrier »
dans le cadre d'une « psychose paranoïaque. L'affaire a inspiré par la suite de nombreux auteurs. Jean genet a monté en 1947 une pièce de théâtre intitulée "les bonnes", qui sera adaptée au cinéma quelques années plus tard sous le titre "les abysses". Claude Chabrol a
repris la trame dramatique du destin des sœurs Papin et l'adapta pour
son film "La cérémonie, en 1995, avec Isabelle huppert et Sandrine
Bonnaire. Le films " les blessures assassines" sorti en 2001 est lui une
adaptation fidèle du fait divers.
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