Pascale Consigny
Pascale CONSIGNY est-elle une voleuse?
, Pascale Consigny vient d'exposer pour la seconde fois à la Galerie Charlotte Norberg.
"La voleuse"
« La voleuse » est une exposition conçue comme un ensemble de tableaux…au sens théâtral du terme, voire cinématographique, une succession de scènes, presque le story-board d’un film à énigmes. Changement à vue de lieu et de décor, chaque œuvre coexiste avec les autres, dans l’ordre narratif que, peut-être, l’imagination voudra bien y mettre, chaque « scène » susceptible de se combiner aux autres et de produire une histoire, une fiction, quand bien même chaque tableau existerait de manière autonome, comme un fragment de monde.
Avec « La voleuse », Pascale Consigny s’est donc appuyée sur l’envie de raconter une histoire, mystérieuse, une histoire dont le spectateur s’amuserait à reconstituer le déroulement, comme en un jeu de piste, au travers d’indices, dont chacun serait un tableau. De tableau en tableau, chacun serait conduit, dans cette ambiance presque proustienne de parenthèse enchantée, de temps suspendu le temps d’un dimanche, enfants jouant dans les champs, artiste à son atelier, à la recherche de quelques possibles signes : une voleuse est passée par là, dit l’artiste, mais qui est-elle et qu’a-t-elle volé ? Ambiguïté de cette atmosphère paisible d’où sourdrait une inquiétude diffuse. Mais tout cela ne serait-il qu’un jeu, un Cluedo pictural, une fausse piste pour nous empêcher de jouir paisiblement des images qui nous sont offertes ?
Pour Pascale Consigny, « La voleuse » évoque une idée « gracieusement subversive, qui plane au-dessus des tableaux, comme la pie voleuse dans Tintin et les bijoux de la Castafiore. »
Légèreté et esprit romanesque sont donc de mise, et invitent à scruter avidement les images, à la recherche de quelque « reste matériel d’une énigme passée », pour reprendre avec précision la définition de l’indice qu’intéressa Pascale. Parmi ces restes possibles, un énigmatique tas de cendres, volé, affirme-t-elle, à Hervé Ingrand : restes de tableaux partis en fumée ? Vision effrayante, pour l’amateur d’art, de ce qu’il advient des tableaux qui ne trouvent pas preneurs? Elle prévient : « Les tableaux qui ne seront pas vendus, seront brûlés ». Est-elle sérieuse, mettra-t-elle en œuvre cette promesse ? L’artiste esquisse alors une piste, comme malgré elle : une voleuse ne tient pas ses promesses…
Fin de partie. C’est bien l’artiste elle-même qui est la voleuse. Voleuse d’images, empruntées à l’histoire de l’art et de la peinture, de la même manière qu’elle aime à s’inspirer des pensées des autres, au travers de ces citations littéraires qu’elle affectionne. « Je n'aime pas l'idée de propriété en général, et surtout pas celle des idées, il faut savoir voler et se faire voler. Ce que j'aime aussi dans l'idée du vol, c'est qu'elle implique une circulation inattendue des idées et des objets qui sont détournés de leur trajectoire prévisible. » dit-elle.
Si sa peinture n’est pas à proprement parler une peinture de référence, lorsque Pascale Consigny peint, elle se sait emprunter un médium, un langage, un geste à une histoire dans laquelle elle se glisse.
Si sa peinture n’est pas à proprement parler une peinture de référence, lorsque Pascale Consigny peint, elle se sait emprunter un médium, un langage, un geste à une histoire dans laquelle elle se glisse.
L’artiste est une voleuse, pas seulement d’images et d’espace, mais de temps aussi. Dans le temps compté et rigoureusement jalonné et codifié du monde social et de ses obligations, elle se soustrait un temps de ce monde pour penser, faire, rêver, se souvenir. Un luxe.
L’enquête que constitue l’exploration de cette série d’œuvres se dessine alors peut-être comme une enquête mémorielle, une tentative d’introspection, découvrant des indices de sa vocation de peintre et de son histoire.
On apprend alors que ces tableaux ont été réalisés à partir d’anciens polaroids, datant d’une époque où Pascale Consigny ne peignait pas encore. On y trouve pourtant de nombreux signes de ce qui l’occupera plus tard : l’atelier du peintre, qui répond comme en écho à la toile blanche, que l’on retrouve ici ou là, mais aussi, en particulier, à ce tableau d’une fillette à la table, face à la page blanche…parenthèse de pure joie et de liberté, idée enfantine que « tout est beau ». Voici donc les indices de sa passion à venir, celle de la peinture, qu’elle juge comme une nécessité autant qu’un devoir, tant qu’elle a quelque chose à dire. Des indices comme des prémisses de sa vocation.
Il y a donc dans « La voleuse », une dimension intrinsèquement autobiographique, interrogeant sa propre mémoire dans une sorte de psychanalyse existentielle, au travers du regard du spectateur, et dans une mise à l’épreuve par l’image de ce moi construit et passé, et de ce moi à venir (« ce que nous faisons nous-même de ce qu’on a fait de nous »*). Ce faisant, Pascale Consigny lève un pan de voile sur le sens de sa résolution de peindre. Tout rappelle ici à quel point la peinture est toujours intention et « pro-jet », pont jeté entre soi et l’inconnu.
Le décor se crée autour de la page blanche, le temps, d’une image à l’autre, se distend, vers un espace-temps exfiltré, filant à l’anglaise, comme un voleur, vers un hors champ plus paisible, une pause, un jardin secret, dans lequel pourra se déployer à loisir la mise en abîme de mystères, aussi romanesques et littéraires qu’intimes et picturaux. Une envie d’éternité : tandis que la photographie fige dans l’instant de la prise ce qui est, ramenant par nécessité à l’absence, ce qui n’est nécessairement plus, la peinture garde intacte la vie des images et des possibles, se régénérant à chaque regard dans un présent-futur perpétuellement réactivé. Mais pas de vie de la peinture sans regard : « Les tableaux qui ne seront pas vendus, seront brûlés ».
* Michel Contat, à propos de la méthode « régressive-progressive » sartrienne.
Texte réalisé dans le cadre de l'exposition de Pascale Consigny à la Galerie Charlotte Norberg
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