Lettres au Duc De Valentinois
Dans sa remarquable postface, qui fait office de bref mais passionnant essai, Jean-Marc Quaranta puise à d'autres sources (les souvenirs de Céleste Albaret et le si précieux Journal de l'abbé Mugnier...) pour retracer l'histoire de cette amitié. Puis il s'emploie à exposer avec beaucoup d'acuité comment ces lettres témoignent du « dédale de la psychologie » de Proust, mettant au jour l'extraordinaire complexité de sa conception de la relation amicale — mélange inextricable de don de soi et de volonté prédatrice, « d'attention extrême et de maladresse qui confine à la cruauté mondaine ». Plus profondément, Jean-Marc Quaranta examine de quelle façon ces missives sont pour l'écrivain un lieu d'invention romanesque, et éclairent le rapport si crucial chez lui entre la vie et l'écriture — notons que Polignac inspira, dans La Recherche, le personnage plutôt maltraité du comte de Nassau. Enfin, nul besoin d'analyse pour estimer à sa juste valeur cet aveu d'un Proust déjà épuisé, glissé dans la deuxième, longue et très belle lettre qu'il écrivit à Polignac, à propos de cette Recherche à laquelle il consacre toutes ses énergies : « Au lieu de travailler, j'ai [...] perdu plus de vingt-cinq ans dans des plaisirs inutiles et des maladies évitables [...]. Et ce n'est que maintenant, au seuil du tombeau, incapable d'un court billet, qu'avec un instrument faussé, un cerveau rebelle, j'ai entrepris la tâche que chacun a le devoir de mener à bonne fin et qui est de laisser son testament et sa pensée. » — Nathalie Crom
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