Hermann Nitsch et l’actionnisme viennois

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Les origines de l’actionnisme viennois
L’actionnisme viennois a vu le jour au début des années soixante dans une Autriche ultra-conservatrice et toujours honteuse quant aux atrocités ayant été commises en son nom durant l’holocauste nazi de la deuxième guerre mondiale. C’est dans un désir de transformer l’art «objet comestible» et lucratif en véritables performances cathartiques que Otto Muehl, Hermann Nitsch, Günter Brus et Rudolf Schwarzkogler passèrent littéralement à l’action en formant ce collectif, qui fut au départ une simple collaboration plutôt qu’un rassemblement bien calculé. Le but de ces performances n’était pas tant de choquer la bourgeoisie, mais plutôt d’éveiller sa conscience en lui balançant les pires atrocités au visage. En effet, les actionnistes voulurent à l’époque repousser les limites de l’acceptable afin de rétorquer en pied de nez: «Vous trouvez nos prestations dégoûtantes? Pourtant, les crimes que vous avez commis envers l’humanité sont infiniment plus répugnants et jamais nous n’arriveront à recréer autant d’horreur sur scène». Le mouvement parlait d’ailleurs à la génération engendrée par ces artisans de la guerre afin qu’ils puissent s’interroger sur les actes qu’avaient alors commis leurs pères et ainsi, ne jamais les oublier.
Inspiré du Fluxus (un mouvement qui remettait en question la notion d’œuvre d’art à l’époque sous forme d’expositions-concerts), les prestations des actionnistes qui pouvaient se dérouler pendant plusieurs heures, voir même plusieurs jours étaient orchestrées à la manière de pièces de théâtre ou de rituels, souvent filmées en Super 8. Tout était mis en œuvre afin de souiller et humilier le corps de l’homme. Sang, excréments, viscères animales, urine, insectes, vomis et sperme étaient au rendez-vous, parfois tous à la fois, lors de ces performances qui se voulaient autant violentes et vulgaires que rédemptrices. En profanant ainsi le corps, on désirait faire tomber les codes artistiques et sociaux qui pesaient sur celui-ci et enfin le purifier de son passé trouble.

                 

Hermann Nitsch, actioniste sanglant
S’inscrivant comme l’un des fondateur du mouvement, Hermann Nitsch fut certainement le plus prolifique du groupe. Alors que ses acolytes (particulièrement Otto Muehl), s’intéressaient davantage à la transgression du corps de manière pornographique et scandaleuse, Nitsch se définit comme le plus sanglant des actionnistes. D’abord diplômé de l’école de design graphique, l’artiste s’intéressa particulièrement à l’expressionnisme et l’art religieux lors de son parcours académique. Il se tourna ensuite vers la peinture. Grandement inspiré par Jackson Pollock, il déverse d’importantes quantité de peinture sur d’immenses toiles de manière expressive. Rapidement, la peinture sera remplacée par le sang et les viscères animales et les toiles par des corps et des carcasses. C’est alors que le Orgien Mysterien Theater (Théâtre des Orgies et Mystères) naîtra dans les années cinquante; un gigantesque happening annuel où de nombreux domaines (peinture, musique, architecture, etc.) seront utilisés afin de créer l’œuvre totale. Le but visé était de susciter les cinq sens des participants présents à l’action de manière abusive jusqu’à ce que chacun d’entre eux prennent conscience de sa propre existence. Nitsch acquerra d’ailleurs en 1971 le château baroque de Prinzendorf, situé dans une campagne viennoise, devenant ainsi le lieu de prédilection de ces immenses rassemblements.


Chez Nitsch, la rédemption s’acquiert vraisemblablement par la pénitence et au travers du concept de martyr; thèmes religieux qui demeureront présents dans l’ensemble de ses actions. La crucifixion, rituel récurant dans son œuvre, représenterait un rituel de passage et d’intériorisation où l’Homme prendrait conscience de son for intérieur afin d’en renaître grandit, meilleur et purifié. Néanmoins, l’artiste refuse d’associer ses actions à quelconques symboles religieux prétextant que pour lui la crucifixion, par exemple, ne représente qu’une forme de torture romaine et rien de plus. «Le va-et-vient entre la réalité et la charge symbolique fait partie du jeu, de l’effet dramatique de mon théâtre», viendra expliqué Nitsch, «pour moi, l’art est une sorte de sacerdoce, depuis que les institutions religieuses traditionnelles ont perdu de leur envoûtement».
 

Nitsch agit d’ailleurs comme un prêtre lors de ces séances, vêtu d’une longue toge blanche et dirigeant ses troupes de fidèles, aussi vêtus de blanc et prêts à être colorés de sang. Le dépècement d’animaux, morts ou vivants, y était souvent pratiqué, les organes internes de la bête étant déversés sur les participants crucifiés, les organes génitaux découpés au scalpel et les intestins utilisés pour peindre sur les murs. Parricide, meurtre d’une génération, inceste, défloration et castration étaient quelques uns des thèmes représentés lors ces actes barbares et devenaient littéralement expérimentés par la foule.

En 1998, Nitsch orchestra son plus grand Théâtre, dans ce qui se voulait être l’apogée de sa carrière artistique. 1 000 litres de sang animal, 13 000 litres de vin, 1 000 kilos de raisins et de tomates, 20 000 fleurs, 10 000 mètres de toiles de lin et 300 musiciens dans un budget de 1,3 million de Marks (900 000$ CAN) furent prévus pour ce rassemblement d’envergure qui dura 6 jours et rassembla plus de 500 participants. Afin de mieux comprendre l’ampleur du phénomène, rendez vous sur le lien YouTube officiel de l’artiste où un premier vidéo vous présentera l’ambiance générale qui régnait lors du regroupement. Un second vidéo, beaucoup plus corsé, vous résumera l’ensemble des actions de l’artiste de 1962 à 2003.
L’homme, qui célébrera ses 72 ans ce mois-ci, continue encore à produire des événements au château de Prinzendorf et demeure le dernier représentant et défenseur du controversé mouvement. Pour plus d’information sur Hermann Nitsch, ses œuvres et sa démarche, consultez son site web officiel.


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