Lettres au Duc De Valentinois




La naissance et la mort d'une amitié. Cinq missives de Proust à Pierre de Polignac dévoilent la complexité de son rapport à autrui.
C'est a priori un bien modeste trésor : quatre lettres et un télégramme, conservés dans les archives du palais princier de Monaco, et qui constituent la trace de l'amitié qui lia durant quel­ques années Marcel Proust et son ­cadet Pierre de Polignac — jeune aristocrate devenu, par son mariage, prince Pierre de Monaco, duc de Valen­tinois. Proust et Pierre de Polignac s'étaient rencontrés en 1917, ­revus trois ans plus tard. Les cinq ­documents de la main de l'écrivain que rassemble ce volume (auxquels s'ajoute une lettre de 1894 à Robert de Montesquiou) ont été écrits au cours de l'été et de l'automne 1920, avant que survienne la rupture entre les deux hommes. En l'espace de quel­ques semai­nes, on y voit s'épanouir et se ­détruire une relation intime gangrenée par la « sensibilité tentaculaire » de Proust — l'expression est de Claude ­Arnaud, dans le formidable Proust contre Cocteau (éd. Grasset, 2013).
Dans sa remarquable postface, qui fait office de bref mais passionnant ­essai, Jean-Marc Quaranta puise à d'au­tres sources (les souvenirs de ­Céleste Albaret et le si précieux Journal de l'abbé Mugnier...) pour retracer l'histoire de cette amitié. Puis il s'emploie à exposer avec beaucoup d'acuité comment ces lettres témoignent du « dédale de la psychologie » de Proust, mettant au jour l'extraordinaire complexité de sa conception de la ­relation amicale — mélange inextricable de don de soi et de volonté prédatrice, « d'attention extrême et de maladresse qui confine à la cruauté mondaine ». Plus profondément, Jean-Marc ­Quaranta examine de quelle façon ces missives sont pour l'écrivain un lieu d'invention romanesque, et éclairent le rapport si crucial chez lui entre la vie et l'écriture — notons que Polignac inspira, dans La Recherche, le personnage plutôt maltraité du comte de ­Nassau. Enfin, nul besoin d'analyse pour estimer à sa juste valeur cet aveu d'un Proust déjà épuisé, glissé dans la deuxième, longue et très belle lettre qu'il écrivit à Polignac, à propos de cette Recherche à laquelle il consacre toutes ses énergies : « Au lieu de travail­ler, j'ai [...] perdu plus de vingt-cinq ans dans des plaisirs inutiles et des maladies évitables [...]. Et ce n'est que maintenant, au seuil du tombeau, incapable d'un court billet, qu'avec un instrument ­faussé, un cerveau rebelle, j'ai entrepris la tâche que chacun a le devoir de mener à bonne fin et qui est de laisser son tes­tament et sa pensée. » — Nathalie Crom

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