L Y F
Entretien donné à Libération le 27/07/2010
Jusqu'ici, Wu Lyf avait refusé toute interview et toute séance photo et restait sagement planqué derrière ses mystères et les références historico-religieuses disséminées depuis quelques mois dans les vidéos et collages photo qui habillent sa musique, qui d'ailleurs n'avait pas besoin de ça pour être intrigante. Quelques jours avant le Midi Festival encore, leur tour manager répondait à mes sollicitations d'un "on va rester sur un non"L'affaire était donc plus ou moins pliée pour moi quand j'ai débarqué à Hyères.
Sauf qu'il faut toujours tenter de contourner le manager d'un groupe, qui est plus souvent là pour contrôler les choses que pour les faciliter. Après les balances, samedi en début d'après-midi, je suis donc allé voir directement les quatre très jeunes musiciens (ils ont tous la vingtaine à peine). La stratégie était de passer par le batteur aux yeux tristes, qui se fait appeler Jeauxx, ayant entendu dire la veille que le chanteur-meneur, Ellery Roberts, était particulièrement rude et décidé à ne rien lâcher. Rien de tout ça au final. C'est même lui qui s'est intéressé à l'idée de donner la première interview du groupe en France, dans un quotidien que sa copine francophone lit régulièrement et qu'elle lui a décrit comme un journal très à gauche (il faut des coups de bol des fois). C'est lui, encore, qui a poussé ses compères (notamment le guitariste Ivan qui n'en avait pas du tout envie) à se prêter à une séance photo.
Au final, alors que je m'attendais à négocier a minima une photo avec visages masqués, le photographe Olivier Monge et moi nous sommes retrouvés face à quatre Anglais un peu perdus et passifs, mais décidés à baisser la garde parce qu'ils se sentaient en confiance dans le cadre de ce Midi Festival qui a très bonne réputation en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. C'est eux qui ont choisi le lieu de la photo (un bout du mur en ruine qui délimite le jardin de la Villa Noailles), eux qui ont démonté une cloison pour pouvoir s'installer sous un toit en tuiles rouges éventré. Pas de sourires sur la photo et beaucoup de regards fuyants sur les épreuves de la série, mais la seule présence du groupe devant l'objectif ouvre un nouveau chapitre pour Wu Lyf: celui où le groupe avance à visages découverts et fait taire les tergiversations nées autour d'eux dans les hebdos musicaux britanniques. Reste à voir quelle va être leur attitude dans les mois à venir, une fois de retour sur leurs terres, et bien sûr s'ils vont être capables de donner à leur premier album au moins une infime partie de la puissance lâchée sur scène au Midi Festival. Ce qui dépendra en partie du label qui les récupèrera... Rough Trade est visiblement sérieusement sur les rangs, ce qui ne serait pas un trop mauvais choix mais ferait aussi rentrer le groupe bien vite dans le rang.
La photo était en boite (mais elle n'a pas paru pour des raisons de mise en page). Restait l'interview, à laquelle Ellery Roberts avait dit oui, mais après la plage. Le temps que le groupe remonte à la Villa Noailles en toute fin d'après-midi et qu'il s'éparpille aussi sec, il a fallu lui courir après jusque dans les recoins du parc. Tout ça pour finir par le coincer dans une loge 45 minutes avant le concert de Wu Lyf, alors qu'il emballait avec le bassiste au pseudo de star porno, Gino Lungs, les vinyles qu'ils vendent après leurs concerts et qui contiennent, outre deux titres, un beau livret et un foulard. L'interview s'est donc déroulée de façon très décousue et lacunaire, faute de temps. Mais autant la consigner ici, des fois que Wu Lyf ait vraiment le talent qu'on peut lui prêter après ce concert qui a mis beaucoup de gens d'accord à Hyères.
Ellery Roberts: On refuse systématiquement en Grande-Bretagne parce que la presse ne s'intéresse pas à la musique, mais seulement au buzz. Du coup, on n'est pas habitués à parler aux journalistes, mais ce n'est pas une histoire de secret ou de faire des mystères. Ce qu'on veut avant tout, c'est créer plus qu'un disque et ne parler que de ça. Pour nous, ce vinyle, c'est une carte de membre de la Lucifer Youth Foundation. C'est une organisation qui n'en est pas une, qui réunit le groupe et quelques collaborateurs.
Gino Lungs: On a écrit beaucoup de choses fausses sur nous, et il est temps de dire nous même ce qui est vrai. Et ce qui est vrai, c'est que tout ce que nous avons créé est un projet artistique et rien d'autre. Ce n'est pas un calcul.
Est-ce que c'est aussi, au départ, une réaction à l'hypermédiatisation des groupes sur les blogs et dans la presse depuis quelques années?
E. R.: En partie. Tout ça ne nous intéresse pas, parler de nous ne nous intéresse pas. Mais on n'a pas commencé Wu Lyf comme un truc dogmatique non plus. C'est juste comme ça qu'on veut faire notre musique, que les gens s'y intéressent ou pas.
G. L.: On fait juste ce qu'on veut voir et entendre et qui n'existe plus.
E. R.: Notre site internet, les images et les vidéos font partie de l'histoire, c'est un continuum. Mais c'est la musique qui est bien sûr au coeur de tout ça et la meilleure façon de nous exprimer pour nous. La motivation principale, c'est qu'on ne veut pas que les gens restent passifs devant ce qu'on fait. Il faut qu'ils aiment ou détestent, mais qu'ils aient une réflexion. Wu Lyf n'est pas un fast-food ou un single sur iTunes.
Vous n'êtes pas les premiers à construire un univers où les musiciens s'effacent totalement derrière leur projet musical, les Residents entre autres font ça depuis 40 ans. Ils sont une inspirations?
E. R.: Non, pas directement. Mais si l'on regarde le top 10 que n'importe qui dans la rue peut donner en Grande-Bretagne, il est farci de disques des années 1967-1977. On ne peut pas y échapper. Après, je pense qu'on est davantage touchés par la façon dont ces musiques et pensées ont infiltré la culture de tous les jours que par les disques eux-mêmes. Ce qu'il reste chez nous, c'est cette envie de créer un environnement sans contraintes. Ça fait presque un an, depuis que le groupe s'est stabilisé à quatre avec ce line up en août 2009, qu'on construit ce monde.
Il y a beaucoup de références religieuses chez vous, à commencer par le "Lucifer" de Lucifer Youth Foundation. C'est un jeu sur les images et les mots ou une revendication plus forte?
G. L.: Lucifer, chez nous, est à prendre dans sa signification originelle, latine. Pendant des siècles, il n'a rien eu de diabolique, il était un ange parmi d'autres avec ses qualités et ses défauts. Puis, peu à peu et parce que l'Eglise en avait besoin, il est devenu le mal. C'est une fabrication chargée d'effrayer les croyants, et c'est un peu le rapport qu'a aujourd'hui notre société avec la jeunesse.
E. R.: On n'est pas religieux, mais les histoires racontées par les religions sont fortes. J'aime la façon qu'ont les gens de croire en dieu, ce que ça apporte à leur vie. La religion, c'est avant tout une interaction avec la société... Et une imagerie très puissante, bien sûr. Wu Lyf est une forme de religion pour nous, mais elle n'a pas de règles et on ne demande pas à quiconque d'y croire. C'est très personnel, mais ça ne parle pas de nos vies.
Que vous le vouliez ou non, votre musique et le mystère qui l'entoure ont excité pas mal de monde en Grande-Bretagne, et il y a beaucoup de gens qui aimeraient travailler avec vous. Vous voyez ça comment aujourd'hui?
E. R.: Ceux qui nous approchent ne sont pour la plupart pas intéressés par la musique. Ils veulent faire un coup, ils pensent que le mystère est une campagne marketing. Mais ce qu'on veut, c'est continuer le travail qu'on a commencé. On a une collection de chansons qui sont prêtes pour un album, qui sont celles qu'on joue sur scène. On veut aussi faire des films pour les accompagner. On verra bien.
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