Simone De Beauvoir photographiée par Art Shay
"Un
compte-rendu détaillé des circonstances dans lesquelles j’ai pris cette
photo est relaté dans le livre de Hazel Rowley,"Tête à Tête"… Au sens strict, oui cette photographie a été "volée", au
sens où vos féministes l’entendent.
Resituons le contexte : mon ami Nelson Algren était contrarié parce que son appartement loué 10 dollars par mois n’avait ni baignoire ni douche. Aussi me demanda-t-il un endroit pour que Madame (en Français dans le texte, ndlr), puisse se baigner ou se doucher. Il m'avait prévenu avec humour qu’une "Frenchy", comme il disait, fermait rarement la porte de la salle de bains, spécialement celle de son appartement dont la charnière était cassée. J'ai emprunté les clefs de l'appartement d'une jeune femme que je connaissais, qui me les laissa sous le paillasson. Je suis passé prendre Simone chez Nelson et je l'ai conduite, à environ 15 minutes vers le nord, jusqu’à l'appartement de mon amie. A l’aller, comme sur le chemin du retour, elle m'a questionné de façon très directe sur mes activités de mari et de père de famille. Etais-je fidèle? Est-ce que j'aimais ma femme? "Est-ce que Nelson a tenté de séduire votre femme?" (A cette époque Nelson séduisait beaucoup de femmes, mais pas la mienne). Je lui ai demandé si elle, elle était fidèle à Jean-Paul Sartre lorsqu'elle était en France, et fidèle à Nelson lorsqu’elle était à Chicago. Elle a rétorqué, "vous êtes un très bon reporter, jeune homme". Mais elle n'a pas répondu.
En tant que jeune photographe de Life Magazine, j’avais toujours mon Leica avec moi. Ce jour ne faisait pas exception. Vous devez comprendre que pour moi, Madame n'était pas "une institution" à cette époque, mais principalement une maîtresse étrangère de mon ami, un homme qu'elle appréciait surtout pour le plaisir qu'il lui prodiguait, bien plus épanouissant que les relations sexuelles qu’elles avaient alors en France. Nelson m'a également raconté (comme l'a rapporté Bettina Drew dans sa biographie de Nelson, "A Life on the Wild Side"), que le seul livre de cette "famous Madam" qu'il avait lu était le seul édité en Anglais à l’époque : "L’éthique de l’ambigüité"… et avait ajouté : "lire ça, c'est comme mâcher du carton. Si tu en comprends le sens, envoie-moi une carte postale". Comme d'habitude, Nelson plaisantait.
Il est important de préciser à votre lectorat féministe qu'Algren était l'un des premiers défenseurs des droits de la femme. C’est là, dans ce même appartement sans salle de bain, au 1523 Wabansia, que Simone lui montra ses premières notes sur le "Deuxième sexe". La seule critique de Nelson c’était qu'elle avait pratiquement ignoré les courageuses femmes américaines qui avaient rejoint très tôt le combat : Sojourner Truth – l'évangéliste noire née en 1797… Elizabeth Candy Stanton… Susand B. Anthony… Ida B. Wells… Margueret Sanger… (la pionnière du contrôle des naissances)…Il a ainsi appris ou enrichi les connaissances de Simone de Beauvoir sur les premiers combats pour les droits des femmes aux Etats-Unis. "J'ai dépensé une fortune pour lui envoyer ces trucs", se plaignait-il.
Donc je me trouvais là, photographe stagiaire de Life Magazine (initialement embaucher pour porter les sacs et rédiger les légendes), quand j'ai vu Beauvoir émerger du bain et se coiffer devant le miroir. J'ai pris rapidement deux ou trois clichés et elle a entendu le déclic. "Vous êtes un vilain garçon", a-t-elle dit, mais sans pour autant fermer la porte ni me demander d'arrêter de prendre des photos… Le cliché que vous avez publié est pour moi le meilleur de tous. Je peux comprendre l'utilisation par votre magazine de Photoshop pour corriger le galbe des jambes – mais je pense que cela n’ajoute rien, bien au contraire, à la fraîcheur de l’original. Ceci étant dit, je reconnais la nécessité de retoucher les images pour une couverture. Cette photo est l'une des favorites des collectionneurs qui achètent mes clichés à Chicago.
J'ai parlé à Nelson des photos de Simone mais il semblait plus intéressé par le fait de savoir si oui ou non elle avait tenté de me séduire. Je suppose que j'ai été négligeant en omettant d’envoyer un tirage à "Madame", mais je travaillais 7 jours sur 7 et, je crois, en y réfléchissant, que je redoutais de mettre Nelson en colère si je la publiais ou si je lui envoyais à elle et pas à lui. Rapidement, j'ai oublié cet épisode. Quand j'ai retrouvé les négatifs, sur lesquels il y avait également un portrait d'elle dans une librairie, publier cette photo n’avait alors aucune valeur marchande. En fait, je n'en ai pas fait d’agrandissement durant des années, parce que le rouleau de planches contact et les négatifs avaient été perdus dans une inondation de notre maison dans l'Illinois. Mais j'avais tiré deux photos sur un plus grand film, un Rolleiflex, et donc j'avais d’autres négatifs… Je sais que Nelson a envoyé à Simone un de ces doubles portraits. Rétrospectivement, je réalise que mon emploi du temps surchargé de l’époque m'a fait rater (ainsi qu’à vous) une formidable séquence : Nelson a continué à m'inviter avec ma femme pour des weekends dans sa villa à Miller Beach, où Simone résidait de temps en temps. Si j'avais pu m'y rendre, j'aurais peut-être pu les photographier tous les deux nus. Pour moi, c’est l’inverse de ce que chantait l'amie de Simone, Edith Piaf : "Je les regrettes…"(ndlr : en français dans le texte)
Pour l’anecdote, dans les pages 136-137 de mon nouveau livre, "Chicago's Nels Algren", j'ai montré Nelson frappant un sac de boxe, ses muscles abdominaux saillant. J'ai noté quelque part: "Madame disait que les muscles de mon ventre lui rappelaient ceux de Marcel Cerdan" se vantait Nelson en parlant de Beauvoir. Et il ajoutait fièrement, "j'aurais tenu peut-être deux rounds contre Cerdan".
Comment les collectionneurs de photos réagissent à la photo? Avec enthousiasme. Je suis connu dans le photojournalisme pour avoir été le premier paparazzo à photographier la mafia dans 15 villes et couvert 55 histoires criminelles pour les magazines Life, Time, Fotrune et Sports Illustrated. Un court article dans Life, écrit par son plus grand journaliste spécialisé dans les faits-divers, Sandy Smioth, a dit: "Art Shay a du cran". L'écrivain Garry Wills a écrit dans une préface de mon livre "Album for an Age" : "Mon admiration va tout d'abord au talent et au courage de Shay qui n'ont jamais faibli. Comment cela se pourrait-il ? Regardez juste ses photos."
Ma fille aînée est avocate, c’est une ardente féministe, qui sollicite mon propre éditeur afin qu’il publie un livre qu'elle a coécrit et qui s’appelle: "Le guide des droits légaux pour les femmes".
Elle n’estime pas que j’ai à m'excuser auprès de quiconque pour mon travail et moi je pense la même chose.
Invitez vos lecteurs à voir le tirage original et bien d'autres de mes photos à mon exposition à la Galerie Albert Loeb, rue des Beaux Arts, qui s'ouvre le 22 avril et qui dure jusqu'au 28 mai."
Art Shay
Resituons le contexte : mon ami Nelson Algren était contrarié parce que son appartement loué 10 dollars par mois n’avait ni baignoire ni douche. Aussi me demanda-t-il un endroit pour que Madame (en Français dans le texte, ndlr), puisse se baigner ou se doucher. Il m'avait prévenu avec humour qu’une "Frenchy", comme il disait, fermait rarement la porte de la salle de bains, spécialement celle de son appartement dont la charnière était cassée. J'ai emprunté les clefs de l'appartement d'une jeune femme que je connaissais, qui me les laissa sous le paillasson. Je suis passé prendre Simone chez Nelson et je l'ai conduite, à environ 15 minutes vers le nord, jusqu’à l'appartement de mon amie. A l’aller, comme sur le chemin du retour, elle m'a questionné de façon très directe sur mes activités de mari et de père de famille. Etais-je fidèle? Est-ce que j'aimais ma femme? "Est-ce que Nelson a tenté de séduire votre femme?" (A cette époque Nelson séduisait beaucoup de femmes, mais pas la mienne). Je lui ai demandé si elle, elle était fidèle à Jean-Paul Sartre lorsqu'elle était en France, et fidèle à Nelson lorsqu’elle était à Chicago. Elle a rétorqué, "vous êtes un très bon reporter, jeune homme". Mais elle n'a pas répondu.
En tant que jeune photographe de Life Magazine, j’avais toujours mon Leica avec moi. Ce jour ne faisait pas exception. Vous devez comprendre que pour moi, Madame n'était pas "une institution" à cette époque, mais principalement une maîtresse étrangère de mon ami, un homme qu'elle appréciait surtout pour le plaisir qu'il lui prodiguait, bien plus épanouissant que les relations sexuelles qu’elles avaient alors en France. Nelson m'a également raconté (comme l'a rapporté Bettina Drew dans sa biographie de Nelson, "A Life on the Wild Side"), que le seul livre de cette "famous Madam" qu'il avait lu était le seul édité en Anglais à l’époque : "L’éthique de l’ambigüité"… et avait ajouté : "lire ça, c'est comme mâcher du carton. Si tu en comprends le sens, envoie-moi une carte postale". Comme d'habitude, Nelson plaisantait.
Il est important de préciser à votre lectorat féministe qu'Algren était l'un des premiers défenseurs des droits de la femme. C’est là, dans ce même appartement sans salle de bain, au 1523 Wabansia, que Simone lui montra ses premières notes sur le "Deuxième sexe". La seule critique de Nelson c’était qu'elle avait pratiquement ignoré les courageuses femmes américaines qui avaient rejoint très tôt le combat : Sojourner Truth – l'évangéliste noire née en 1797… Elizabeth Candy Stanton… Susand B. Anthony… Ida B. Wells… Margueret Sanger… (la pionnière du contrôle des naissances)…Il a ainsi appris ou enrichi les connaissances de Simone de Beauvoir sur les premiers combats pour les droits des femmes aux Etats-Unis. "J'ai dépensé une fortune pour lui envoyer ces trucs", se plaignait-il.
Donc je me trouvais là, photographe stagiaire de Life Magazine (initialement embaucher pour porter les sacs et rédiger les légendes), quand j'ai vu Beauvoir émerger du bain et se coiffer devant le miroir. J'ai pris rapidement deux ou trois clichés et elle a entendu le déclic. "Vous êtes un vilain garçon", a-t-elle dit, mais sans pour autant fermer la porte ni me demander d'arrêter de prendre des photos… Le cliché que vous avez publié est pour moi le meilleur de tous. Je peux comprendre l'utilisation par votre magazine de Photoshop pour corriger le galbe des jambes – mais je pense que cela n’ajoute rien, bien au contraire, à la fraîcheur de l’original. Ceci étant dit, je reconnais la nécessité de retoucher les images pour une couverture. Cette photo est l'une des favorites des collectionneurs qui achètent mes clichés à Chicago.
J'ai parlé à Nelson des photos de Simone mais il semblait plus intéressé par le fait de savoir si oui ou non elle avait tenté de me séduire. Je suppose que j'ai été négligeant en omettant d’envoyer un tirage à "Madame", mais je travaillais 7 jours sur 7 et, je crois, en y réfléchissant, que je redoutais de mettre Nelson en colère si je la publiais ou si je lui envoyais à elle et pas à lui. Rapidement, j'ai oublié cet épisode. Quand j'ai retrouvé les négatifs, sur lesquels il y avait également un portrait d'elle dans une librairie, publier cette photo n’avait alors aucune valeur marchande. En fait, je n'en ai pas fait d’agrandissement durant des années, parce que le rouleau de planches contact et les négatifs avaient été perdus dans une inondation de notre maison dans l'Illinois. Mais j'avais tiré deux photos sur un plus grand film, un Rolleiflex, et donc j'avais d’autres négatifs… Je sais que Nelson a envoyé à Simone un de ces doubles portraits. Rétrospectivement, je réalise que mon emploi du temps surchargé de l’époque m'a fait rater (ainsi qu’à vous) une formidable séquence : Nelson a continué à m'inviter avec ma femme pour des weekends dans sa villa à Miller Beach, où Simone résidait de temps en temps. Si j'avais pu m'y rendre, j'aurais peut-être pu les photographier tous les deux nus. Pour moi, c’est l’inverse de ce que chantait l'amie de Simone, Edith Piaf : "Je les regrettes…"(ndlr : en français dans le texte)
Pour l’anecdote, dans les pages 136-137 de mon nouveau livre, "Chicago's Nels Algren", j'ai montré Nelson frappant un sac de boxe, ses muscles abdominaux saillant. J'ai noté quelque part: "Madame disait que les muscles de mon ventre lui rappelaient ceux de Marcel Cerdan" se vantait Nelson en parlant de Beauvoir. Et il ajoutait fièrement, "j'aurais tenu peut-être deux rounds contre Cerdan".
Comment les collectionneurs de photos réagissent à la photo? Avec enthousiasme. Je suis connu dans le photojournalisme pour avoir été le premier paparazzo à photographier la mafia dans 15 villes et couvert 55 histoires criminelles pour les magazines Life, Time, Fotrune et Sports Illustrated. Un court article dans Life, écrit par son plus grand journaliste spécialisé dans les faits-divers, Sandy Smioth, a dit: "Art Shay a du cran". L'écrivain Garry Wills a écrit dans une préface de mon livre "Album for an Age" : "Mon admiration va tout d'abord au talent et au courage de Shay qui n'ont jamais faibli. Comment cela se pourrait-il ? Regardez juste ses photos."
Ma fille aînée est avocate, c’est une ardente féministe, qui sollicite mon propre éditeur afin qu’il publie un livre qu'elle a coécrit et qui s’appelle: "Le guide des droits légaux pour les femmes".
Elle n’estime pas que j’ai à m'excuser auprès de quiconque pour mon travail et moi je pense la même chose.
Invitez vos lecteurs à voir le tirage original et bien d'autres de mes photos à mon exposition à la Galerie Albert Loeb, rue des Beaux Arts, qui s'ouvre le 22 avril et qui dure jusqu'au 28 mai."
Art Shay
Commentaires
Enregistrer un commentaire